Les problèmes de traduction font l’unanimité, pas les documents du DC-Cam

Les énormes et constants problèmes de traduction (déjà mentionnés dans ce blog à la date du 6 avril) ont été posés comme un problème grave qui nécessite des mesures sérieuses et rapides de la part du tribunal. « Tous les échos qui me parviennent nous disent que nous perdons au moins 50 % des paroles qui sont prononcées en khmer, a argumenté François Roux en début de matinée. Nous sommes dans une audience de justice. Il n’est pas pensable que l’on continue à travailler comme cela ! » La défense a ainsi demandé à la cour d’imposer à l’administration du tribunal de régler la question afin que les traductions soient fidèles et que chaque jour les transcriptions soient vérifiées par des personnes compétentes. « A la fin de nos débats, votre chambre rendra une décision sur la base des paroles qui auront été prononcées ici. Je ne veux pas imaginer ce qui peut se produire si dans votre décision manquent des propos qui auraient été tenus, ou pire encore, si des propos tenus sont totalement déformés. Je vous donne un seul exemple. Hier matin, alors que le témoin parlait de « trois fosses », il m’est arrivé dans les écouteurs la traduction « trois prisons ». »


La légitimité du verdict en cause

A ce jour, rien n’a changé dans le système de traduction : quand un Francophone s’exprime, ses propos sont traduits en khmer à partir de leur version anglaise et quand les Cambodgiens s’expriment, leurs paroles sont traduites en français à partir de l’anglais. Après un petit appel à ce que tout le monde fasse un effort pour parler lentement et être concis, François Roux a regretté les moyens insuffisants donnés dans ce tribunal à la traduction.

Sur ce point la défense a été vivement soutenue par les co-procureurs. « Il est de la plus haute importance pour l’intégrité des procédures et la légitimité du verdict final que la traduction ne soit pas remise en cause et soit fiable » a insisté Khan, avocat des parties civiles avant de demander la nomination d’un expert indépendant pour vérifier les traductions depuis le début. « Quand nous auront les statistiques sur la véracité et la fiabilité des interviews, nous pourront évaluer le problème, son échelle et quel remède est approprié » ajoutant qu’il serait prudent de ne pas repousser cette question.

Philippe Canonne, lui aussi avocat des parties civiles a renchéri : « Il est important que le jugement final soit fondé en droit et équitable au plan humain. Je crains que dans ce débat une partie de la vérité nous échappe simplement parce que nous ne comprendrions pas ce qui nous est dit. »


Débat sur les documents versés au dossier

L’unanimité des parties s’arrêtait à cette question de traduction car la deuxième requête de la défense a fait l’objet de vifs débats. Au cœur de cette requête figurent un rapport sur M13 et des entretiens réalisés par le Centre de documentation du Cambodge (DC-Cam) et un entretien réalisé en 1999 par Christophe Peschoux, du Haut Commissariat des Nations unies aux droits de l’Homme (voir Citation du jour), sur lesquels les co-procureurs aimeraient débattre.

Les positions sont les suivantes :

– la défense regrette que les co-procureurs n’aient pas présenté tous les documents aux co-juges d’instruction (le rapport sur M13). Elle dénonce la nature des documents réalisés par le DC-Cam.

« Ils peuvent servir sans doute à une ONG, en aucun cas à une preuve judiciaire, a plaidé François Roux. Je vous en donne un seul exemple. A partir de l’une de ces interviews, l’ONG a établi un rapport très largement publié et qui est au dossier, et dans ce rapport, sans aucun recul, sans aucune vérification, cette ONG a informé le public qu’il y avait eu 30 000 morts à M13. Pouvons-nous sérieusement, après avoir entendu contradictoirement dans cette audience certains témoins, continuer à laisser dire et écrire qu’il y aurait eu 30 000 morts à M13 ? Nous sommes là pour faire œuvre de justice et pas œuvre de propagande de quelque côté que ce soit. Au nom de la défense, je vous demande donc d’écarter ces documents qui ne sont pas professionnels. »


La défense aurait-elle failli ?

