L’instruction en stand-by

Après la démission du juge d’instruction Siegfried Blunk en octobre dernier, sous prétexte d’interférences politiques, aucun remplaçant n’a été nommé au côté du juge d’instruction cambodgien You Bunleng. La logique aurait été que le juge de réserve, le Suisse Laurent Kasper-Ansermet (en poste depuis décembre 2010), prenne le relais mais sa nomination du côté khmer, par le Conseil suprême de la magistrature tarde. La presse locale évoque un bras de fer engagé entre les Nations unies et le gouvernement cambodgien depuis plusieurs mois. Le juge Kasper-Ansermet estime que les raisons sont politiques car il est favorable à une instruction dans les très controversés cas 3 et 4. Pour la petite histoire, le juge You Bunleng qui refuse de collaborer avec le juge suisse tant qu’il n’est pas nommé officiellement par l’institution cambodgienne, siège justement au Conseil suprême de la magistrature…

L’ennuyeuse rentrée du tribunal

Pas d'enfants-soldats chez les Khmers rouges, prétend Nuon Chea. Pourquoi personne ne le confronte aux archives de la propagande khmère rouge qui montrent parfois ces fameux enfants-soldats ? (Direction du cinéma du Cambodge)

Nuon Chea veut l’original pas la copie

Toute la semaine, Nuon Chea a réclamé avec obstination de voir les documents originaux, et non les copies présentées au cours de son interrogatoire sur les écrans d’ordinateurs de la cour. Par exemple lorsque les procureurs faisaient référence à un magazine du Kampuchea démocratique, Nuon Chea demandait à voir l’exemplaire original, en couleurs. «Comment puis-je croire la cour à 100% si on ne me montre pas le document original?» insistait-il. Nuon Chea a ainsi utilisé ce prétexte pour ne pas s’étendre sur la politique du parti. Sans compter que les lettres étaient trop petites sur les documents qu’il devait lire à l’écran ou qui lui avait été remis. Les juges ont bien entendu rappelé que les copies électroniques d’un document de preuve pouvaient être utilisées mais l’accusé en a décidé autrement.


Les avocats de Nuon Chea attaquent Hun Sen

Une fois n’est pas coutume, en début d’audience, l’avocat de Nuon Chea Michiel Pestman a dénoncé les déclarations du Premier ministre Hun Sen décrivant son client comme «un tueur et un génocidaire». Déclarations rapportées par un journaliste lors d’une conférence de presse au Vietnam la semaine précédente. «Il n’appartient pas au Premier ministre de décider si mon client est coupable», a rappelé l’avocat qui défend le droit à un procès équitable de son client. «Cela vous appartient à vous, les juges de cette cour.»


Un test photo pas brillant

Une photographie des dirigeants khmers rouges en rangs d’oignon devant un drapeau communiste a été présentée à Nuon Chea sur laquelle il lui a été demandé d’identifier les protagonistes. Nuon Chea ne s’est pas reconnu lui-même et à la grande stupéfaction du public, il n’a pas non plus reconnu Pol Pot dont l’image n’a pourtant rien d’ambigu. Le bureau des procureurs demande ensuite à Nuon Chea s’il identifie Marx, Engels, Lénine, Staline sur les posters en arrière-plan. «Je me souviens de l’homme à barbe» explique Nuon Chea. «Je peux voir Staline parce qu’il a sa moustache». Ces échanges devant les juges ressemblent à un jeu de dupes. C’est à se demander qui prend l’autre pour un imbécile ?


Les non de Nuon Chea

Le 11 janvier, Nuon Chea affirma à Dale Lysak, du bureau du procureur, que non, il n’a pas remplacé Pol Pot comme Premier ministre quand ce dernier était malade. Et non, le parti n’a pas non plus recruté des enfants soldats dans ses unités. Les adolescents venus des campagnes, âgés de 15-16 ans, dit-elle, étaient responsables d’escorter les cadres et le bétail. Rien de plus. Pourtant dans certaines archives, comme dans le documentaire d’Adrian Maben intitulé “Les Khmers rouges : pouvoir et terreur” (produit en 2001), des archives montrent très clairement des enfants soldats, armés, qui participent à l’évacuation de Phnom Penh. Dans les archives produites par les Khmers rouges pour leur propre propagande, des enfants soldats sont également filmés. Combien de photographes ont par ailleurs immortalisé les regards de ces enfants ?


