Craig Etcheson répond aux co-procureurs




Craig Etcheson, interrogé par Alex Bates, co-procureur sur le départ. (Anne-Laure Porée)
Craig Etcheson, interrogé par Alex Bates, co-procureur sur le départ. (Anne-Laure Porée)



La surprise du jour

Ambiance molle à 9 heures ce matin au tribunal. Les habitués se demandent avec combien de minutes de retard les magistrats vont ouvrir la séance… Vingt minutes. Les juges s’installent, le président ouvre l’audience et annonce tout de go un huis-clos pour régler les questions soulevées par les parties la veille. Il faut sortir de l’ornière… Le public est prié de patienter une heure et demie selon les traductions khmère et anglaise, seulement une demie heure en version française. A cette réunion de mise en état, terme technique définissant ce type de mise au point entre les parties, les parties civiles sont priées de ne pas assister. Une décision dont Silke Studzinsky, avocate des parties civiles, se plaindra au nom de ses trois clients présents chaque jour à l’audience, arguant que l’accusé, lui, était à cette réunion. L’avocate réclame pour eux un traitement juste et équitable.


Que fait le public pendant que la Chambre cogite ?

Il y a ceux qui attendent : pause café, lecture ou cigarette, sieste ou jeux vidéo. Il y a ceux qui bossent : enregistrer le magazine télé de lundi consacré au procès, faire des interviews, écouter les histoires des villageois de Kompong Chhnang amenés par le DC-Cam, photographier le quotidien du tribunal.


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Une décision ponctuelle

Quand l’audience reprend à midi, la Chambre observe que « la défense reconnaît la qualité d’expert de Craig Etcheson et ne conteste pas son rapport », ni les documents placés en annexe qui, de fait, en constituent une partie intégrante. Par conséquent, « ces documents sont disponibles à la Chambre à des fins de décisions prises par elle ». Il ne sera donc pas nécessaire de procéder à la lecture de tous ces documents. Voilà qui est tranché. Cependant le problème n’est résolu que pour le cas de Craig Etcheson. La méthodologie n’est pas fixée de manière générale.


Expert jusqu’en juillet 2007

Après la pause déjeuner, la défense précise qu’elle distingue la période qui court jusqu’en juillet 2007, de la période qui suit. Pour elle, Craig Etcheson est un expert jusqu’à ce que Duch soit mis en examen. Une fois que ce dernier devient accusé, Craig Etcheson, qui travaille pour le bureau des co-procureurs, devient partie prenante versant accusatoire (« la voix de l’accusation »,  avait expliqué la veille François Roux) et n’est plus considéré par les avocats de l’accusé comme expert.


Les dates clés de l’histoire du PCK

A la demande des co-procureurs, Craig Etcheson revient sur l’évolution du Parti, de sa création en 1960 sous le nom de Parti des travailleurs du Kampuchea (Nuon Chea en est dèjà secrétaire adjoint), à la chute du régime. Il retient qu’en 1963 Saloth Sâr, alias Pol Pot, devient secrétaire général ; que le parti change de nom au congrès de 1971 pour devenir Parti communiste du Kampuchea (PCK), date à laquelle Khieu Samphan devient membre titulaire du Comité central ; et qu’au congrès de 1978 le PCK doit désigner de nouveaux  secrétaires de zone à la suite des purges.


Mort ou rééducation

La Constitution du Kampuchea démocratique définit dans son article 10 que « les activités dangereuses contraires aux intérêts de l’Etat du peuple doivent être condamnées au plus haut degré ». Cette peine la plus sévère est probablement la peine de mort. « Un très grand nombre de délits étaient passibles de la peine de mort au Kampuchea démocratique, explique Craig Etcheson. Ne pas travailler avec enthousiasme, ne pas travailler dur douze à quatorze heures par jour, c’était passible de la peine de mort. »

La Constitution stipule également : « Les autres affaires font l’objet d’une rééducation constructive dans le cadre d’organisations étatiques ou populaires ». Il n’est pas difficile d’interpréter la différence entre ce qui est écrit sur le papier et la réalité des camps de rééducation. « Si quelqu’un commettait une infraction légère ou mineure, il était condamné au travail forcé. Les conditions de vie étaient à tel point inhumaines que le taux de mortalité était très élevé parmi les détenus. Les auteurs de délits graves travaillaient jusqu’à mourir ou être exécutés. La discipline qui s’exerçait dans le Kampuchea démocratique était extrêmement arbitraire », conclut l’expert.


