« Lorsque tous les haut-parleurs braillent que l’ignorant vaut mieux que celui qui sait, il est courageux de demander : meilleur pour qui ? Lorsqu’on parle de races nobles et de races inférieures il est courageux de demander si la faim, l’ignorance et la guerre ne produisent pas de fâcheuses difformités »

Cette citation de Bertolt Brecht est extraite d’un texte intitulé Cinq difficultés pour dire la vérité, daté de 1934.  Il écrit ce texte impressionnant dans le contexte de la montée du nazisme en Allemagne. J’ai conscience de la différence de contexte historique mais j’ai voulu publier cet extrait car la première phrase m’a tout de suite évoqué certains propos de Duch quant au recrutement du personnel de S21.

« Sous la pression des nouveaux dirigeants khmers rouges, le consul monsieur Jean Dyrac […] a dû faire sortir de l’ambassade ceux qui n’avaient pas la nationalité française […]. Je ne sais pas si c’est là une décision conforme à l’éthique mais je laisse le soin de se prononcer aux historiens »

Au cours de sa déposition, Chum Sirath s’attarde sur un épisode trouble qui suit la prise de Phnom Penh par les Khmers rouges, à savoir le « grave incident » du 30 avril 1975 qui a lieu à l’ambassade française. « Sous la pression des nouveaux dirigeants khmers rouges, le consul monsieur Jean Dyrac n’a pas sans doute expulsé les Cambodgiens mais il a dû faire sortir de l’ambassade ceux qui n’avaient pas la nationalité française car sinon il n’y aurait pas de quoi nourrir tout le monde. Il appartient maintenant aux historiens de dire ce qui s’est passé et de se prononcer sur la décision prise à l’époque par Jean Dyrac. Peut-être s’agit-il d’une instruction reçue du ministère des Affaires étrangères en France. Je ne sais pas si c’est là une décision conforme à l’éthique mais je laisse le soin de se prononcer aux historiens. Après l’expulsion de certains de l’ambassade de France, les expulsés ont été escortés vers Battambang, c’est là une tragédie sur laquelle je ne souhaite pas m’étendre. »

Cet épisode l’amène à expliquer pourquoi lui ne rentre pas au Cambodge quand les dirigeants khmers rouges appellent les Cambodgiens expatriés à revenir servir leur pays. « En France on m’a dit qu’il ne fallait pas rentrer au Cambodge parce que les gens qui avaient reçu une éducation en France étaient directement mis en cause. »

« Je sais que vous êtes déçues de ne pas avoir obtenu les réponses que vous attendiez et je peux vous dire que si je peux vous être d’une quelconque assistance pour contribuer à établir les faits, je ferai de mon mieux »

Quand Duch est invité par le président Nil Nonn à faire des observations à la suite des dépositions de l’épouse et de la fille du professeur Phung Ton, il dit :

« Je n’ai rien à objecter sur le fond aux dépositions de madame Im Sunthy et de madame Phung-Guth Sunthary. Je sais que vous êtes déçues de ne pas avoir obtenu les réponses que vous attendiez et je peux vous dire que si je peux vous être d’une quelconque assistance pour contribuer à établir les faits, je ferai de mon mieux. Je chercherai toute information complémentaire disponible concernant le sort de votre époux et de votre père. »

L’ex-directeur khmer rouge de S21 avait classé Phung Ton parmi les six hommes qu’il respectait le plus. Mais il assure qu’il n’a pas su en 1976-1977 qu’il était incarcéré à S21, qu’il n’a pas été au courant pendant ses six à sept mois de détention, qu’il ne peut pas indiquer comment il a été traité ni comment il est mort, faute de documents et conseille d’aller chercher des informations auprès de son ancien adjoint, chef des interrogateurs, Mam Nay, qui n’est pas bavard…

« Je crois que ce secret a pris une proportion incroyable, comme le reste. Au fur et à mesure que les choses se déglinguaient, la paranoïa s’intensifiait et il y avait là une prophétie qui ne faisait que s’accomplir d’elle-même »

Répondant jeudi 6 août 2009 à une question de l’avocat de Duch sur la politique du secret imposée sous le Kampuchéa démocratique, l’historien américain David Chandler explique :

