L’Assemblée plénière confirme le principe de la participation des parties civiles qui restent mobilisées



Chum Mey, en chemise rouge, a été élu ce dimanche 13 septembre président de l'Association des victimes du régime khmer rouge. Il sera épaulé par Chum Sirath assis à sa droite et par Bou Meng, survivant de S21 assis à sa gauche. Sunthary Phung Guth (à gauche) est nommée trésorière. (Anne Laure Porée)
Chum Mey, en chemise rouge, a été élu ce dimanche 13 septembre président de l'Association des victimes du régime khmer rouge. Il sera épaulé par Chum Sirath assis à sa droite et par Bou Meng, survivant de S21 assis à sa gauche. Sunthary Phung Guth (à gauche) est nommée trésorière. (Anne Laure Porée)




Lettre ouverte

Lundi 31 août 2009 les parties civiles, absentes du prétoire, adressent un message simple aux juges de la chambre de première instance : retrouver leurs droits, leurs avocats se relayant à la moindre occasion pendant les audiences pour exprimer leur désaccord et transmettre leur demande. Nil Nonn, pendant les dernières audiences, refuse à plusieurs reprises de revenir sur la décision prise le jeudi 27 août. Excepté ces rejets réitérés du président de la Chambre, mardi 8 septembre, les parties civiles n’ont pas reçu de réponse à leur requête. Elles font donc appel par le biais de leurs avocats de cette décision (c’est le premier appel dans ce procès contre une décision de la Chambre) et écrivent une lettre au président de l’Assemblée plénière Kong Srim et à la vice-présidente Silvia Cartwright en espérant qu’ils la présenteront à l’ensemble des membres de l’Assemblée plénière. Voici les termes de leur courrier :


« Nous, parties civiles, signataires de cette lettre, souhaitons porter à l’attention de l’Assemblée plénière notre inquiétude concernant la récente décision de la Chambre de première instance portant sur notre participation dans le procès de Duch. Cette décision semble indiquer que notre présence est remise en cause dans la procédure, contrairement aux engagements premiers de ce tribunal. Cela pourrait nuire gravement à sa crédibilité.

Nous ne souhaitons pas rentrer dans les débats qui opposent les différents systèmes de justice. Nous ne souhaitons pas être impliqués dans les batailles de procédure qui ralentissent la marche du procès et détournent l’attention du public du sujet principal. La seule chose qui compte pour nous, c’est que ce tribunal réponde aux victimes et à leurs familles qui attendent depuis trente ans que justice leur soit rendue. Il s’agit aussi pour nous de réhabiliter la dignité et la mémoire de nos disparus. Ce procès est un acte de reconnaissance essentiel pour eux comme pour nous.

Nous sommes là pour porter leur voix. Le fait que notre parole ne soit pas entendue par les juges pose un problème moral et éthique qui a des conséquences extrêmement graves pour les survivants et les familles des victimes, en particulier des conséquences psychologiques. Le traitement réservé à l’accusé jusqu’à aujourd’hui a plus préoccupé le tribunal, nous semble-t-il, que celui imposé aux victimes : temps de parole déséquilibré, pas de budget pour soutenir le travail de nos avocats, courtoisie excessive envers les anciens bourreaux quand certaines victimes n’ont pas même reçu les remerciements de la cour. Sachez que cette inégalité ronge certains d’entre nous comme un poison.

Mesdames, Messieurs les Juges, s’il vous plaît, n’abandonnez pas les victimes ! Acceptez que leur voix, notre voix, soit à nouveau entendue par tous. C’est certainement le meilleur moyen de pacifier notre âme par rapport à cette histoire difficile. Nous avons confiance en vous pour mener un débat juste sur ce sujet. »


La requête est signée notamment par Sunthary Phung-Guth, Chum Mey et Chum Sirath.


Une réponse de principe

L’Assemblée plénière qui a pour rôle de revoir le règlement intérieur du tribunal et de l’amender pour en améliorer le fonctionnement (en tenant compte des problèmes survenus au cours du procès de Duch), publie un communiqué le vendredi 11 septembre 2009 à l’issue de sa sixième réunion. Il prend clairement position pour la participation des victimes au processus judiciaire. C’est une réponse de principe aux inquiétudes des parties civiles qui craignaient d’être évincées des procès suivants. Si l’Assemblée plénière a voté le principe, elle n’a en revanche pas pris de décision sur le mode de participation sur lequel un comité de rédaction constitué de membres des différentes chambres et structures du tribunal doit désormais plancher.


Le terrain d’accord

Les engagements de cette assemblée concernent la  « demande unique de réparation collective et morale [qui] sera formulée au nom de l’ensemble des parties civiles, regroupées en un seul collectif », le fait que le collectif « sera représenté par des co-avocats principaux, assistés par les conseils des parties civiles » et enfin que des « dispositions spécifiques seront adoptées permettant, le cas échéant, de répondre à d’éventuels conflits d’intérêts ». Il est à préciser que toutes ces dispositions sont prises pour le cas numéro 2, pas pour le cas numéro 1.