Le principe de l’indépendance poussé à l’extrême

Craig Etcheson est amené par le procureur à expliquer un des principes fondateurs promus par le PCK : l’autarcie et le contrôle de l’indépendance, ainsi que d’ébaucher ses dérives. Concrètement, ce principe s’est traduit, toujours selon Craig Etcheson, par un refus de puiser des conseils auprès d’autres pays dits communistes. Les dirigeants du PCK expliquaient l’échec des autres révolutions par le fait qu’ils n’avaient « pas réussi à éliminer les classes opprimantes, les capitalistes, les bourgeois, les classes féodales ». « Ils estimaient leur révolution unique. » Leur objectif était de « transformer la société afin d’arriver à un communisme pur. » Cette démarche, selon le chercheur, a ignoré l’ensemble de la théorie fondée par Marx, Engels, Lénine, Staline… « Les dirigeants du PCK avaient la conviction que par le biais de ce concept d’indépendance souveraine et l’annihilation des relations avec l’extérieur, ils pourraient devenir un modèle. »


La pureté selon les Khmers rouges

Les critères d’adhésion au parti, inscrits dans les statuts du PCK et rapportés par Craig Etcheson à l’audience, permettent de comprendre ce qu’est un homme pur pour les Khmers rouges. « Il doit avoir de bonnes mœurs, il doit être bon et pur politiquement, il doit ne jamais avoir été impliqué avec l’ennemi », résume Craig Etcheson. Un exemple typique selon lui de ces hommes aux biographies pures, ce sont les jeunes garçons recrutés par Duch à Kompong Tralach pour travailler à S21. Recrutés dans une région pauvre et éloignée, « il est peu vraisemblable qu’ils aient été influencés par des citadins, des capitalistes, ou des bourgeois. »


S21 aussi purgé

L’expert américain confirme ensuite que les cadres et les employés de S21 ont fait eux aussi l’objet de purges, comme toutes les autres structures dans le pays : « Certains cadres de S21 ont été arrêtés et envoyés à S24 pour y être rééduqués. Les registres de S21 montrent qu’une proportion importante ont fini par tomber dans la catégorie des victimes de S21 ».


Priorité nationale de chasse à l’ennemi

En décortiquant par la suite le fonctionnement des organes directeurs du Kampuchea démocratique (Comité permanent, Comité central, Bureau 870…), en citant la présence de Nuon Chea et Khieu Samphan aux plus hauts niveaux, en analysant les modes de communication entre ces structures et les zones, secteurs, districts, en étudiant la propagande du régime… il apparaît que tous les cadres khmers rouges ne pouvaient ignorer la ligne du parti, et que partout les priorités du régime étaient claires. Craig Etcheson se réfère ainsi aux rapports remis par les zones au Centre du parti, calqués sur un modèle laissant une place prépondérante aux questions de sécurité : « Les zones comprenaient que l’intérêt principal portait sur la chasse à l’ennemi de l’intérieur plus que sur l’économie et le développement ».


Communication verticale

Sur la base de ses recherches, Craig Etcheson décrit comment chacun devait rendre compte à son supérieur hiérarchique le plus proche. Il confirme que « communiquer par les voies officielles était quelque chose d’extrêmement respecté ». « En règle générale, dans l’ensemble de l’appareil administratif, politique et militaire, les communications se faisaient de manière strictement verticale. Cette règle était strictement appliquée », affirme-t-il. Les exemples ne manquent pas. A S21, si un détenu évoquait une communication qui sortait de ce rapport hiérarchique, vertical, c’était « considéré comme un acte de trahison ». Selon Craig Etcheson, ce type de communication était appliqué de manière encore plus accentuée dans le domaine militaire.


Le co-procureur sert la défense

Curieusement, en interrogeant Craig Etcheson sur un procès-verbal de réunion entre Duch et les commandants des divisions 170 et 290, Alex Bates semble faire le jeu de la défense. Cherche-t-il à montrer que Duch enfreint la règle, que S21 a des relations directes avec d’autres structures sans passer par le voie verticale ? « S21 rencontre des divisions, discute avec elles du nom des prisonniers, collabore pour les arrestations, dit le co-procureur. Comment cela s’inscrit-il dans le tableau général ? » La réponse de Craig Etcheson est claire : « D’après ce document, il y avait aussi à cette réunion Son Sen. L’accusé rendait compte au sommet de la hiérarchie du PCK et par le truchement de Son Sen coopérait avec les divisions pour procéder à ce qui a constitué des purges très importantes dans l’appareil militaire. » Duch agissait sous l’autorité de Son Sen, ce qu’il ne cesse de clamer depuis le début de son procès.