Him Huy raconte la machine S21


Him Huy est concentré et il n'a pas l'air intimidé par son ancien directeur. (Anne-Laure Porée)
Him Huy est concentré et il n'a pas l'air intimidé par son ancien directeur. (Anne-Laure Porée)


Him Huy était chef adjoint à la sécurité à S21, en charge du périmètre autour du complexe S21. Il était responsable des gardes, de la réception des prisonniers et de leur transport vers les lieux d’exécution. Né dans une famille paysanne de Kôh Thom (dans la province de Kandal), il ne va pas longtemps à l’école, contraint par la maladie de son père à prendre le relais dans les rizières. Au début des années 1970, il a 17 ou 18 ans et les Khmers rouges l’embrigadent. « Que je le veuille ou pas, j’ai dû y aller » rapporte-t-il dans le livre de Rithy Panh et Christine Chaumeau La machine khmère rouge Monti Santésok S21. Il est évidemment formé aux techniques militaires mais aussi éduqué à la révolution. Le 17 avril 1975, alors que les troupes khmères rouges prennent Phnom Penh, il combat à proximité de Takmao dans l’unité spéciale de la division 703, au sud de la capitale. Son commandant le recrute avec quelques autres pour travailler à S21 fin 1976, dit-il. Dans un premier temps il est simple garde. Promu par Hor (l’adjoint de Duch), il prend du grade au fil des purges internes à S21 pour assumer un ensemble de responsabilités attachées à la sécurité et aux prisonniers. Il affirme avoir quitté S21 à la mi-1978, non pour être rééduqué mais simplement pour travailler dans les rizières et aux travaux de force dans les environs de Prey Sâr. Il ne sait pas à quoi est dû ce changement d’affectation. En 1983, il est arrêté parce que pris pour le directeur de S21. Il est relâché dix mois plus tard.


Incident de démarrage

Dans le prétoire, Him Huy décrit sa vie entre 1970 et 1975 comme l’en a prié Nil Nonn. Le regard baissé, il détaille longuement sa biographie. Alain Werner est intrigué, il interrompt deux fois le récit pour savoir si le témoin lit un document. Le président s’étonne. Him Huy nie. Cependant l’huissier vérifie par acquis de conscience et attrape un épais dossier qui, après examen, n’est autre qu’un document qui lui a été remis la veille par le tribunal. L’incident est clos. Him Huy aurait bien du mal à lire avec fluidité, il a peu été à l’école et en a gardé cette habitude d’ânonner à voix haute comme les enfants qui apprennent à lire dans les écoles cambodgiennes.


S21 s’appelait S21

Le président Nil Nonn entre dans la vif du sujet par une question a priori anodine. « Quel était le nom de votre lieu de travail ? » « S21, dès le début » répond Him Huy sans une hésitation. Si les gardes parlaient de S21, pourquoi auraient-ils aussi évoqué l’école Toul Svay Prey ou l’école Toul Sleng comme en témoignait Lay Chan le 7 juillet 2009 pour justifier qu’il avait été incarcéré à S21 dont il avait plus tard été libéré dans des conditions étranges.

La hiérarchie à S21 est également évidente pour Him Huy. « Le directeur était Duch et Hor, Ta Hor était son adjoint. Frère Grand Huy [Huy Sraè] travaillait à Prey Sâr. » L’organisation relatée par le témoin correspond aux descriptions de l’accusé : « Les gens affectés à l’intérieur de l’enceinte n’étaient pas les mêmes qu’à l’extérieur. »


Des conditions de détention conformes aux propos des survivants

Les conditions de détention des prisonniers sont conformes aux témoignages des survivants. Les femmes détenues sont enfermées dans des cellules collectives sans entraves ni menottes. Les hommes en cellules collectives sont lavés au tuyau d’arrosage. Les rations alimentaires sont d’une louche et demie à deux louches de bouillon clair par repas (« une soupe à base de bananier », précise Him Huy). Le témoin se souvient de la mauvaise odeur qui imprégnait les lieux pas assez nettoyés et des prisonniers qui réintégraient leur cellule avec des marques dans le dos. Him Huy énonce quand il le peut dans quel bâtiment étaient enfermés quels prisonniers sans prétendre à une connaissance exhaustive.