– du côté des co-procureurs et des parties civiles, il n’est pas possible de rejeter tous les documents qui n’auraient pas été montrés aux co-juges d’instruction. « Toute preuve est admissible », argumente Khan au nom de la règle 87 du règlement intérieur. Pour lui, il n’est pas non plus nécessaire que tous les documents soient authentifiés par des témoins. Abondant dans son sens, le co-procureur cambodgien ajoute : « Si le document n’a pas été sujet à l’objection de la défense, ce document ne peut être écarté, ce document peut donc être considéré. La seule question qui se pose c’est l’importance du document. » Bref, la défense aurait dû contester ces documents plus tôt. « La règle 76-1.1 du règlement intérieur établit qu’un vice de procédure et en particulier la nullité d’un document versé au dossier doit être effectué pendant la phase d’enquête. » Donc c’est trop tard. « La défense a droit de dire qu’on doit accorder moins de poids ou pas du tout à telle déposition. parce qu’il n’y a pas de garantie judiciaire, parce qu’on ne sait pas quelle a été la formation des enquêteurs ou parce que la traduction n’est pas exacte. Certains documents du DC-Cam peuvent être plus utiles que d’autres devant cette chambre, certains contiennent des questions pertinentes. Chaque document pris dans son individualité doit être jugé pour sa propre valeur. »

Philippe Canonne rappelle que « c’est l’utilité des débats de confronter l’ensemble des renseignements dont nous disposons » et demande à la cour de trancher, « pour que nous sachions le sort réservé à ces documents, qu’une décision soit prise et un mode opératoire défini et nous n’y reviendrons pas. » Il mentionne qu’aucune requête en nullité n’ayant été formulée par le défense auprès des juges d’instruction, le débat est inutile. La brèche s’est largement ouverte, François Roux s’y engouffre, non sans plaisir.


Les adversaires mouchés

« La procédure est la sœur jumelle de la liberté », déclame François Roux. Citation solennelle qui annonce l’estocade. Morceaux choisis :

« De quoi parlons-nous ici ? On me parle de la règle 76 de notre règlement intérieur sur les requêtes en nullité pour vice de procédure et on voudrait donner des leçons à la défense en disant ‘Mais comment donc ! Il vous appartenait de demander la nullité des pièces de procédure avant la clôture de l’instruction et maintenant c’est trop tard !’ Merci mes confrères pour ce rappel. De quoi parlons-nous ici ? Est-ce que quelqu’un veut me prétendre ici qu’une interview réalisée par le DC-Cam est une pièce de procédure ? Au sens juridique du terme ? Voulez-vous que je vous rappelle ce qu’est une pièce de procédure en droit de la civil law ? »


Retour à la définition

Bien sûr François Roux ne s’en prive pas. Il repose la définition de ce qu’est une pièce de procédure, qui pourrait, elle faire l’objet d’une demande de nullité. Or les documents incriminés ne sont justement pas des pièces de procédure au sens juridique du terme. « Les documents dont nous parlons ne sont pas des procès-verbaux ! Même si ils voudraient avoir l’air d’un procès-verbal… Mais un procès-verbal est un document officiel réalisé par des personnes assermentées et, en civil law, des personnes qui sont sous le contrôle des juges d’instruction. »


Les contradictions des co-procureurs

Il épingle au passage la logique des co-procureurs qui demandent la production de dossiers contradictoires. Il cite deux des documents controversés, à commencer par le rapport sur M13 : « Ce centre sert à détenir et éduquer les coupables condamnés à des peines légères, il y a de 250 à 300 prisonniers ». Puis il cite le rapport de DC-Cam,  dans lequel un ancien prisonnier de M13, Ham In a estimé que de la création de M13 à sa mutation à la prison de Tuol Sleng, 30 000 prisonniers ont été tués. « A vouloir trop prouver, voilà où ça vous mène. »

François Roux demande à la chambre de déclarer inadmissibles ces documents parce qu’ils sont « dénués de pertinence, insusceptibles de prouver ce qu’ils tentent d’établir et répétitifs » par rapport à d’autres documents. « Et j’anticipe, nous retrouverons évidemment ce débat avec la question du film que DC-Cam veut introduire dans ces débats. Film sur lequel la défense a travaillé de son côté et qui réserve quelques surprises. »

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