Plus que deux semaines pour devenir partie civile contre les ex-dirigeants khmers rouges



Au musée Toul Sleng, les anciens bustes à l'effigie de Pol Pot ont été placés derrière des grilles parce qu'ils étaient dégradés par les visiteurs. A côté : les barres auxquelles étaient attachés les détenus, symbole de l'oppression khmère rouge. (Anne-Laure Porée)
Au musée Toul Sleng, les anciens bustes à l'effigie de Pol Pot ont été placés derrière des grilles parce qu'ils étaient dégradés par les visiteurs. A côté : les barres auxquelles étaient attachés les détenus, symbole de l'oppression khmère rouge. (Anne-Laure Porée)




Voilà deux ans et demi que le bureau des juges d’instruction planche sur le cas des ex-dirigeants khmers rouges sur la base d’un texte rédigé par les co-procureurs, le réquisitoire introductif, qui leur a été remis le 18 juillet 2007. Le contenu reste confidentiel puisqu’il comporte des éléments de preuve. Mais en substance, les co-procureurs accusent l’ancien bras droit de Pol Pot, Nuon Chea, l’ancien chef de l’Etat, Khieu Samphan, l’ancien ministre des Affaires étrangères, Ieng Sary, l’ancienne ministre des Affaires sociales, Ieng Thirith et l’ancien directeur de S21, Duch, d’avoir commis des crimes graves entre le 7 avril 1975 et le 6 janvier 1979.


Inculpations de génocide
Les charges qui pèsent contre eux ont été rendues publiques au fil de l’instruction. D’abord lors de leur placement en détention provisoire (pour quatre d’entre eux à l’automne 2007), il a été annoncé qu’ils étaient inculpés de crimes contre l’humanité (meurtre, extermination, emprisonnement, persécution et autres actes inhumains) et violations graves des Conventions de Genève de 1949. Plus récemment, en décembre 2009, Nuon Chea, Ieng Sary, Khieu Samphan et Ieng Thirith ont été inculpés de génocide commis à l’encontre des Vietnamiens et des Chams (qui sont des Cambodgiens musulmans pratiquant leur propre langue en plus du khmer). Duch, lui, n’est pas accusé de génocide.


Aucune certitude avant l’ordonnance de clôture
Est-ce que toutes ces charges seront retenues contre les anciens leaders khmers rouges ? Seront-ils tous poursuivis ? La question turlupine puisque jusqu’ici Duch reste dans le collimateur de la justice malgré 73 journées d’audience passées devant la Chambre de première instance et cinq journées de plaidoiries des parties. Le verdict concernant ses crimes et responsabilités à S21 conclura le procès numéro 1. Mais il faudra attendre l’ordonnance de clôture du dossier numéro 2 pour savoir s’il sera poursuivi de nouveau, sur des motifs différents du premier procès.
Cette ordonnance est l’étape-clé qui ouvre vers le procès des plus hauts responsables khmers rouges. Normalement… A moins que les co-procureurs n’objectent comme ils l’ont fait dans le cas de Duch, retardant le procès numéro 1 de six mois parce qu’ils voulaient que l’entreprise criminelle commune figure au rang des charges contre l’ex-chef de S21.


Requêtes et délais
Sachant qu’il leur est impossible d’être exhaustifs, les juges d’instruction estiment qu’ils ont, à ce jour, suffisamment d’éléments pour décider qu’un procès est nécessaire. D’où la fin des enquêtes. Mais il faut compter sur des équipes de défense tenaces pour multiplier les demandes de compléments d’enquête. Les avocats des parties civiles et les procureurs peuvent aussi soumettre leurs propres requêtes. Tous ont 30 jours pour se manifester. Après quoi les juges d’instruction acceptent ou refusent de procéder à ces enquêtes complémentaires, et justifient par écrit leur décision. Si les parties ne sont pas d’accord avec cette décision, elles peuvent faire appel auprès de la Chambre préliminaire, qui tranchera.


Un procès à l’horizon 2011 ?
Dans le cas où les juges d’instruction se lanceraient dans des enquêtes complémentaires, ils devraient de nouveau procéder à la même notification que le 14 janvier. Alors un délai de quinze jours permettrait encore aux différentes parties de contester ce complément d’enquête et seulement ce complément d’enquête. Dans le meilleur des cas, s’il n’y a pas d’obstacles, l’ordonnance de clôture pourrait être rendue en septembre. Au plus tôt, le procès numéro 2 débutera fin 2010.
Cependant le cas de Duch a réservé suffisamment de surprises pour que nombre d’observateurs ne croient pas à la tenue du procès numéro 2 avant début ou mi-2011.