La réception des prisonniers

A S21, les gardes n’avaient pas d’horaires de travail, ils travaillaient selon les besoins. Ils logeaient à leur poste, dans une maison qui se situe au niveau de l’actuelle radio Abeille (Sambok Khmoum), rue 360, une rue située au sud du musée du génocide, tout près du boulevard Monivong. De là ils surveillaient qu’aucun véhicule ne pénétrait dans le périmètre de S21. Quand ils étaient moins débordés, ils se consacraient à leur élevage de volailles.

Une des tâches principales de l’unité de Him Huy consistait à y réceptionner les prisonniers, envoyés par exemple par un ministère ou une unité militaire. « Pour la division  310, on nous a amené des gens en véhicule à S21, se souvient Him Huy. Ils arrivaient déjà menottés. » Mais les futurs détenus de S21 ne sont pas toujours attachés comme ces étudiants venus de France à qui l’on fait croire qu’ils changent de lieu de travail. « On les faisait entrer dans une pièce et asseoir à une table, explique Him Huy, et à ce moment-là on procédait à leur arrestation. » La réception de ces prisonniers-là était annoncée par Pang, un homme qui assurait la liaison entre le bureau des messagers de Phnom Penh et S21. La réception des autres prisonniers était notifiée par Duch et Hor.

La réception des prisonniers pouvait également avoir lieu hors de Phnom Penh. Le témoin rapporte plusieurs cas de missions à Battambang, Kompong Som, Svay Rieng destinées à récupérer des personnes déjà arrêtées. Il chiffre avec rigueur ces expéditions : « Quand nous sommes allés Battambang, nous avions deux Land Rover. Pour aller à Kompong Som, nous n’en avions qu’une seule et une équipe de quatre personnes. A Svay Rieng, nous étions quelques-uns et un chauffeur en plus. » Dans une Land Rover tenaient 6 à 7 détenus et 4 à 5 gardes selon Him Huy.


Le transport des détenus

Quand l’équipe des gardes de S21 récupère les prisonniers, elle leur bande les yeux, leur attache les mains dans le dos avec des menottes automatiques et bloquent leurs pieds dans des entraves. Ils se doivent de rester vigilants tout au long de la route qui les ramène à Phnom Penh. Le président de la cour, Nil Nonn, se délecte à interroger Him Huy. Lui qui aime les détails pratiques se demande comment les prisonniers faisaient leurs besoins pendant le trajet. « Ils n’avaient pas le droit de faire leurs besoins, tranche Him Huy. Nous avions peur qu’ils en profitent pour prendre la fuite. Ils faisaient comme ils pouvaient. » Ces détails crus caractérisent une étape dans la déshumanisation.


Les arrestations

Jusqu’ici, Duch a toujours nié que S21 ait joué un rôle dans les arrestations de prisonniers. Him Huy apporte une version contradictoire. Il était aux premières loges puisqu’il procédait à certaines arrestations à Phnom Penh. Et il mesure la nuance du vocabulaire : « Lorsqu’il y avait des arrestations hors de Phnom Penh, ce n’est pas nous qui faisions les arrestations. Nous procédions à une réception des personnes déjà arrêtées. »  Sur ordre direct de Duch, Pang, messager de Phnom Penh, est arrêté à son domicile, il est donc impossible de la confondre avec un autre. Pour d’autres, « comment faisiez-vous pour identifier les personnes à arrêter ? » s’enquiert Nil Nonn. « Nous recevions nos instructions avant de procéder à l’arrestation et lorsque nous arrivions à l’endroit indiqué, il y avait un ou deux cadres qui avaient déjà pré-organisé l’arrestation pour nous montrer les gens qu’il fallait arrêter. […] Par exemple les deux cadres qui étaient là, nous ne les arrêtions pas, nous arrêtions seulement les gens qui étaient assis un peu plus loin. C’était eux les cibles. »


L’enregistrement des prisonniers

L’arrivée des prisonniers a toujours lieu au poste de garde contrôlé par Him Huy. Là, ils ont les yeux bandés et sont escortés jusqu’à la prison. « Pour les grands groupes qui étaient arrêtés, ils étaient liés ensemble par une corde au cou et on les escortait en marchant jusqu’à la prison. Parfois quand les prisonniers arrivaient en grand nombre on les enfermait dans une maison qu’on verrouillait de l’extérieur, on les faisait se déshabiller, ils n’avaient pas la possibilité de protester. » Pour effectuer le trajet jusqu’à S21, un garde dirige le groupe en tirant sur la corde tandis que les autres donnent des ordres aux prisonniers pour qu’ils tournent à droite ou à gauche.

