Dernier round du procès, Karim Khan ouvre les plaidoiries des avocats des parties civiles


Karim Khan n'a pas été présent du procès mais revient pour les plaidoiries... (Anne-Laure Porée)
Karim Khan n'a pas été présent du procès mais revient pour les plaidoiries... (Anne-Laure Porée)



Les quatre groupes d’avocats des parties civiles se sont succédés ce lundi 23 novembre 2009 pour faire reconnaître le statut de victime de leur clients, soit en tant que détenus directs de S21, soit en tant que proches des disparus.

Avec plus ou moins d’éclat, ces avocats ont articulé leurs plaidoiries autour des mensonges de Duch, autour de l’orchestration de son remords. Ils ont dénoncé une collaboration de façade de l’accusé qui selon eux ne participe pas à la manifestation de la vérité. Retour sur une journée fondamentale pour les familles des victimes. Chaque groupe a 1h15 de temps de parole.


Karim Khan, le retour
Le groupe 1 entame la matinée avec un revenant : Karim Khan. L’avocat britannique, à l’exception d’une apparition éclair (soulignée avec force ironie par l’accusé et ses avocats), n’a pas mis les pieds au tribunal depuis sept mois. En février dernier, il s’était fait remarquer pour avoir plaidé aux côté des procureurs, l’intégration de Norng Chanphal au groupe des parties civiles alors que le dossier avait été déposé après la date limite. Il avait été débouté.

Ce matin, drapé dans sa robe noire, il prend la parole au nom des parties civiles dont l’interlocuteur fut Alain Werner pendant toutes les audiences et le travail de préparation. Les vingt premières minutes de son intervention ne laissent pas de doute sur les raisons de sa présence. Karim Khan parade. Il explique aux juges qu’ils auront à « définir la responsabilité pénale de l’accusé sur des faits qui ont eu lieu il y a trente ».  Il assure que les parties civiles ne sont pas « animées par un instinct primitif de vengeance. Il rappelle la perspective unique de ce procès : donner une voix aux victimes. Ainsi peut-on mesurer l’impact des crimes allégués sur leur vie.


Un aparté de 20 mn
« Les parties civiles ne sont pas des procureurs. Sur la question de l’égalité des armes, il faut se rappeler les éléments de preuve, la qualité de la participation des parties civiles, aucunement aidées financièrement par le tribunal. Ceci ne peut être ignoré. Nous n’avons pas les ressources données à la défense ou mises à la disposition des co-procureurs. »

Karim Khan revient au « je » du narrateur. Il se souvient de « ses » réticences par rapport au système mis en place au tribunal. Puis il s’excuse. « Je n’ai pas été présent tout au long de l’audience. Je présente mes excuses. Je ne veux pas qu’on croie que cette absence ait eu une incidence sur mes clients, il ne s’agit pas non plus d’un manque de respect vis-à-vis des juges. » Le groupe 1 n’a cessé d’être représenté devant la cour. Il glisse un remerciement à ses deux collaborateurs occidentaux. « Le groupe 1 a su jeter quelque lumière… » Dans son anglais « de haute volée » pour les uns, « pédant » pour les autres, Karim Khan conclut enfin que « les éléments de preuve ne permettent de conclure que dans un sens malgré ce qui a été dit par la défense ». Vingt minutes après ses premiers mots, la démonstration reste à faire.

Tranquillement, Duch, vêtu d’un très remarqué pull à col roulé blanc immaculé, annote les pages de son dossier. Quand il se voit à l’écran, il sourit, satisfait.


La reconnaissance des victimes


Ty Srinna, dans l'ombre de Karim Khan. (Anne-Laure Porée)
Ty Srinna, dans l'ombre de Karim Khan. (Anne-Laure Porée)


Ty Srinna, avocate cambodgienne du groupe 1, a hérité du second rôle. A la suite de Karim Khan, elle énumère et argumente pourquoi chacun des clients du groupe 1 doit être considéré par les juges comme victime. Elle commence en particulier par le cas de Ly Hor qui s’était présenté le 6 juillet 2009 devant la cour et dont les incohérences avaient instillé le doute quant à la réalité de sa détention à S21.

