«Les parties civiles sont la voix de toutes les victimes restées sans voix durant le régime du Kampuchea démocratique. Alors ce procès n’atteindrait pas son but ou sa pleine dimension si […] les parties civiles étaient comme dans le dossier numéro 1, privées de toute réparation au-delà de la seule publication du jugement et de la reconnaissance de leur statut de partie civile et de leurs souffrances. Cela ne peut suffire.»

Lors de l’audience sur les demandes de réparations qui s’est tenue le 19 octobre 2011 aux CETC, Vincent de Wild a défendu avec force, au nom du bureau des co-procureurs, la place des parties civiles dans le procès et a soutenu fermement leurs demandes de réparation. Extrait de sa déclaration :

«Rarement dans un pays la proportion de victimes, qu’elles soient décédées, survivantes ou membres de la famille de victimes directes aura été aussi grande qu’au Cambodge après la période du Kampuchea démocratique. […] Les victimes directes et indirectes constituent encore aujourd’hui une très grande majorité de la société cambodgienne. C’est la raison pour laquelle nous voulons souligner aujourd’hui l’importance capitale non seulement de la présence des victimes lors de ce procès, en tant que témoin ou partie civile, mais aussi de l’exercice des droits des parties civiles participant à ce procès via leurs avocats et les co-avocats principaux et en ce compris la possibilité d’obtenir des réparations fussent-elles collectives et morales et donc aussi à portée symbolique. Toutes les victimes du pays peuvent s’identifier à ces parties civiles individuelles. En raison de la nature de ce procès, ces PC représentent bien entendu leurs propres intérêts mais elles représentent, en quelque sorte aussi, plus qu’elles-mêmes. Elles sont la voix de toutes les victimes restées sans voix durant le régime du Kampuchea démocratique. Alors ce procès n’atteindrait pas son but ou sa pleine dimension si […] les parties civiles étaient comme dans le dossier numéro 1, privées de toute réparation au-delà de la seule publication du jugement et de la reconnaissance de leur statut de partie civile et de leurs souffrances. Cela ne peut suffire.»

Les casseroles de l’instruction

Pourquoi le juge Blunk a-t-il démissionné ? Peut-être pas seulement pour des questions d'interférences politiques... (Anne-Laure Porée)


Rejeté par absence de décision
Robert Hamill avait raconté au procès de Duch en août 2009, avec beaucoup de courage et d’émotion, le sort de son frère Kerry, arrêté sur son voilier en août 1978 par la marine du Kampuchea démocratique et ensuite transféré à S21 où il a été détenu, interrogé, torturé et exécuté. Robert Hamill avait décrit avec pudeur la dévastation que ce fut pour lui et sa famille. (http://ka-set.info/actualites/khmers-rouges/cambodge-duch-martine-lefeuvre-ouk-ket-robert-hamill-temoins-etrangers-090817.html) Le 12 avril 2011, il demandait à être partie civile dans le cas 3, contre Meas Muth (gendre de Ta Mok et commandant notamment de la marine khmère rouge) et Sou Meth (commandant les forces aériennes khmères rouges et la 502e division de l’armée révolutionnaire du Kampuchea), ainsi que dans le cas 4. Robert Hamill remplit les formulaires le 22 avril et une semaine plus tard, en clôturant l’épineux dossier 3 les juges d’instruction rejettent sa candidature de partie civile (pour cette même affaire), estimant qu’il n’avait pas démontré le lien entre ses souffrances et la mort de son frère. Robert Hamill ne se décourage pas et ses avocats font appel de la décision des juges d’instruction en mai 2011.
Mardi 25 octobre 2011, ce rejet est confirmé, non par décision des juges de la Chambre préliminaire chargés de trancher le cas mais au contraire parce que magistrats internationaux et cambodgiens ont été incapables de trouver un terrain d’accord et de dégager une majorité de 4 votes. Donc, dans ce cas, la décision des juges d’instruction reste en vigueur.


Des juges cambodgiens qui ne répondent pas sur le fond
Dans ce document qui annonce cette non-décision, les juges cambodgiens Prak Kimsan, Ney Thol et Huot Vuthy, prennent la défense du travail des juges d’instruction. Ils ne répondent pas sur le fond de l’appel. Ils disent que les juges d’instruction n’ont mis personne en examen dans le cadre de l’enquête sur le cas 3 (parce qu’ils n’auraient pas estimé les preuves assez claires et consistantes) et que, de toute manière, rien ne les y obligent même si les co-procureurs ont transmis des noms. De la même manière ils rappellent qu’il est à la discrétion des juges d’instruction de décider d’entendre ou non un suspect. Puis ils concluent : «Nous considérons que là où il n’y a pas d’accusé qui puisse être tenu responsable de remédier aux préjudices causés aux victimes, le rejet d’une candidature de partie civile à ce stade n’enfreint pas les droits des victimes.»