« Il était assez clair pour l’accusé que le secret était la marque du régime tout entier. Il n’y avait pas de possibilité d’objecter à cette politique du secret. Un des résultats tragiques de cela c’est que quiconque était arrêté et quel que soit son âge, toute personne qui entrait à S21 était finalement tuée, notamment parce qu’il fallait garder secrète l’existence de la prison. C’est pour cette raison aussi que les gardes n’étaient pas autorisés à rentrer chez eux et à avoir une permission. Je crois que ce secret a pris une proportion incroyable, comme le reste. Au fur et à mesure que les choses se déglinguaient, la paranoïa s’intensifiait et il y avait là une prophétie qui ne faisait que s’accomplir d’elle-même. S’il y a tellement de personnes coupables qui sont amenées à S21, alors cela veut dire qu’il y a un complot effectivement énorme et la machine ne fait que s’emballer. L’aspect du secret est toujours resté. Et Nuon Chea, dans une des rares interviews franches qu’il a données parce qu’il l’a donnée à une délégation danoise sympathisante, a dit que le secret était absolument crucial et central pour tout ce que faisait le parti, que le secret était le leitmotiv du PCK. »

« Je ne vous donne pas le droit de parler maintenant »

En fin d ‘audience (lundi 20 juillet 2009) du témoin Him Huy, le co-procureur propose aux juges de demander au témoin s’il y avait une mésentente entre Hor et Duch : est-ce que Duch s’occupait de faire une enquête sur Hor ? Qui a tué Hor ? Comment est-il mort ? « Si nous ne les posons pas, vous risquez de manquer un pan important de l’information nécessaire » prétexte le co-procureur qui mesure soudain la pauvreté de son interrogatoire.

Evidemment François Roux ne le laisse pas faire. « Je regrette que les co-procureurs n’aient pas posé ces questions quand ils avaient la parole. Si les co-procureurs veulent reprendre la parole, la défense demandera un temps équivalent mais il faudra bien que cela cesse ! »

Le président tranche sans se faire prier en faveur de la défense et rétorque à William Smith : « Je ne vous donne pas le droit de parler maintenant ».

« J’ai beaucoup de regrets pour les gens bien qui sont morts et ceux qui sont peut-être moins bons et qui sont morts aussi. Mais je n’ai pas de regrets pour les gens mauvais qui sont morts »

Après Kar Savuth, François Roux prend le relais des questions de la défense à Mam Nay lors de sa dernière journée d’audience, le 15 juillet 2009. Une partie de ces questions s’orientent sur le recul que Mam Nay, ancien adjoint de Duch, porte sur le régime du Kampuchéa démocratique.


– Que pensez-vous aujourd’hui du Kampuchéa démocratique ?

– A cette époque-là les conditions de vie étaient marquées par l’insuffisance alimentaire et cela était le résultat de la guerre. Cependant il y avait un point positif, c’est-à-dire l’autonomie, la maîtrise de soi, d’après les normes de la discipline bouddhiste, c’est-à-dire l’autonomie, compter sur soi-même, cela est un point de vue extrêmement positif.

– Savez-vous monsieur Mam Nay combien de personnes ont été tuées à S21 ?

– Je n’ai pas l’obligation ni l’inclinaison de savoir cela.

– Savez-vous monsieur Mam Nay combien de personnes sont mortes au Cambodge pendant le régime du Kampuchéa démocratique ?

– Sur cette question aussi je suis encore plus ignorant. Je ne sais pas.

– Regrettez-vous monsieur Mam Nay d’avoir été interrogateur à S21 ?

– Avoir des regrets… Oui, j’ai des regrets, je dois le dire.

– Pouvez-vous développer ?

– A mon sens il y avait des gens bien et il y avait des gens qui avaient commis des délits. D’après ce que j’ai pu observer, il y avait moins de gens bien que de gens délictueux. Et donc j’ai des regrets pour ce qui est du petit nombre de gens bien.

– Est-ce que ça veut dire que vous n’avez pas de regrets pour ceux que vous mettez dans la catégorie des gens moins bien et qui ont été écrasés ?

– J’ai beaucoup de regrets pour les gens bien qui sont morts et ceux qui sont peut-être moins bons et qui sont morts aussi. Mais je n’ai pas de regrets pour les gens mauvais qui sont morts.

– Merci monsieur le témoin. Merci pour le procureur, si vous avez d’autres témoins comme celui-là, n’hésitez pas !