Une fois dans S21, les prisonniers sont enregistrés au bureau de Suos Thy, localisé à l’entrée de l’actuel musée du génocide. Suos Thy inscrit leur nom et une biographie sommaire. Ils sont ensuite photographiés avec un numéro de matricule. « [Suos] Thy les faisait passer à Peng [chef des gardes] qui les répartissait dans les cellules individuelles et collectives. » C’est au bureau de Suos Thy qu’a lieu la passation des prisonniers entre les gardes de l’extérieur et les gardes de l’intérieur.

A l’époque des purges dans la zone Est, les prisonniers arrivent en trop grand nombre. Au poste de la rue 360, les hommes de Him Huy prennent la place des gardes et des chauffeurs qui viennent d’accompagner les prisonniers et conduisent les nouveaux détenus en camion jusqu’au portail d’entrée de l’enceinte de S21. « On les faisait descendre du camion un par un pour ne pas semer la panique parmi ceux qui étaient encore à bord du camion. » Ils sont placés dans le bâtiment sud. « Les gens qui étaient arrêtés en nombre important n’étaient pas encore enregistrés. On les plaçait en cellule d’abord et ensuite on recueillerait les biographies et les photographies. »



Nil Nonn pose ses questions jusqu'à 15h27. (Anne-Laure Porée)
Nil Nonn pose ses questions jusqu'à 15h27. (Anne-Laure Porée)


Nil Nonn pédagogue

La manière dont le président de la cour accapare la parole et s’installe presque dans une conversation avec Him Huy, sa façon de répéter les réponses du témoin, donnent l’impression d’une audience poussive. Mais dans la salle, les centaines de villageois venus assister pour la première fois au procès ne perdent pas un mot des paroles de Him Huy. Certains se disputent même pour avoir la place face à l’écran et être au plus près de l’image du témoin. Pour un public qui ne connaît rien de S21, la démarche de Nil Nonn semble pédagogue et efficace. Il pose ses questions une par une, il reformule avec un plaisir certain et une volonté de faire comprendre. Him Huy ne cultive pas la tournure de phrase, il fait des réponses directes et simples, ce qui facilite l’attention de l’audience et même la captive.


Le classement des prisonniers

Tous les prisonniers arrivés au poste de Him Huy n’étaient pas dirigés vers S21. « Les prisonniers importants étaient détenus dans la prison. Ceux qui étaient de moindre importance étaient envoyés à Prey Sâr. » Ils sont donc classés. Sur ordre de qui ? « Je ne sais pas très bien, avoue Him Huy. Seuls Hor et Duch avaient le pouvoir de donner l’ordre de les envoyer à Prey Sâr. » Des hommes sous autorité de Him Huy accompagnaient les prisonniers destinés à S24. Parmi eux, des hommes, des femmes, des enfants de tous âges. Les enfants suivaient leurs parents.

Les détenus étrangers, eux, étaient arrêtés par un autre groupe. Parmi eux, Him Huy se rappelle avoir vu des « grands costauds très poilus » dans S21. Les seuls étrangers qu’il ait eu à aller chercher ou à réceptionner furent des soldats vietnamiens.


« A S21, le patron c’était Duch »

Aller chercher les soldats vietnamiens : « C’est un ordre direct de Duch ». En pareille circonstance, l’équipe de Him Huy circule dans le pays grâce à une lettre confiée par Hor portant la signature de Son Sen. Pour les opérations sur Phnom Penh, les ordres provenaient de Duch transmis par l’intermédiaire de Hor.

Him Huy ne sait pas si Duch transmettait ses ordres à Hor par écrit ou oralement mais il signale que ses deux supérieurs avait une ligne téléphonique directe. « Nous recevions la plupart de nos ordres de Hor parce que Hor était mon supérieur direct. » Cependant le président insiste. « Oui j’ai aussi reçu des ordres de Duch », convient le témoin.