Une accusation molle

Pourtant le bureau du procureur ne pousse jamais Nuon Chea dans ses retranchements. Le 12 janvier, l’embrouille se poursuit. La confusion règne dans les dates, le bureau du procureur s’intéresse à la période avant 1970, l’accusé ne répond pas sur la période concernée. Nuon Chea demande aussi sans cesse au président que Dale Lysak répète ses questions puis… il ne se souvient plus. Ou bien il se contente de réponses vagues, partielles. On s’attendrait à ce que l’accusation soit plus offensive, le confronte à des documents, à des déclarations, à des témoignages, mais non. Un journaliste commente : «Ils l’interrogent comme s’il était un témoin de l’histoire, pas comme un accusé».

Voici un exemple d’échange entre l’accusation et l’accusé :

— A quelle fréquence le comité central s’est-il réuni entre 1970 et 1975 ?

— Tout dépendait de la situation du moment.

— N’y a-t-il pas eu de réunions annuelles en plus des réunions extraordinaires ?

— Il y a parfois eu des réunions régulières et parfois des réunions extraordinaires. Nous étions souples, nous nous adaptions à la situation pratique…

Bref rien n’est précis, la ligne suivie par le bureau des procureurs est floue pour l’audience.


Khieu Samphan refuse de répondre

L’après-midi du 12 janvier s’annonçait plus intéressante, les juges appelant Khieu Samphan à la barre. Malheureusement l’affaire fut suspendue après d’interminables circonvolutions verbales. En effet, le juge Lavergne s’apprêtait à faire intervenir l’ancien chef de l’Etat khmer rouge quand celui-ci déclara : « S’il s’agit de questions sur le contexte historique du Kampuchea démocratique, je ne répondrai pas. J’ai déjà dit que je ne répondrai pas à des questions, que j’attendrai que les procureurs aient posé leurs questions.» Les procureurs protestent, Khieu Samphan tient une position ferme : « Le 13 décembre, j’ai clairement exprimé ma position, je n’ai rien d’autre à ajouter à ce que j’ai déjà dit le 13 décembre. J’espère que cela est clair. Monsieur le juge Lavergne ne perdons pas le temps précieux de la cour à poser des questions car j’ai déjà dit clairement que je n’ai rien à ajouter à ce que j’ai dit le 13 décembre.»


L’avocat demande au juge de soumettre ses questions à l’avance

Le juge Lavergne aura beau expliquer qu’il offre à l’accusé l’opportunité de faire des commentaires suite à la lecture de documents, rien n’y fait. L’avocat cambodgien de Khieu Samphan, Kong Sam On, se fait un devoir d’interrompre la cour régulièrement pour rappeler que son client ne veut pas parler et demander à discuter avec lui. Il a même le culot de demander au juge français de soumettre ses questions à l’avance. Le juge Lavergne balaie la requête de l’avocat avec calme : aucune disposition du règlement intérieur n’impose aux juges de soumettre leurs questions à l’avance. Puis il reprend la lecture des documents, avec ou sans les commentaires de Khieu Samphan.

Toutefois, l’audience patauge.


Comment faire tourner la cour en bourrique

Les procureurs s’interrogent : Khieu Samphan répondra-t-il aux questions lors des audiences consacrées au thème des structures administratives ? L’avocat dit que oui. Mais le président préfère s’enquérir directement auprès de l’accusé. «Je dois répondre que je ne peux répondre tout de suite.» Nil Nonn fait un geste de la main. «Merci Monsieur Khieu Samphan. Compte tenu du fait que Khieu Samphan exerce son droit à garder le silence, voilà qui a accéléré les choses, la chambre lève l’audience.»

Les juges n’ont pas posé leurs questions. Ils auraient pourtant pu partager leurs interrogations, même en l’absence de réponse de Khieu Samphan. La cour laisse la désastreuse impression que ce sont les accusés qui décident du planning, que personne n’a anticipé leurs réactions et surtout que personne n’a aucune parade.