« L’unité des témoins et des experts ainsi que les co-procureurs ont mis au point une formule qui permet à la chambre d’éviter précisément ce qui s’est passé hier où le témoin se retrouve intimidé »

En ouverture de l’audience du 14 juillet 2009, la défense se réjouit de la présence à la cour d’un avocat pour le témoin Mam Nay. Cependant, elle émet « les plus expresses réserves sur le fait qu’il a été demandé à notre confrère de s’asseoir au même banc de la défense que nous-mêmes. Cela conduit à faire droit par anticipation à la demande du procureur de considérer monsieur Mam Nay comme un accusé. Si nous regardons la salle d’audience, monsieur Mam Nay est avec un avocat assis au même banc que la défense et monsieur Mam Nay est donc considéré comme un accusé. Il nous semble que cela n’est pas correct. »

Martine Jacquin, avocate du groupe 3 des parties civiles, soutient la position de la défense car Mam Nay est un témoin assisté. « [Nous pensons que son avocat doit] avoir une position proche du témoin et qu’il n’y ait pas une assimilation sur laquelle la défense pourrait facilement jouer quant à d’éventuelles interprétations vis-à-vis de monsieur Mam Nay. »


Le co-procureur William Smith intervient : « Je ne sais pas si le témoin avait conscience d’être perçu comme tel avant que la défense ne fasse la remarque. Il y a beaucoup de sièges vacants dans le prétoire et ce n’est pas la première chose qui me viendrait à l’esprit si j’étais moi-même témoin ». Pour le co-procureur, il appartient à la chambre de décider où l’avocat du témoin doit s’asseoir.


Il demande également la possibilité de soulever un autre point en réponse aux attaques de la veille par François Roux contre la notion d’entreprise criminelle commune : « La défense a dit hier que le témoin devait être pleinement informé de son droit à ne pas s’incriminer lui-même. Comme vous le savez, monsieur le président, il a bel et bien été informé par vous-mêmes avant l’objection de la défense, après quoi la défense s’est inquiétée de savoir si le témoin était pleinement conscient de ses droits. Puisque cette remarque a été faite, comme vous le savez, à la règle 28-8, il est dit qu’il ne convient pas de faire ce genre de remarque devant le témoin pour des raisons évidentes, deuxièmement ce genre de remarque doit être fait avant la déposition du témoin, et troisièmement c’est le genre de remarque qui pourrait être faite à huis-clos de sorte que l’on n’inquiète pas sans raison le public. Le témoin venant en l’occurrence de S21. Le témoin n’est pas le seul qui ait été membre du personnel de S21 comme garde ou interrogateur. Il faut donc que la procédure soit appliquée comme il convient pour ce qui est des garanties à respecter. »

William Smith souhaite que l’incident de la veille ne se reproduise pas avec les témoins à venir.

« L’unité des témoins et des experts ainsi que les co-procureurs ont mis au point une formule qui permet à la chambre de fournir l’assistance nécessaire aux témoins qui viennent de S21 pour éviter précisément ce qui s’est passé hier où le témoin se retrouve intimidé : on agite devant le témoin une menace de poursuites par les co-procureurs, une menace pourtant sans fondement. »


Le co-procureur reproche non seulement à la défense de soulever cette question en présence du témoin mais aussi de ne pas l’avoir avancée plus tôt. « La défense a attendu que le témoin soit à la barre pour soulever cette question alors que toutes les parties essayent de trouver une solution sous forme d’assistance juridique ». 


Puis William Smith déballe les arguments qu’il aurait dû donner hier, en pleine attaque contre la notion d’entreprise criminelle commune. « On nous dit que [si cette notion était reçue par la Chambre] cela modifierait la situation par rapport au témoin et que les assurances données par avance ne seraient plus valables. C’est un non-sens, sur le plan juridique, c’est faux. Il y a beaucoup de points doctrinaires, aider, encourager, planifier autant de concepts qui peuvent s’appliquer à toute personne ayant travaillé à S21. Là encore, c’est une éventualité qui risque très très peu de se concrétiser. » L’accusation définit cette observation comme non fondée et incorrecte. Elle devrait selon lui devrait être à l’avenir soulevée à huis-clos et en l’absence du témoin.


François Roux ne veut pas laisser cette observation sans réponse. « Nous ne sommes pas dans le cadre restreint de l’article 28 alinéa 9. Nous sommes au-delà. Il fallait également informer le témoin de la requête que les co-procureurs ont cru devoir déposer pour l’entreprise criminelle commune. C’est autre chose. Vous avez fait ce choix. Vous êtes d’ailleurs en train de nous expliquer que ce choix n’était peut-être pas nécessaire puisqu’il y aurait d’autres possibilités d’incriminer le témoin. Donc ma question est la suivante : maintenez-vous aujourd’hui votre demande de joint criminal entreprise ? » Il explique alors que si Duch était déclaré coupable au regard de l’entreprise criminelle conjointe, le témoin serait également déclaré coupable. Automatiquement.   