Nil Nonn s’interroge sur qui ordonnait les arrestations de membres du personnel. « A S21, le patron c’était Duch. Seul lui pouvait donner l’ordre d’arrêter ainsi. » Hor, selon Him Huy, n’avait pas le pouvoir de donner un ordre d’arrestation. Outre que Duch est directeur de S21, le témoin a d’autres raisons de penser qu’il était l’auteur de ces décisions : « A l’époque je n’ai pensé à d’autre raison, tout simplement il était le supérieur hiérarchique suprême à S21. Et toute personne impliquée dans une confession, eh bien, son sort était tranché par Duch. » Même chose pour Prey Sâr. « A Prey Sâr, les gens qui commettaient des erreurs ou étaient compromis dans une confession, leur sort serait déterminé par le chef de S21, c’est-à-dire par Duch exclusivement. »


Les purges internes à S21

A plusieurs reprises le témoignage de Him Huy insiste sur les purges internes à S21. « En 1977, des cadres de S21 ainsi que des combattants ont été arrêtés à cause des allégations de soldats arrêtés et venant de la division 703. Ils ont compromis dans leurs aveux des membres du personnel de S21. A partir de ce moment-là, des membres du personnel et des cadres de S21 et de Prey Sâr ont été arrêtés de manière continue. » Le témoin estime que les unités travaillant à Toul Sleng représentaient 400 personnes au total, dont 300 gardes. « Vers la fin ils n’étaient plus que 50 ou 60 » pense-t-il. L’arrestation de Huy Sraè, en charge de Prey Sâr, symbolise cette paranoïa à S21. Sa famille, ses frères et sœurs ont également été interpellés.

Him Huy pense que les purges ont davantage touché les membres de la 703e division qui composait la majorité du personnel de S21, à côté des gens recrutés vers Kompong Chhnang. Les questions du juge Ya Sakhon permettent de mettre en évidence un conflit entre Hor et Duch, le directeur aurait accusé son adjoint de parti-pris pour la 703e division.


Les exécutions

L’internement à S21 signifie la mort. Selon les informations fournies par le témoin, les détenus qui mouraient à la prison des suites d’une maladie ou de la torture étaient enterrés dans le périmètre de la prison. « A l’origine, c’était la section des gardes de Peng qui creusait les fosses », indique Him Huy.

Au début, les détenus destinés à l’exécution étaient emmenés dans la partie sud du complexe de S21, le soir, pour y être exécutés. D’après le témoin, les soldats vietnamiens ont ainsi été conduits au sud-ouest du complexe de S21. Même zone pour les étrangers occidentaux dont il suppose que les corps ont été brûlés avec des pneus près de l’église de Bethléem, après leur assassinat. Le président est surpris par l’assurance du témoin dans cette déposition. « Vous êtes appelés à dire à la cour ce dont vous avez été témoin. Vous n’avez pas à formuler des hypothèses ou des inférences à partir de vos opinions. Contentez-vous de dire à la cour ce que vous avez vu, entendu, su. » Him Huy confirme : « J’ai bien cela à l’esprit monsieur le président. La pratique en vigueur à S21 était de brûler les corps de gens qui avaient déjà été exécutés. C’était une procédure exceptionnelle, parce que d’habitude on enterrait. »

En 1977, Choeung Ek est choisi pour servir de lieu d’exécution.

Cependant les cadres importants restaient exécutés près de Toul Sleng. « On ne les emmenait pas à Choeung Ek », assure Him Huy. Le personnel de S21 objet de purge subissait le même sort, semble-t-il.


Le transfert vers Choeung Ek

La procédure à suivre pour réduire en poussière un ennemi était réglée minutieusement. Le transfert aux charniers de Choeung Ek a lieu de nuit. « La liste des détenus devant être éliminés avait été dressée par Ta Hor, Try et Peng. Je ne sais pas comment ils procédaient mais ils connaissaient le nombre de détenus à transférer. » Vers 18 h 30, les prisonniers sont sortis de leur cellule. Un camion les attend à l’entrée principale. « On faisait monter les détenus dans le camion en utilisant une chaise comme marche-pied. » Les détenus sont entravés et leurs yeux bandés. « Hor disait aux gardes de dire aux détenus qu’on les transférait vers un nouveau lieu d’hébergement. L’équipe de transport avait pour consigne d’utiliser cette formule type. »


Les préparatifs mortuaires

A l’arrivée, les camions stoppent près d’une maison. « L’unité qui était là, chargée de réceptionner les prisonniers, allumait les générateurs, allumait aussi les lumières de la maison. » Le président demande la puissance du générateur. Him Huy ne la connaît pas mais il précise : « Il y avait dix lampes qui pouvaient fonctionner en même temps. Des lampes fluorescentes qui faisaient de 50 à 60 cm de long. » Les prisonniers reçoivent l’ordre de descendre des camions. Ils entrent un par un dans la maison. « Après cela, on allumait les lumières près des fosses pour préparer les exécutions. » Un détail à toutes fins utiles au cas où quelqu’un voudrait faire croire à des exécutions par dizaines dans l’obscurité, au clair de lune ou à la lampe à pétrole.