Là se joue un volet essentiel du procès : la reconnaissance par la justice du statut de victime. Les juges diront-ils que les hommes et les femmes revendiquant d’être des survivants de S21 le sont vraiment ? L’énumération de Ty Srinna, bien que laborieuse, est lourde de sens. Pour les plaignants, les attentes sont immenses.


Un quart d’heure pour charger Duch
Les cas s’enchaînent, le temps s’écoule, Karim Khan s’inquiète. Il annote un bout de papier, le glisse à Ty Srinna. Quand il reprend la parole, il lui reste 15 minutes de plaidoirie.

C’est court pour argumenter sur la culpabilité de l’accusé, sur son autonomie, sur les souffrances inutiles qu’il a imposé aux détenus. Karim Khan a cette comparaison incongrue : « L’accusé n’est pas Schindler ». Il n’a pas cherché à alléger les souffrances des détenus. Karim Khan pointe l’implication de Duch, son rôle dans les campagnes de terreur et de torture qui ont alimenté la paranoïa du régime, dans les annotations des confessions et les listes de noms, il dénonce sa volonté de pouvoir, son adhésion profonde à la révolution khmère rouge et son goût pour les privilèges qu’il pouvait en tirer.


Démontrer l’autonomie du directeur de S21
Karim Khan se concentre ensuite sur l’autonomie de Duch. Quand l’accusé aurait pu laisser des gens fuir, il n’a pas lâché la bride. Il avait le pouvoir de décider d’épargner certaines personnes. Pour l’avocat britannique, le cas des peintres de S21 l’illustre. Autre exemple avancé : Duch a proposé d’installer le cœur de S21 au lycée Ponhea Yat, l’échelon supérieur a entériné. Et quand il décide de transformer Choeung Ek en lieu d’exécution, il n’a besoin de l’approbation de personne. Karim Khan déplore ensuite les tentatives de l’accusé de rejeter la responsabilité des actes commis sur d’autres. Il déclare que Duch était libre de concevoir un système de torture inutilement cruel, qu’il avait auparavant appliqué à M13. « M13 ne fait pas partie des faits reprochés à l’accusé mais cela donne une idée des intentions réelles de l’accusé. »

L’avocat, enfin sur les rails de sa démonstration, invite les juges à considérer que Duch a nié avoir donné des ordres quant à l’arrachage des ongles des prisonniers mais n’a pas puni les coupables. Il a « encouragé et donné l’ordre consistant à faire manger ses excréments au détenu ». Sur la base d’une série d’exemples du même type, il apparaît à Karim Khan que Duch ne peut échapper à sa responsabilité.


Invitation à la vigilance contre les manipulations de la défense
Au passage, il épingle les questions tendancieuses de la défense et invite les juges à la vigilance. Il cite la proposition formulée par François Roux le 16 septembre dernier : « Duch, est-ce que vous m’autorisez à dire aux victimes que si elles le souhaitent, elles peuvent venir vous voir dans votre cellule, que vous ouvrirez la porte de votre cellule à vos visiteurs, et la porte de votre cœur ? Est-ce que vous m’autorisez à dire cela aux victimes, Duch ? Est-ce que vous souhaitez que je leur dise que le chemin ne s’arrête pas ici et que le chemin peut continuer entre elles et vous si elles le souhaitent ? »

Karim Khan n’a pas le temps de reprendre la réponse de Duch qui acquiesçait avant de déclarer sa porte « ouverte à toutes les victimes ». Ce 16 septembre, on avait alors entendu une voix réagir dans les casques de traduction en anglais « This is a play ! » Et à l’heure de la pause, les phrases de François Roux étaient de toutes les conversations. Les parties civiles furent scandalisées par une telle offre jugée indécente. Parmi elles, Antonya Tioulong estime que « le procès sert de cadre pour une recherche de vérité. Si des questions sont posées à Duch elles doivent l’être devant un tribunal. » D’autres s’emportaient contre l’avocat français qui finalement insinuait que c’était aux victimes de faire le chemin alors qu’elles n’ont pas obtenu de réponse à leurs questions. Pour elles Duch a surtout beaucoup menti ou éludé.

Dans les trois minutes de délai supplémentaire que le président de la Chambre lui accorde, l’avocat du groupe 1 conclut : « Ce que nous recherchons, c’est la vérité, c’est ce qui représente une valeur inestimable pour les parties civiles que nous représentons. »

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