Le balisage du procès numéro 2

L’Assemblée plénière a décidé d’adopter des mesures immédiates pour assurer le bon déroulement de l’affaire numéro 2, où sont poursuivis Khieu Samphan, Nuon Chea, Ieng Sary et sa femme Ieng Thirith. L’objectif est que la recevabilité des constitutions de parties civiles ne soit contestée pendant les audiences sur le fond, contrairement à ce qui a eu lieu cet été au procès de Duch. Pour y parvenir, les membres de l’Assemblée plénière ont décidé que toute personne qui voudra se porter partie civile, ne pourra le faire que jusqu’à quinze jours après la clôture de l’instruction. Après ce sera trop tard. Cela signifie également que les dossiers seront étudiés par le bureau des co-juges d’instruction qui statueront en fin d’instruction sur la recevabilité ou non de ces dossiers. La décision des juges d’instruction pourra être contestée soit par les parties, soit par les victimes mais tout se déroulera hors audiences publiques. Cette question sera évacuée en amont du procès.


D’où venaient les menaces d’exclusion ?

Les parties civiles n’ont pas imaginé les menaces qui pesaient sur leur présence à la procédure. Outre le signal donné par la décision de la Chambre de première instance qui leur supprimait le jeudi 27 août le droit de poser des questions sur la personnalité de l’accusé, certains magistrats, certaines ONG, estimaient après les premiers mois du procès de Duch qu’il serait souhaitable de trouver une autre manière de faire participer les victimes. Un des arguments était aussi de dire qu’il y a tellement de plaintes (plus de 2 000) dans le dossier numéro 2 qu’il serait impossible d’entendre tout le monde à moins de s’acheminer vers un procès fleuve avec des mois d’audience des parties civiles et le risque qu’un ou plusieurs accusés meurt avant la fin du procès. L’argument d’un procès ainsi retardé a été présenté par la juge de réserve Claudia Fenz à un panel d’ONG le 21 août à Phnom Penh. Selon le président de l’Assemblée plénière Kong Srim, des années de procès pourraient constituer « l’ultime échec de ce tribunal ».


Oubliées par l’actualité de nouvelles poursuites

Pendant que dans les coulisses de l’Assemblée plénière le bras de fer se poursuit entre les partisans de la participation des parties civiles et ses opposants, la presse oublie les parties civiles et se concentre sur les déclarations acides du Premier ministre Hun Sen contre de nouvelles poursuites lancées par le bureau des co-procureurs. En effet, cinq nouveaux noms d’anciens hauts responsables khmers rouges (qui restent confidentiels) ont été transmis aux juges d’instruction le 7 septembre, neuf mois après l’annonce publique d’un désaccord entre le co-procureur canadien Robert Petit et son homologue cambodgienne Chea Leang qui refusait ses poursuites. Il aura fallu neuf mois à la Chambre préliminaire pour constater son incapacité à trancher le désaccord. La procédure a donc suivi son cours comme le prévoit le règlement. Les juges d’instruction héritent de ce dossier tandis que le Premier ministre intervient fermement : « Si vous poursuivez sans penser à la paix et à la réconciliation nationale, et déclenchez la guerre civile, et que 200 000 à 300 000 personnes sont tuées, qui sera responsable de ça ? » Il assure bien entendu qu’il ne fait pas pression sur le tribunal. Il rappelle que la paix a été difficile à gagner. « Je ne laisserai personne, Cambodgien ou étranger, ruiner cette paix. » Se tournant vers le gouverneur de Païlin Y Chhien (ancien garde du corps de Pol Pot et commandant khmer rouge de la division 415) qui assiste à son discours, Hun Sen confie : « Ce n’est pas facile de sortir Y Chhien de la jungle ». Un peu plus tard le porte-parole du ministère de l’Intérieur précise que la stabilité du pays est plus importante que les CETC, insinuant qu’en cas d’insécurité, il serait mis fin au tribunal. Or à lire nombre de diplomates et observateurs du tribunal réagissant dans la presse locale, la guerre civile leur semble bien improbable.


