Pourquoi le verdict de Duch se fait attendre ?


Voici quelques raisons évoquées à l’intérieur et à l’extérieur du tribunal :
Les juges de la cour suprême n’arrivent pas à se mettre d’accord sur la définition de ce qu’est « un haut responsable khmer rouge ». Ils doivent répondre à cette question puisque l’avocat de Duch, Kar Savuth, les a interpellés à ce sujet. Leur réponse aurait une incidence sur les cas numéro 3 et 4, qui font débat au Cambodge et dont le gouvernement ne veut pas.
Les juges doivent se prononcer sur la définition des parties civiles. Ce volet aurait une incidence sur le procès numéro 2, dont les audiences sur le fond ont a été repoussées à 2012.
Les juges auraient sous-traité une partie de la rédaction du verdict à l’avocat de Julian Assange (le patron de Wikileaks), lequel serait en retard dans le rendu des documents rédigés. Pourquoi la cour suprême externalise-t-elle une partie de la rédaction du verdict ? Les juges n’ont pas souhaité répondre.
De plus en plus de critiques s’élèvent contre les juges soupçonnés de faire traîner les délais pour rester en poste en attendant le prochain appel et profiter de leurs confortables salaires, lesquels ont été augmenté en début d’année 2011 pour être alignés sur ceux du tribunal de La Haye. Le salaire d’un juge international au Cambodge avoisinerait, selon différentes sources, les 12 000 $ par mois.
Des questions ont été envoyées aux juges sur certains de ces points. Ils ont répondu par un communiqué de presse expliquant que les appels du cas numéro 1 restent sous examen judiciaire et qu’ils comptent bien rendre un jugement avant la fin 2011. Mais ils ne donnent pas de date…

4 réponses sur “Pourquoi le verdict de Duch se fait attendre ?”

  1. Au début j’étais soulagée de voir que la communauté internationale daigne enfin se pencher sur le drame cambodgien. Quand Duch a été mis en accusation, je pensais que la justice existe et qu’elle va faire son travail… mais quelle supercherie! quelle comédie! ce boucher ne mérite même pas qu’on tergiverse sur son sort, toutes les preuves sont là… qu’attendez-vous pour enfermer à jamais ce monstre… Est-ce les salaires mirobolants qui vous poussent à trainer en longueur? n’avez-vous pas honte de toucher 12000$ (à vérifier) dans un pays oÙ le Cambodgien lambda tire le diable par la queue pour joindre les 2 bouts. C’est scandaleux et injustifié dans un pays oÙ le côut de la vie n’est pas identique à celui de l’Europe. Aujourd’hui dans le cas 2, vous avez des états d’âme sur le cas Ieng Sary: le pauvre il a été condamné en 1979, amnistié par le roi vers les annèes 90, faut-il le rejuger? faut-il appliquer la régle de Non bis in idem? pour moi ce raisonnement revient à dire que le « procès spectacle » de 1979 était VALIDE. Alors qu’attendez-vous pour faire appliquer la sentence?
    Encore une fois la communauté internationale a été grugée par vous Messieurs les juges et vous ne pouvez gagner ce salaire que grâce aux impôts des contribuables européen et international.
    Attendez-vous que tous les témoins, en mesure de parler, ne soient plus de ce monde pour finir votre boulot? Van Nath est déjà parti pour un monde meilleur – que son âme repose en paix – mais il a laissé des témoignages (ses tableaux, ses écrits) qui serviront je l’espère.

  2. Chambres Extraordinaires au sein des Tribunaux Cambodgiens (CETC) : ne plus attendre

    En avril 1987, des survivants de la tragédie cambodgienne et des experts du droit humanitaire international définissent leurs exigences de justice en ces termes : doivent être poursuivis les membres du comité permanent du comité central du Parti Communiste du Kampuchea (PCK), les membres du gouvernement de Pol Pot et les dirigeants de l’appareil de sécurité. Cette exigence est exprimée peu après lors d’un rassemblement devant le siège de l’ONU, à New York, conduit par le Prix Nobel de la paix et survivant d’Auschwitz et de Buchenwald, Elie Wiesel, et par le regretté Dith Pran, dont le destin venait d’être l’objet du film La Déchirure. Le Forum international des ONG au Cambodge, dont je fus le « conseiller diplomatique », exprimait la même exigence.

    C’était, depuis 1985, la position du gouvernement de Phnom Penh. Une position exprimée en vain tout au long des négociations devant aboutir aux accords de Paris de 1991. En toutes occasions, j’ai rappelé cette attente. J’ai souhaité la création des CETC et j’ai applaudi à leur mise en place. C’est en ami des CETC que je m’exprime.

    Une fois de plus dès, qu’il s’agit du Cambodge, observateurs et puristes regardent les défauts de l’institution plutôt que ses résultats positifs. Même si les CETC n’ont pas encore entamé véritablement le plus gros de leur tâche – mener à bien le dossier 002, c’est-à-dire le procès de Khieu Samphan, de Nuon Chea, de Ieng Sary et de son épouse Khieu Tirith – une liste des points positifs peut déjà être dressée.