Him Huy vérifie la liste, les noms, il s’assure que le nombre total de prisonniers est juste. « Sinon j’aurais eu à rendre des comptes. » La liste est ensuite rendue à Phnom Penh. Les détenus sont à 50 mètres de leur mort.



Dedans ou dans le hall d'accueil, le public suit avec intérêt le récit de l'ancien chef de gardes. (Anne-Laure Porée)
Dans la grande salle ou dans le hall d'accueil, le public suit avec intérêt le récit de l'ancien chef de gardes. (Anne-Laure Porée)


Au bord des fosses

« L’exécuteur avait pour instruction de tuer le prisonnier en le faisant agenouiller au bord de la fosse. Ensuite il utilisait un essieu, lui assénait un coup sur la nuque, après quoi il lui tranchait la gorge. Une fois le prisonnier mort, on lui retirait les vêtements et les menottes. » Puis le corps était jeté dans le charnier. Les exécutions duraient des heures. « On arrivait à peu près à  20 heures, l’exécution commençait vers 21 heures et on finissait vers une ou 2 heures du matin. » Les fosses étaient recouvertes juste après le massacre.

Him Huy déclare n’avoir pas vu d’enfants dans les convois de Choeung Ek. Il présume qu’ils ont été exécutés par le groupe de Peng près du complexe de S21. Duch s’empresse de contredire sans le moindre argument, un peu plus tard, alors que la juge Silvia Cartwright lui demande où ont été exécutés les 160 enfants de la liste à disposition du tribunal. « Je pense pour ma part que l’exécution a bien eu lieu à Choeung Ek. »


Duch aux charniers

L’accusé a jusqu’ici affirmé qu’il s’était rendu une fois à Choeung Ek. Une visite qu’il a qualifié de « très courte » et loin des fosses. Or Him Huy livre une autre version. « Je l’ai vu deux fois là-bas à Choeung Ek. Il est resté jusqu’à ce que tous les détenus soient exécutés après quoi il est parti. » Le témoin peut même décrire l’emplacement où la voiture du directeur de S21 était garée. C’était en 1977. La première visite aurait eu lieu avant la tentative d’évasion d’un prisonnier. La seconde, après. Le président aimerait savoir si l’accusé se trouvait à proximité des fosses. « Je n’ai pas particulièrement observé ses mouvements à ce moment-là, il y avait du monde. Hor m’a instruit de travailler rapidement. Il y avait beaucoup de prisonniers, du soir presque jusqu’à l’aube. Je n’ai pas remarqué s’il était à proximité de la fosse. Il fallait travailler vite, on risquait de nous repérer. »


Le relais aux autres juges

A 15 h 27, le président n’a plus de questions. La juge Silvia Cartwright prend le relais. Elle se concentre sur les prisonniers étrangers, sur le mode et le lieu d’exécution et leur nombre. Him Huy explique que le mode d’exécution autour de S21 était le même qu’à Choeung Ek : la fosse. « Il y a dû y avoir des fosses d’une très grande taille dans les environs de S21 ? » « Oui c’est correct. » Selon les chiffres reconnus par l’accusé, 345 prisonniers vietnamiens (militaires ou civils) ont trouvé la mort à S21.

Le juge Jean-Marc Lavergne s’intéresse au parcours de Him Huy au sein de S21, à ce simple garde qui prend rapidement des responsabilités. Mais Him Huy vit dans la peur de ses chefs. De Duch qui parlait tout bas et était si strict sur le travail. « J’avais tellement peur de mourir à la prison que quand Son Sen est venu pour une séance d’éducation j’ai demandé si je ne pouvais pas être renvoyé dans une unité militaire. Il m’a demandé si je voulais combattre les Vietnamiens, j’ai dit oui. » En vain. Le juge cherche à éclaircir certains autres points. Il se demande comment Him Huy, chef adjoint des gardes se retrouve sans responsabilité particulière dans les rizières près de Prey Sâr à la mi-1978. Le témoin, lui, n’est pas surpris, on l’a simplement déplacé avec des hommes de deux groupes.