Les parties civiles créent une association des victimes

Dans le contexte de la tenue de l’Assemblée plénière et des discours du Premier ministre, les parties civiles poursuivent leurs initiatives. Elles ont annoncé ce dimanche 13 septembre la création de leur Association des victimes du régime des Khmers rouges. Cette association, présidée par le survivant de S21 Chum Mey, assisté de Chum Sirath et Bou Meng (rescapé lui aussi de S21) s’est fixée quatre objectifs : « Organiser l’entraide matérielle et morale des victimes du régime khmer rouge ; perpétuer la mémoire et restaurer la dignité des victimes disparues ; veiller à ce que les futures générations n’oublient pas les méfaits de ce régime pour en empêcher le retour ; contribuer au développement de la liberté et de la démocratie chez le peuple khmer. » Les 33 membres fondateurs, tous parties civiles dans le cas numéro 1 ou dans le cas numéro 2 (voire dans les deux) persistent et signent pour faire entendre la voix des victimes et invitent les victimes ou familles des victimes à les rejoindre, sans distinction de classe, de tendance politique, de nationalité, de religion, de préférence sexuelle. « Nous continuons à suivre de près les travaux du tribunal pour les Khmers rouges et demandons la reconnaissance des droits légitimes des parties civiles afin que justice leur soit rendue » conclut Chum Sirath en qualifiant cette tâche « d’objectif immédiat ».


« Le train est déjà parti »

Interrogé sur la poursuite du boycott, Chum Mey a affirmé avec vigueur que tant que les parties civiles qui ont déclenché ce boycott attendent une réponse à leurs lettres avant de réintégrer le prétoire. « J’ai entendu des bruits disant que le train est déjà parti et qu’on ne peut pas revenir en arrière » explique Chum Mey… Mais, revenant sur son propre parcours de partie civile, évoquant l’opposition de l’équipe de défense de Nuon Chea à la présence des parties civiles au tribunal et la déclaration d’un magistrat selon lequel sans parties civiles ce tribunal n’aurait pas de sens, Chum Mey rappelle combien pour lui sa participation pleine et entière au procès était essentielle. Il convient des imperfections, il décrit le chemin du tribunal comme « une route rocailleuse » mais s’interroge sur les derniers obstacles dressés contre les parties civiles. Il fulmine que ses avocats n’aient pas pu interroger Duch sur sa personnalité. « Est-ce que les anciens élèves de Duch [invités comme témoins de moralité] sont venus laver Duch ? A l’époque où il était professeur, c’était un autre homme, différent de celui qui a assassiné des gens à Toul Sleng. Sa personnalité a changé » tranche Chum Mey avant de dénoncer les revirements de l’accusé. « Un jour il dit ceci, un jour il dit cela. »


Duch en ligne de mire

Chum Mey s’offusque des mots péjoratifs ou méprisants que Duch a osé asséner à son avocate Silke Studzinsky en audience. « Ce que vous dites, c’est de la merde dans un panier » aurait prononcé l’accusé contre l’Allemande. Chum Mey n’a pas qu’un exemple en tête. « Par conséquent, nous demandons à la Chambre d’examiner qui met la merde dans le panier. » « Duch a conduit à la mort 16 000 personnes, poursuit Chum Mey, je ne demande qu’une chose, c’est qu’il dise clairement qu’il a assassiné 16 000 personnes. Qu’il tergiverse ou vire de bord, ça ne m’intéresse pas. » Si les parties civiles cherchent à jouer un rôle, c’est bien aussi pour faire contrepoids à la défense. Chum Mey pointe le temps de parole inégal dans le prétoire et critique François Roux, avocat de Duch. « François Roux a dit que les avocats des parties civiles étaient trop nombreux par rapport aux nombre d’avocats de la défense. Il faut que François Roux comprenne que nous avons 16 000 victimes et qu’à notre sens les avocats des parties civiles ne sont pas assez nombreux. »


Les différences de traitement

Sur sa lancée, le survivant énumère ce qui le choque dans le traitement dont bénéficie Duch : « Ses souliers sont si brillants qu’on peut se voir dedans, ses vêtements sont toujours bien repassés, il a trois repas par jour. A S21, j’avais 2 cuillers de potage de riz par jour et encore ce potage n’avait de riz que le nom parce que c’était surtout de l’eau. Nous demandons que les juges considèrent cette disparité de traitement. » Chum Mey ajoute qu’il a entendu des gens suggérer que Duch soit vêtu comme un prisonnier cambodgien ou habillé de noir quand il comparaît parce que jusqu’ici il a presque l’air d’un avocat. Chum Mey note avec amertume que l’accusé a grossi depuis le début du procès. Puis il indique les souffrances auxquelles les parties civiles font face, que le tribunal semble ignorer ou ne pas voir.


La stèle pour les réparations collectives

Outre la gestion de cette douleur, ensemble, l’Association a également commencé à réfléchir à la question des réparations. Chum Mey rappelle que les réparations seront collectives. Il déplore qu’aucune réparation individuelle ne soit prise en compte. Cependant dans le cadre de  ces réparations collectives, il affiche une position très claire : « Je suis d’accord sur un seul point, la stèle. Les écoles, les routes, les hôpitaux… relèvent du rôle de l’Etat. » A quoi servirait un hôpital sans médicaments ? Une école sans moyens de l’entretenir ? questionne le survivant. « Notre souhait, c’est de recevoir un peu d’argent pour pouvoir faire des offrandes et honorer la mémoire de nos disparus. » Rien de plus.