Libérés avant leur procès ?
Les anciens dirigeants khmers rouges, âgés de 77 à 84 ans, tiendront-ils jusque-là ? La question est régulièrement posée en conférence de presse. Une fois encore, sur un ton rassurant, Reach Sambath, chef des relations publiques du tribunal, a expliqué jeudi 14 janvier que les détenus étaient en bonne santé et qu’ils bénéficiaient de contrôles médicaux réguliers. Hormis ces questions de santé, pour l’instant, celle de leur libération n’a pas encore été soulevée. Et pourtant… Le 19 septembre 2010, Nuon Chea atteindra la fin du délai légal de sa détention provisoire. Il devrait donc être libéré. Le 14 novembre 2010 sera la date butoir pour Ieng Sary et Ieng Thirith, puis le 19 novembre 2010 pour Khieu Samphan.


3 494 candidats partie civile
Chaque partie joue sa course contre la montre. Ceux qui ont désormais le timing le plus serré sont ceux qui veulent participer au procès en qualité de partie civile. Il leur reste deux semaines pour remplir le formulaire du tribunal et présenter les documents de base requis du type pièce d’identité. A la date du 31 décembre, 3 494 personnes ont demandé à se constituer partie civile dans le procès numéro 2. Dans le procès numéro 1, elles étaient 94. Certaines furent retoquées par la défense, et se sont retirées dans les dernières semaines du procès, faute de dossier complet ou cohérent. Sur ces 94 personnes, 55 se constituent partie civile aussi dans le cas numéro 2. A l’heure actuelle les plus grands nombres de parties civiles viennent des provinces de Kampot (ils sont 516), Kandal (338), Kompong Cham (387), Kompong Speu (306), Pursat (238) et Siem Reap (223).


Être plaignant sans être partie civile
Dans certaines provinces, le nombre de plaignants, c’est-à-dire des personnes qui ne se constituent pas partie civile mais s’estiment victimes du régime khmer rouge et livrent des informations au tribunal, dépasse de loin le nombre de constitutions de partie civile. Dans la province de Kompong Thom ils sont 614 plaignants à côté des 96 dossiers de partie civile. Dans la province de Kratié, ils sont aussi beaucoup plus nombreux : 397 plaignants pour 102 dossiers de partie civile. Dans la province de Takéo : 224 plaignants, qui ne seront donc pas partie au procès, contre 75 dossiers de partie civile. Sans surprise, c’est dans les anciens fiefs khmers rouges, Païlin et Oddar Meanchey, qu’il y a le moins de constitutions de parties civiles (13 à Païlin par exemple).


Focus de l’instruction
Pour faciliter la constitution de partie civile et livrer quelques éléments au public sur l’étendue de l’enquête, le bureau des juges d’instruction avait publié le 5 novembre 2009 :
–    une liste de coopératives et sites de construction sur lesquels ils enquêtaient en particulier (le barrage de Trapeang Thma à Banteay Meanchey, l’aéroport de Kompong Chhnang, le barrage du 1er janvier à Kompong Thom, le chantier de Srae Ambel à Kampot, les coopératives de Tram Kok à Takéo et S24);
–    une liste des centres de sécurité et sites d’exécution sur lesquels ils se concentraient (centre de sécurité de wat Kirirum à Battambang, différents sites à Kompong Chhnang; la prison de Kraing Ta Chan à Takéo, celle de Phnom Kraol dans le Mondolkiri, celle de O Kanseng dans le Rattanakiri ou encore le centre de sécurité de Siem Reap…)
–    enfin une liste d’actes dirigés contre l’ensemble de la population ou contre certains groupes (les déplacements de population le 17 avril et juste après; les déplacements de population dans certaines zones comme la zone Est en 1978; les conditions de vie, les traitements imposés aux bouddhistes, aux Vietnamiens, aux  Chams, dans certaines zones; les purges de la zone Nord et de la zone Est; les mariages forcés).

Le lien avec ces lieux et ces crimes sera déterminant pour la constitution de partie civile.



Pour info : L’Unité des victimes qui accueille toute personne souhaitant se porter partie civile se situe à Phnom Penh, au 6A rue 21, près du Monument de l’Indépendance. Tel : 012 84 28 61 ou 097 74 24 218 ou 023 214 291. Mail : victimsunit@eccc.gov.kh