Le procès a-t-il réussi à démontrer le degré de responsabilité de Duch ?
Pas de manière approfondie. Quand Duch argumente qu’il a reçu des ordres fermes et indiscutables, c’est presque lui qui devient une victime parce qu’il a reçu des ordres. C’est contraire à ce que je sais de lui à l’époque. Le tribunal n’a pas réussi à démontrer avec exactitude l’étendue du pouvoir de Duch à la tête de S21. Duch dit par exemple qu’il n’avait pas la possibilité d’aider qui que ce soit mais en réalité il était un dirigeant extraordinaire, au sens propre du terme. Il était au sommet. Bien sûr qu’il a reçu des ordres mais le pouvoir qu’il avait en main pour décider des choses, il s’en est servi.
En quoi ce procès a-t-il été utile ?
La seule chose que j’ai vue depuis deux ans, c’est que le fonctionnement du tribunal est différent de ce qui se pratique dans le pays, des débats ont lieu. Mais pour moi ce n’est pas le plus important. Le plus important, c’est comment on solde les comptes avec l’accusé. Lors de ma déposition, j’ai pu mesurer la différence entre mes droits, ma liberté de parole et ceux de l’accusé. Dès qu’on essaye d’aller au-delà de la question posée, on vous arrête tout de suite. L’accusé, lui, choisit de répondre ou pas.
Que retenez-vous d’autre de votre témoignage au procès ?
Que j’ai attendu trente ans pour une seule journée de déposition.
Quelle image gardez-vous de Duch ?
Duch ne dit pas les choses clairement, il les contourne tout le temps. Et puis à la fin il demande sa libération. Comme il était un dirigeant hors du commun, il devrait accepter ses crimes. Pourquoi demande-t-il sa libération ? Lui n’a jamais appliqué de mesure de libération à aucun détenu de S21 quand il en était le directeur.
Duch est-il un manipulateur ?
Quand il y a des documents, des preuves, il reconnaît ses crimes. Il a l’habitude de dire ce qu’ont fait ses subordonnés et de les couvrir en tant que responsable. Mais en même temps, il y a des choses qu’il a faites et qu’il réfute, par exemple le règlement des interrogatoires, que j’ai vu moi-même dans la salle d’interrogatoire. Il dit que ce règlement n’a jamais existé. Il dit aussi qu’il n’est jamais allé dans une salle d’interrogatoire, alors comment sait-il qu’il n’y avait pas de règlement dans ces salles ?
Autre exemple, à propos des cordes. J’ai vu de mes propres yeux, la nuit, qu’elles servaient lors de séances de torture à suspendre des hommes attachés par les bras dans le dos. Duch a dit que ça n’existait pas, il a contesté. Alors c’est pour moi une très grande déception. Quelqu’un ‘d’extraordinaire’ reconnaîtrait avoir tué des milliers de personnes et ne demanderait pas à être libéré. Lâcheté, opportunisme… En khmer, on a un proverbe : « Quand la tête (du poisson) est cuite, tu manges la tête ; quand la queue est cuite, tu manges la queue. »
A lire : Dans l’enfer de Tuol Sleng, Vann Nath, édité par Calmann-Lévy.
Un homme en convalescence
A la fin du mois d’avril, Vann Nath a eu de gros problèmes de santé. Un appel urgent lancé par le réalisateur Rithy Panh a mobilisé suffisamment de donateurs pour permettre de financer ses soins médicaux. Aujourd’hui Vann Nath continue de récupérer.
Alors que les accusés Khieu Samphan, Ieng Sary, Nuon Chea, Ieng Thirith et Duch bénéficient gratuitement d’une assistance médicale, rien n’a été créé ou imaginé pour venir en aide à des témoins majeurs comme Vann Nath. Pas de fond de solidarité. Pas d’initiative en faveur des victimes. Juste des initiatives individuelles en marge du monde des puissants qui eux, faut-il le préciser ?, sont dispensés de frais médicaux…
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