    D’abord, le tribunal met fin à l’impunité des plus hauts dirigeants du Kampuchea démocratique encore en vie et ce n’est pas rien dans un pays où l’impunité sévit.

    Il permet d’établir une vérité : ce sont des Khmers qui ont ordonné l’élimination d’autres Khmers. Pas des Vietnamiens. La propagande des Khmers rouges affirmait, jusqu’à leur chute en 1998, que les massacres avaient été commis par les Vietnamiens. Ce rôle du tribunal me paraît capital, vu l’animosité chronique des Khmers à l’égard de leurs voisins.

    Le procès de Duch, directeur du centre de sécurité S 21, a permis d’apprendre beaucoup sur les rouages du Kampuchea démocratique, du PCK et de son appareil de sécurité. Son jugement, en khmer, a fait l’objet d’une publication très largement diffusée dans le pays. Il en ira de même du jugement des hauts dirigeants. Ces documents fourniront une information crédible sur leur responsabilité dans les crimes commis. 

    Du fait de son existence, le tribunal a débloqué la question de l’enseignement de cette période de l’histoire du Cambodge. Grâce au Centre de Documentation du Cambodge , un institut de recherche indépendant (http://www.dccam.org), un manuel des enseignants et un manuel pour les élèves existent et 750.000 exemplaires ont été distribués dans les écoles.

    Grande première dans la longue et lente marche de la justice pénale internationale, le tribunal de Phnom Penh est ouvert aux parties civiles. Pour le procès 002, le plus important puisqu’il concerne les décideurs, 3.987 personnes se sont constituées parties civiles, dont 3.721 sont des Khmers vivant au Cambodge. Ce qui dément l’affirmation selon laquelle le tribunal n’intéresserait que les Cambodgiens de l’étranger. Au contraire : le procès du seul Duch a attiré plus de 30.000 personnes aux audiences. Et les procès sont retransmis intégralement en direct à la télévision.

    Dans un pays où l’arbitraire, la corruption et l’incompétence font des ravages dans le personnel judiciaire, les CETC offrent globalement un exemple de bonne administration de la Justice.

    Enfin, et je conviens que cela intéresse davantage les juristes, le concept d’entreprise criminelle commune, né au procès de Nuremberg, mais jamais formulé comme à présent, est au coeur de l’acte d’accusation. Ce qui va renforcer la jurisprudence du droit international pénal.

    Il y a donc, à mes yeux, des avantages judiciaires, historiques, pédagogiques et sociaux à ces procès. Certes, le procès 002 ne permettra pas aux victimes de savoir qui a tué les êtres qui leur étaient chers. Mais il permettra de savoir qui a donné les ordres et pourquoi. Cette seule raison ne justifie-t-elle pas le procès ?

    Les CETC font l’objet de critiques. Elles sont connues tant elles sont répétées ad nauseam par la presse en langue anglaise qui paraît à Phnom Penh, relayée par certains médias étrangers. Je ne retiendrai qu’une seule, la moins fréquemment exprimée : la lenteur des travaux.

    Je suis le premier à expliquer qu’une bonne administration de la Justice demande du temps pour que les droits des parties soient respectés. Mais rien ne justifie de manière sérieuse le retard avec lequel le jugement en appel du procès Duch est rendu public. Rien ne justifie qu’on doive encore attendre plusieurs mois le début véritable du procès 002.

    Chaque mois qui passe fait augmenter la crainte de voir l’un ou l’autre des accusés quitter ce monde sans avoir été jugé. Alors que, déjà, ce procès va se dérouler en l’absence de Pol Pot, de Son Sen, de Ta Mok, de Ke Pauk, de Khieu Ponnary, de Yun Yat, tous décédés alors qu’ils auraient pu être jugés si la communauté internationale ne les avait pas protégés de 1979 à 1993. Chaque mois de retard coûte au Gouvernement du Cambodge et aux Etats qui participent au financement international des CETC. Chaque report des audiences nourrit la suspicion des adversaires du tribunal.

    Aujourd’hui, les délais requis par une bonne administration de la Justice ont été respectés. Plus aucune raison de justifie les retards que nous observons. Les magistrats jouissent d’une indépendance qui leur confère une responsabilité. D’abord à l’égard des victimes. Ensuite à l’égard du peuple cambodgien. Enfin à l’égard de la communauté internationale. Il appartient à la Chambre de Première Instance de se présenter sans tarder au rendez-vous à laquelle l’Histoire la convie.

    Raoul Marc Jennar
    Historien, docteur en études khmères, auteur de « Trente ans depuis Pol Pot. Le Cambodge de 1979 à 2009 », Paris, L’Harmattan, 2010 et de « Khieu Samphan et les Khmers rouges. Réponse à Jacques Vergès. » Editions Demopolis, à paraître fin de ce mois

  3. Cette situation est malheureusement à l’image du Cambodge actuel : la possibilité d’accumuler des dollars passe avant toute considération morale.

    Que ceux qui paient pour ce procès en tiennent compte, et que les salaires soient revus à la baisse. Ce procès trainera de toute façon.

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