William Smith s’impatiente. « Je ne sais pas combien de fois il faut le dire. Que l’accusé soit déclaré coupable ou non cela n’a pas d’incidence sur d’éventuelles poursuites contre d’autres personnes ayant travaillé à S21. Il n’y a pas de lien entre le jugement que prononcera la chambre et d’autres poursuites devant d’autres tribunaux. Le fait est que l’éventualité de ces autres poursuites est très réduite. »


« Alors retirez votre demande de ECC  et nous serons tranquilles ! » lance François Roux.


Après le bras de fer entre le bureau des co-procureurs et la défense, la cour décide de ne pas changer l’avocat de Mam Nay de place. Nil Nonn, avec une pointe d’autorité (« la gestion de l’audience relève du seul pouvoir de la Chambre ») en profite pour remonter les bretelles des dissipés du prétoire qui parlent sans autorisation préalable du président.

« Le jour de l’audition de Norng Chanphal, l’accusé a dit que si l’on retrouvait une biographie de Mom Yao, c’est-à-dire la mère de l’intéressé, cette biographie pourrait être utilisée comme preuve du fait que Norng Chanphal a bien été incarcéré à S21. […] Nous présentons donc aujourd’hui cette pièce »

Le mercredi 8 juillet 2009, cinq jours après l’audience de Norng Chanphal, l’enfant survivant de S21, les co-procureurs ouvrent l’audience avec une bonne nouvelle : ils ont en main la biographie de la mère de Norng Chanphal qui certifiait la semaine dernière avoir accompagné sa mère à S21 avec son petit frère, et en avait été séparé. « Nous avons retrouvé cette biographie dans les archives de DC-Cam vendredi soir. Nous en avons reçu communication par courrier électronique. […] Le bureau des co-procureurs n’a pas demandé à produire ces documents, le DC-Cam a fait des recherches de sa propre initiative et retrouvé ce document, explique Seng Bunkheang, le co-procureur cambodgien. Le document a été retrouvé après l’audition de monsieur Norng Chanphal. Le jour de l’audition de Norng Chanphal, l’accusé a dit que si l’on retrouvait une biographie de Mom Yao, c’est-à-dire la mère de l’intéressé, cette biographie pourrait être utilisée comme preuve du fait que Norng Chanphal a bien été incarcéré à S21. L’accusé a également demandé aux co-procureurs de rechercher pareil document. Nous présentons donc aujourd’hui cette pièce qui concerne Mom Yao, la mère de Norng Chanphal, et nous souhaitons que ce document soit versé au dossier conformément à la règle 87, pargarpahe 4 du règlement intérieur. » 

Kar Savuth, avocat de Duch, rappelle que son client a reconnu sa responsabilité pour les crimes commis à S21. « Dans le cas de personnes qui disent avoir été détenues à S21 sous le régime du Kampuchéa démocratique, pour autant qu’il y ait des éléments de preuve établissant que ces personnes ont bel et bien été détenues à S21, la Défense reconnaît les faits. »

Marie-Paule Canizares observe que ce document arrive bien tard. Kim Mengkhy, avocat du groupe 3 des parties civiles, soutient que chaque document trouvé, même dans ces conditions, doit être versé au dossier. Alain Werner, avocat du groupe 1 des parties civiles, précise que le DC-Cam a cherché ce document plus tôt mais que les recherches ont été faites sous une autre orthographe.

Les mains jointes en prière, Duch accepte ces documents. Dans la mesure où même l’accusé reconnaît sa présence à S21, Norng Chanphal se voit enfin adoubé officiellement comme survivant de S21.

Le document sera versé au dossier et produit au débat.

« Nous avons comme habitude dans le droit germano-latin de ne pas préparer un témoin à son audition pour le laisser témoigner naturellement »

Martine Jacquin, avocate du groupe 3 des parties civiles, a appuyé la prise de parole au tribunal de ses clients Lay Chan, Phork Khan, lesquels sont entendus les 7, 8 juillet 2009 par la cour. Le témoignage approximatif de Lay Chan et les contradictions ou les incohérences de Phork Khan laissent planer un doute, non sur leur condition de détenu ou sur leurs souffrances, mais sur leur incarcération à S21 même. Alors que les juges décortiquent les contradictions de Phork Khan entre sa requête écrite et ses propos à la cour, Martine Jacquin, pour qui ces deux hommes ont bien été détenus à S21, intervient pour remettre certains éléments dans leur contexte.


