« Je n’ai plus peur parce que le tigre a perdu ses crocs »


Ouch Son, 72 ans, témoignant sur ce qu'il a vécu  à M13. (Anne-Laure Porée)
Ouch Son, 72 ans, témoignant sur ce qu'il a vécu à M13. (Anne-Laure Porée)


Accusé d’être un espion, Ouch Son s’est retrouvé à M13 un jour de mars ou avril 1973, arrêté alors qu’il cherchait, dit-il, un cochon pour célébrer une fête religieuse. Au tribunal, il reconnaît Duch mais Duch ne le reconnaît pas. Duch se rend compte qu’il attendait un autre prisonnier, un coupeur de tête, qu’il avait appelé à devenir garde à M13. Sa confusion sème le trouble.


Pas un jour sans un mort

A son arrivée à M13, Ouch Son était enchaîné. Plus tard, il est détaché pour travailler à M13. Il cultive la rizière ou sert dans l’enceinte du camp : « On m’a demandé de creuser des fosses, de porter du bois pour fabriquer des abris pour protéger les fosses des bombardements. » Duch tentera plus tard de le recruter comme garde.


« J’ai vu perpétrés des actes de torture. Il ne se passait pas un jour sans qu’un détenu meurt », commence Ouch Son. Très vite un juge l’interroge sur le nombre de détenus à M13, sachant que Duch a estimé le nombre entre 200 et 300 détenus en quatre ans de fonctionnement. Le témoin, lui, propose une estimation entre 2 000 et 3 000 prisonniers, à son arrivée à M13. Il évalue entre 30 et 40 enfants. Le juge demande à Ouch Son s’il avait des problèmes de vue en 1973, l’homme affirme que non. Néanmoins, la Défense constate la variabilité des chiffres livrés par le témoin, par exemple le nombre de morts par jour (« au moins 3 morts par jour », « 10 à 20 morts par jour de famine », « en moyenne 5 à 7 morts par jour »). Pourtant elle ne le questionne pas.


Qui a tiré en pleine tête ?

Ouch Son décrit les fosses de M13 dans lesquelles étaient détenus 20 à 30 prisonniers, les attaches des détenus, les repas de gruau, la faim et la maladie, les conditions de vie en cas de pluie. Il confirme sa déposition comme quoi il y avait plus de morts de faim que de morts par torture. Cependant il a vu des séances de torture, des prisonniers ligotés et immergés dans l’eau par exemple ou des détenus frappés avec un bâton. Il a assisté, par « accident », à des exécutions. Il détaille en particulier « Ta Chan » tirant sur un des hommes attachés aux poteaux de torture de M13. « Il lui a tiré dessus, dans la tête, pour faire peur aux autres prisonniers. Moi j’étais en train de balayer. J’ai nettoyé le sang tout autour. » L’homme dénoncé par Ouch Son sera plus tard le fidèle adjoint de Duch à S21, en charge des interrogatoires. Trente cinq ans après, le témoin cite sans la moindre hésitation le nom du bourreau tandis que Duch déclare : « Je peux seulement vous confirmer que la personne qui a tiré n’était pas Chan. »


Ce que Duch nie en bloc

Enfin, Ouch Son se rappelle d’autres sinistres détails comme la présence de pinces et d’aiguilles destinées à la torture, et celle des chiens emportant les os déterrés des charniers. Sur ces points, Duch nie en bloc.


D’après Ouch Son, le directeur de M13 n’était jamais présent au moment des faits de torture ou d’exécutions dont il a été témoin. A l’exception d’une fois où il assure avoir vu Duch frapper une détenue avec un bâton, passer le relais à un garde et donner une claque sur les fesses de la femme en riant. Duch  réplique : « Je sais que son témoignage reflète sa souffrance. […] Le témoin a dit plus que ce qui s’est réellement passé. 1- Lorsque j’interrogeais une femme, je faisais en sorte qu’aucun détenu ne me voit le faire. 2- Je n’ai jamais frappé de femme détenue. 3- Lorsqu’un détenu était frappé, personne ne m’aidait. » Ouch Son maintient son témoignage. Désemparé, Duch hausse les épaules face à la caméra en souriant, entraînant le rire du public.

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