1980
Entretien filmé.
« Je suis Madame Ieng Thirith, ministre des Affaires sociales du gouvernement du Kampuchea démocratique. Vous savez que les Etats-Unis au départ ont agressé notre pays. Mais maintenant qu’ils sont en faveur de notre indépendance, nous considérons les Etats-Unis comme notre ami.
Je pense que tout le monde est conscient, partout dans le monde, que la famine a été délibérément créée par les agresseurs vietnamiens dans l’idée de briser notre résistance. Les Vietnamiens ont pillé toutes nos maisons, toutes nos récoltes et ils ont même été jusqu’à brûler les cultures dans nos rizières parce qu’à cette époque c’était la saison des récoltes. Ainsi ils ont coupé nos approvisionnements en nourriture, comme ça, et maintenant ils utilisent la famine comme une arme dans le but d’exterminer notre peuple. Nous avions réussi à donner à notre peuple assez de nourriture, assez de vêtements et des soins de santé gratuits pour tout le monde. Dans les régions provisoirement contrôlées par les Vietnamiens, ils interdisaient… il était interdit à notre peuple de sortir pour cultiver du riz, des légumes. Ils n’avaient même pas l’autorisation de chercher des légumes sauvages ou du manioc pour manger. Ils n’étaient même pas autorisés à avoir un couteau parce que les Vietnamiens ont tellement peur de notre peuple qu’ils ne les y autorisent pas. Et ils ont coupé les approvisionnements en nourriture et en sel. Alors dans les régions provisoirement contrôlées par les Vietnamiens, les gens sont confinés dans des lieux circonscrits, soit en ville soit dans la campagne et ils sont condamnés à mourir de faim.
Nous avons arrêté les agents de la cinquième colonne vietnamienne successivement de 1975 jusqu’à mai 1978. C’est en mai 1978 que nous avons brisé la cinquième colonne vietnamienne en arrêtant les têtes de cette cinquième colonne.
A propos des images, vous savez que les Vietnamiens sont très sournois. Ils montent n’importe quoi, ils ne respectent rien, dans le but de légaliser l’agression. J’admets, comme je vous l’ai dit, qu’il y a eu des excès, mais ces excès ont été ordonnés depuis Hanoi. Les autorités de Hanoi ont un double visage. D’un côté elles ordonnent à leurs agents de commettre des excès dans notre pays et d’un autre côté, elles prennent ces excès pour les gonfler en standards systématiques de propagande contre notre gouvernement de manière à ce qu’une fois qu’ils ont agressé notre pays, l’opinion publique internationale soit déjà mobilisée contre nous, légalise l’agression, les soutienne, légalise l’agression en disant : “très bien, ces Vietnamiens ne sont pas des agresseurs. Ils sont les libérateurs du peuple cambodgien qui est victime de son propre gouvernement.”
Apparemment questionnée sur le sort des intellectuels, Ieng Thirith répond : « C’est de la propagande vietnamienne. Je vous ai dit que je ne nie pas que nous avons évacué toute la population de Phnom Penh vers les campagnes, y compris les intellectuels, y compris ma propre famille, y compris ma mère, ma sœur. Ma sœur est docteur en droit. C’est aussi une intellectuelle. Et vous voyez les agents vietnamiens ont tués ma sœur qui est docteur en droit. Vous ne pouvez pas dire que moi-même j’ai tué ma sœur ! C’est impossible. Donc ils ont ordonné à leurs agents de le faire, de tuer les intellectuels parce que les intellectuels sont très patriotes, indépendants. Ils sont les défenseurs de l’indépendance du pays contre la domination vietnamienne. Et si eux-mêmes commettent ces crimes, ils font de la propagande sur la scène internationale en disant que c’est notre gouvernement qui a commis ces crimes.
Vous n’éliminez jamais les intell…, intell… (elle butte deux fois sur le mot en anglais) l’intelligentsia parce que tous les membres du gouvernement sont membres de l’intelligentsia. Par exemple moi-même je suis une intellectuelle. J’ai fait mes études à Paris. J’ai fait mes études en particulier à la Sorbonne à Paris. Alors ce n’est pas vrai que nous avons posé comme notre objectif d’éliminer les intellectuels parce que nous voulons des intellectuels, nous avons besoin des intellectuels parce que les intellectuels peuvent nous aider à construire le pays plus rapidement.
Nous n’avons pas de raison de tuer nos… Attendez, comment dire en anglais… les mêmes que nous… Nos collègues ! Nos collègues.
Les Vietnamiens sont même allés tellement loin qu’ils ont dit que nous tuions ceux qui portaient des lunettes parce que tous ceux qui portaient des lunettes étaient traités (?) comme intellectuels. Vous voyez que moi-même je porte des lunettes. » [Elle rit]
Source : Kampuchea mort et renaissance (Kampuchea Death and Rebirth)
Film documentaire réalisé par les Allemands de l’Est Walter Heynowski et Gerhard Scheumann, produit par leur studio H&S et sorti en 1980.
Ce film a marqué les esprits par une longue séquence tournée dans Phnom Penh désertée, par ces images saisissantes de la ville fantôme qui reviennent plusieurs fois dans le montage, accablantes.
Dans sa deuxième partie, Kampuchea mort et renaissance est construit autour d’un entretien avec Ieng Thirith qui s’exprime en anglais. Chemise blanche, veste grise, visage rond et souriant, lunettes aux montures épaisses, Ieng Thirith défend la politique du Kampuchea démocratique avec un aplomb sidérant. Le montage autour de cet entretien illustre la volonté des réalisateurs de démonter le discours khmer rouge : à chaque propos de Ieng Thirith succèdent des images et des témoignages destinés à prouver le mensonge, la duplicité, le déni. A l’époque, les Khmers rouges accusent le Vietnam d’avoir agressé et envahi le Cambodge. Le film décrit en revanche une libération orchestrée autour d’un mouvement de résistance cambodgien en lutte contre le régime de Pol Pot et légitimée par une multitude d’incontestables arguments humanitaires. Ainsi le film s’ouvre et se conclut sur les images de la signature du traité d’amitié et de coopération signé en février 1979 entre la république démocratique du Cambodge et le Vietnam.
2007
Poème inachevé de Ieng Thirith, il était en cours d’écriture quand elle a été arrêtée en 2007.
« Khmer children, euy.
Oh, Khmer children, euy, please do not forget your background. Cambodia is built up wonderfully, and is called the golden land.
Our land is huge, rich in rivers both small and large, and fresh produce is abundant ; rice, vegetables and fruit trees, we have plenty, and never beg. We only export overseas.
And the mountains are gigantic, stretching far away ; the forest and the furniture are invaluable, and there ae also medicinal herbs. »
Source Cambodia Daily : Poème rapporté Alex Willemyns et Van Roeun, journalistes du Cambodia Daily, qui racontent dans l’édition du 25 août 2015 la cérémonie de crémation de Ieng Thirith et expliquent que ce poème inachevé a été lu par sa fille, Huon Vanny, avant la crémation nocturne.