Question sur le rôle de Duch dans les arrestations

Le juge Lavergne cite une déclaration du témoin aux enquêteurs des CETC : « Je ne sais pas quel type de personne Duch allait arrêter par lui-même. Duch sortait pour arrêter les gens à l’intérieur de Phnom Penh. » Le juge demande si l’accusé était vraiment présent. « Dans ces opérations d’arrestations, il n’était pas présent dans le voisinage du lieu d’arrestation. C’était mon équipe qui procédait aux arrestations. Lui il connaissait tout le monde. S’ils l’avaient vu, les gens se seraient rendu compte qu’ils allaient être arrêtés.

Question sur Duch instruisant pour tuer

Là encore le juge cite la déclaration aux enquêteurs. « Les prisonniers étaient battus alors qu’ils étaient menottés et égorgés parce que Ta Duch et Ta Hor voulaient qu’on fasse de la sorte. Les directives venaient de Ta Hor. Si Duch venait, c’était pour observer le lieu d’exécution. Il a convoqué les gens sur place à une réunion. Il a donné des directives en disant qu’en frappant avec l’axe de fer, les prisonniers ne meurent pas, il faut donc trancher le cou. Ensuite il va voir la scène d’exécution. » Le juge souhaiterait être sûr de l’implication de l’accusé dans cette affaire. « Je me souviens de cette déclaration. Avant que l’on emmène les prisonniers à l’exécution, on nous a donné des instructions sur la manière d’exécuter. » Cependant Him Huy confirme seulement que Hor donnait les instructions. Le juge s’impatiente : « Vous pouvez aussi me dire que vous n’avez pas envie de répondre à ma question, ce sera peut-être plus simple. Est-ce que l’accusé vous a donné instruction concernant la méthode d’exécution ? » Même réponse. Him Huy fatigue-t-il ? Est-il impressionné par le juge étranger ? Doute-t-il ? Y a-t-il des problèmes de traduction ? Il lâche : « Les instructions étaient données par Hor mais la décision de donner ces instructions venait de Duch. »


Question sur Duch ordonnant de tuer

Dernière citation aux enquêteurs relevée par le juge : « Duch accompagnait les gens. Il en restait un. Il m’a demandé : ‘Es-tu déterminé ou non ?’ J’ai répondu : ‘Je suis déterminé’. Si je ne disais pas ça, j’avais peur qu’il m’accuse de m’opposer à lui. Il m’a ordonné de le tuer. » Him Huy se souvient de cette déclaration. « Il y avait une exécution de masse. Duch est venu regarder. Nous étions presqu’arrivés à l’aube et au bord de la fosse j’ai vu très clairement que mon chef était là. Mais je devais me précipiter pour terminer ma tâche. A ce moment-là il m’a demandé si j’avais une position absolue. […] Après avoir fait cette exécution, je suis reparti vérifier la liste. »  Cet ordre survient-il une fois ou plusieurs fois ? « Je ne suis pas très sûr en fait maintenant. Est-ce que c’était Duch ou est-ce que c’était Hor. L’aube était en train d’arriver, nous devions travailler en hâte pour tout terminer très vite. Je me souviens d’avoir reçu cette instruction et d’avoir exécuté ce prisonnier. »


Confrontation

Le juge demande à Duch de se lever.

– Reconnaissez-vous la personne ici présente dans la salle d’audience monsieur Him Huy ?

– Oui, je le reconnais

– Qui est-ce ?

– C’est mon supérieur

– Est-ce que c’était lui qui était avec vous au bord de la fosse à l’aube au petit matin et qui vous a demandé d’exécuter un prisonnier ?

– Comme je viens de le dire, nous étions vraiment en train de travailler en grande hâte. Les camions allaient repartir. Si l’aube pointait on aurait pu nous voir, le secret serait violé. Je ne suis plus sûr si c’était lui ou Hor. C’était soit lui, soit Hor, parce qu’il était là lui aussi. Il était là en même temps que Hor.

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