“Le terme ‘écraser’ n’est pas un terme de mon choix. Ce mot veut dire : arrêter secrètement, interroger avec torture à la clé et ensuite exécuter, toujours secrètement, sans que la famille soit mise au courant.”

L’accusé a demandé à revenir sur le terme « kamtech » au cours de l’audience de ce lundi 18 mai. D’abord pour dire que sous Son Sen, c’était plutôt ce mot qui était employé. Ensuite pour insister sur le fait qu’il n’avait pas eu l’initiative du mot. Enfin, pour rappeler que son emploi sous-entendait d’emblée « pas de remise en liberté », « pas de procédure judiciaire ». « La politique d’écraser les ennemis était claire : personne ne pouvait violer cette politique », insiste-t-il avant de rappeler qui pouvait décider de leur élimination. Et la répartition des rôles était stricte. « Les personnes non habilitées à appliquer la politique du parti auraient été décapitées si elles avaient tenté de le faire. »

Par la même occasion, l’accusé se fend d’un rappel de vocabulaire : le comité permanent, dont Pol Pot était le secrétaire, était aussi dénommé :

  • – Angkar
  • – Le centre
  • – Le parti

« Ultérieurement, le peuple cambodgien fait référence à ces entités sous le nom de ‘dirigeants Khmers rouges’ et les CETC sous le nom de ‘principaux responsables ou dirigeants du Parti communiste du Kampuchea. »

Le juge Lavergne tente de basculer du sens politique de kamtech au sens littéral, et interroge Duch sur la différence entre « écraser » et « résoudre ». « Dans la pratique, ces deux termes ne sont pas différents, répond Duch. La seule différence c’est qu’à l’époque des faits, à M13, peu d’importance était portée à ce qu’il advenait des cadavres. Mais ces termes véhiculent le caractère secret. S’agissant du terme ‘résoudre’, il me semble qu’il s’agit là d’un terme plus politique. »

Les juges reviennent sur les confessions de S21 et ébauchent la question des luttes internes




Journalistes face aux diagrammes de Craig Etcheson. (Anne-Laure Porée)
Journalistes face aux diagrammes de Craig Etcheson. (Anne-Laure Porée)



Bavardage matinal

Avant que les juges n’entrent à la cour, les bavardages vont bon train derrière la vitre du tribunal. Sans son retransmis, le regard se focalise sur les attitudes. Après ces quinze jours de « vacances », Duch a l’air reposé. Il discute avec son avocat Kar Savuth, il rit et accompagne ses propos de gestes vifs comme s’il cherchait à convaincre. Un peu après, François Roux prend le relais de cette conversation, Duch opine du chef, Kar Savuth leur tourne le dos et baille. L’accusé, détendu, semble très à son aise dans le prétoire.

Sur les bancs des parties civiles, il n’y a toujours que trois personnes (sur 93) qui siègent derrière les deux rangées d’avocats. Continuer la lecture de « Les juges reviennent sur les confessions de S21 et ébauchent la question des luttes internes »

Une jeune Cambodgienne expérimente le dessin de procès


Dalin à la sortie du tribunal. (Anne-Laure Porée)
Dalin à la sortie du tribunal. (Anne-Laure Porée)


Au deuxième rang de la salle d’audience, une jeune fille en chemise bleue d’écolière et sandales de paillettes argentées a placé sur ses genoux un paquet de feuilles blanches et une boîte à crayon métallique. Elle se concentre, son regard fait des aller-retour sur l’écran qui retransmet l’image en gros-plan de l’accusé tandis que son crayon court sur la feuille. Elle hésite, elle gomme, elle reprend. A la fin de la journée, elle a esquissé quelques portraits (Duch, un juge, un co-procureur…) de face ou de profil, plus ou moins serrés, et croqué une scène plus large où un homme siège face aux juges. En l’espace de cette seule journée, le regard s’est affuté, le coup de crayon a gagné en assurance. Pour Dalin, l’expérience est réussie.


A 18 ans, cette Cambodgienne timide et douée, met pour la première fois les pieds dans un tribunal. Pour la première fois aussi, elle s’attaque à un dessin très particulier, loin de la reproduction ou de la mise sur papier d’une scène imaginaire. « C’est difficile de dessiner parce qu’il y a toujours du mouvement, jamais de pose », explique-t-elle à la sortie du tribunal. Cependant elle explore ce nouveau champ avec plaisir et sérieux.


Elle doit sa présence au tribunal à quelques circonstances heureuses. D’abord l’association Taramana, qui organise le parrainage d’enfants défavorisés, repère son talent lors d’un concours de dessin entre les enfants parrainés. Elle décroche le premier prix à l’unanimité. Son talent impressionne. Elle est alors encouragée par son entourage à le travailler et l’approfondir. Dans cette affaire, elle reçoit le soutien inconditionnel de sa mère et de sa grand-mère. « Elles veulent que j’étudie ce que j’aime pour avoir un bon avenir et être capable de subvenir à mes besoins. » Le soutien financier de son parrain lui a rendu l’espoir de réaliser son rêve de devenir architecte ou designer. « Ce sont des métiers populaires dans mon école », glisse-t-elle en évoquant son envie de concevoir des bâtiments. Comme le pays se développe, cet avenir devient possible. En parallèle de ses études en classe de 12e, l’équivalent d’une classe de terminale, elle se prépare donc en suivant des cours à l’Université royale des beaux-arts où elle compte entrer l’année prochaine comme étudiante.


L’idée des dessins de procès vient d’un Français en stage aux CETC et de son contact avec les membres de Taramana. Ensemble, ils accompagnent ce lundi matin la jolie Dalin au procès de Duch. Dans l’enceinte du tribunal, en entendant les magistrats décortiquer la période khmère rouge, la jeune fille se souvient des récits de sa grand-mère et de sa mère sur le régime de Pol Pot, sur la survie, sur les morts dans la famille. Elle fait le lien avec l’histoire des siens. Et déterminée à construire son avenir, elle dessine.