« Messieurs les juges, je voudrais faire une observation générale.

Vous avez constaté entre hier et aujourd’hui, parfois avec un certain énervement, que les témoins qui étaient devant vous avaient des déclarations beaucoup moins précises que les témoins que vous aviez pu entendre précédemment. Je crois qu’il faut bien remettre chacune de ces situations dans leur contexte. Les témoins que vous avez entendu précédemment ont eu l’occasion d’être entendus par le juge d’instruction, d’être entendus par les enquêteurs du tribunal, ainsi ils ont pu préciser leur témoignage, les services de recherche ont pu préciser les documents et cela vous permet d’obtenir des témoignages extrêmement complets et extrêmement précis. Comme vous le savez nous ne sommes jamais intervenus dans la partie qui a consisté à recueillir les témoignages de ces survivants auprès de la population. Nous n’avons pris en charge ces dossiers que lorsque les constitutions de partie civile ont été régularisées. Et je rappellerais dans certains cas, avec des délais d’urgence, nous mettant dans des conditions assez difficiles. Nous avons constaté nous-mêmes en découvrant ces dossiers un par un, en prenant la peine de rencontrer ces parties civiles, qu’en fait le travail d’enquête qui avait été fait était juste sur beaucoup de points mais était également erroné sur certains points. Cela n’en montre pas moins que ces témoignages sont extrêmement intéressants et à mon avis apportent une information importante. Dans ce contexte nous avons essayé de réunir le maximum de documents complémentaires, en particulier en recherchant des documents au DC-Cam, en sachant que cela est beaucoup plus difficile pour nous à réaliser quand nous n’avons pas les moyens matériels des enquêteurs du tribunal. Aujourd’hui vous avez constaté ces modifications de déclaration. Je crois que ce qui est important, c’est ce que déclare cet homme [Phork Khan] aujourd’hui, qui est ce qu’il dit avoir vécu. Et je pense qu’effectivement dans le recueil écrit du témoignage il y a eu des erreurs. Maintenant il faut bien remettre ça dans le contexte. Ces témoignages à l’origine ont été recueillis par des associations de défense des droits de l’Homme du Cambodge dans des conditions matérielles difficiles où de jeunes enquêteurs non expérimentés, mal équipés ont sillonné un certain nombre de villages du Cambodge pour donner des informations sur les CETC et recueillir un certain nombre de témoignages. Ça a été un travail fait entre guillemets « en amateur », avec les moyens du bord qui n’ont rien à voir avec les moyens du tribunal mais qui malgré tout ont permis aujourd’hui le rétablissement d’un certain nombre de dossiers et par la suite ont permis le rétablissement de constitutions de parties civiles. Donc je crois que tous les témoignages que vous entendrez à ce titre seront certes chaque fois moins précis. Par ailleurs nous avons comme habitude dans le droit germano-latin de ne pas préparer un témoin à son audition pour le laisser témoigner naturellement, pour qu’il ait la spontanéité de la parole, ce qui bien évidemment amène certains problèmes matériels qui résulte de ce contexte. »

« Des vieilles dames sans dents, des nourrissons… En quoi étaient-ils aussi des agents du KGB et de la CIA ? Je voudrais qu’on m’explique pourquoi. Au plus profond de moi, je suis convaincu que c’est ça l’intention génocidaire »

A la juge Silvia Cartwright, Chum Mey explique qu’il a été accusé d’être un agent au service de la CIA et du KGB. « Encore aujourd’hui je me demande pourquoi j’ai été accusé d’être un agent de la CIA et du KGB. » Les premiers à avoir prononcé cette accusation sont ceux qui ont arrêtés le témoin. A ce jour, Chum Mey n’a reçu aucune explication satisfaisante. « Mon enfant de deux mois a été emmené pour être exécuté. […] Des vieilles dames sans dents, des nourrissons, en quoi étaient-ils aussi des agents du KGB et de la CIA ? Je voudrais qu’on m’explique pourquoi. Au plus profond de moi, je suis convaincu que c’est ça l’intention génocidaire. »


Cette phrase essentielle de Chum Mey n’a été traduite ni en anglais ni en français. Que le tribunal passe à côté de déclarations si substantielles est dramatique.


Après quoi Chum Mey murmure la mort dans l’âme qu’il a connu son fils (âgé de deux mois et exécuté avec sa femme par des soldats khmers rouges) l’espace d’une journée, « de 7 heures à minuit ». Il les avait rencontrés tous les deux par hasard en chemin en fuyant Phnom Penh et l’avancée des troupes vietnamiennes.