Pas de transparence
Les magistrats internationaux Katinka Lahuis et Rowan Downing publient eux aussi leur opinion qui questionne le travail de co-juges d’instruction. Les juges remarquent que l’instruction du cas 3 a été menée de manière significativement différente des cas 1 et 2. Aucune explication n’a été fournie pour justifier ce changement. «L’approche des co-juges d’instruction dans la conduite de l’instruction est des moins claires». Très peu d’information a été fournie sur l’instruction malgré qu’elle ait été clôturée. Katinka Lahuis et Rowan Downing ne savent pas non plus comment les droits des parties ont été pris en considération.
Les magistrats rappellent à leurs collègues de l’instruction quelques principes de base qui semblent mis à mal par leurs pratiques : assurer des procédures équitables et contradictoires, impliquer toutes les parties. «Il est de la plus haute importance que les co-juges d’instruction s’assurent du respect de ces garanties procédurales “conçues pour garantir une ‘justice procédurale’ plutôt qu’une ‘justice orientée sur les résultats’”». En somme il en va de la garantie d’un exercice correct de la justice.


Aucune information aux parties civiles potentielles
Les procédures suivies par les juges d’instruction concernant la gestion des parties civiles diffère des cas 1 et 2, sans explication. Toujours sans explication, les juges d’instruction ont ignoré la jurisprudence émanant directement de la chambre préliminaire établissant justement le régime d’admissibilité des parties civiles. «Contrairement à la pratique adoptée dans le cas 2, les victimes n’ont reçu aucune information sur l’instruction du cas 3 ni sur leurs droits à se porter partie civile ni à déposer une plainte liée à ce cas avant la décision des juges d’instruction de clore l’instruction le 29 avril 2011. […] Les seules informations sur le champ de l’instruction du cas 3 ont été publiées dans un communiqué de presse du co-procureur international le 9 mai 2011.»
La condition pour que les victimes exercent leur droit, c’est pourtant bien de savoir quel est le champ de l’instruction car une partie civile doit prouver le lien entre ses souffrances et au moins un des crimes allégué contre un accusé. «Une telle démonstration ne peut être faite quand aucune information d’aucune sorte n’est disponible».


«Les droits des victimes ignorés»
Si les parties civiles n’ont pu exercer leur droit de participer à la procédure, qui est pourtant expressément écrite dans le règlement intérieur, cela vient, selon les juges Lahuis et Downing, du manque d’information. «Nous considérons que les droits des victimes ont été ignorés jusqu’ici à leur détriment.» Ils ajoutent : «Leur refuser la possibilité de participer à l’instruction pourrait priver les co-juges d’instruction d’informations importantes dans leur recherche de vérité, conduisant à une instruction incomplète et levant des doutes sur leur impartialité.»


Des pratiques obscures
Dans le cas de Robert Hamill, les co-juges d’instruction ont écrit ne pas reconnaître ses avocats. Pourquoi estiment-ils que les avocats ont besoin d’être reconnu par eux spécifiquement ? Mystère. Bien sûr rien n’a jamais été notifié à ce sujet en amont. «Nous sommes d’avis que par leur action, les co-juges d’instruction ont privé des candidats partie civile, dont celui qui fait appel, de leur droit fondamental à une représentation légale.»


Une administration hasardeuse
Les juges d’instruction ne font pas leur travail selon les règles établies, ce qui ne facilite pas le travail des autres parties. En effet, leur bureau n’a pas d’enregistrement précis des documents qui ont été envoyés ni quand, et il n’y a pas de confirmation de réception.
La date à laquelle un document est rempli est enregistrée dans le système électronique de la cour. Les co-juges d’instruction, eux, n’indiquent pas quand le document a été mis dans le système et notifié. Ils n’indiquent que la date d’envoi aux parties. Exemple : le formulaire de Robert Hamill qui enregistre sa candidature comme partie civile le 22 avril 2011, n’apparaît dans le système que le 29 avril, à 14h40, soit 30 min avant d’être rejeté.


Une partie civile rejetée avant même d’être enregistrée
«Des délais peuvent avoir des conséquences sur l’exercice de leurs droits par les parties» soulignent les juges internationaux. Comme dans le cas de Robert Hamill. «Cela pourrait être vu comme une tentative de l’empêcher d’exercer son droit d’accéder au dossier et de participer à l’instruction.» Mais le bureau des juges d’instruction a fait pire. Dans un autre cas de candidature à être partie civile, les documents relatifs à son dossier de partie civile ont été enregistrés après la publication de son rejet !


Documents antidatés
Le premier document qui rejette Robert Hamill, le rejette pour le cas 4, pas pour le cas 3. Quand ce document est modifié pour corriger le tir et rétablir que le rejet de Robert Hamill s’applique bien au cas 3, ça passe comme une simple correction. La modification est faite le 6 juillet 2011 mais antidatée au 29 avril 2011. Même chose pour la traduction khmère. Un véritable embrouillamini qui masque des modifications fondamentales. Selon les magistrats Lahuis et Downing, les juges d’instruction saisis d’une plainte doivent l’examiner sur le fond et non au mérite. «Le rejet prématuré des parties civiles signerait la défaite de tout le régime d’admissibilité établi pour les victimes devant les CETC.»



«Dans l’après-Première guerre mondiale, un groupe de non-artistes a formé un non-mouvement pour créer un non-art qu’ils ont appelé Dada. De la même manière, le Conseil des ministres semble avoir créé un non-porte-parole pour transmettre une non-information.»

[suite de la citation] Comment expliquer autrement l’affirmation bizarre de M.Remy [chef adjoint de l’unité presse et réaction rapide du Conseil des ministres] selon laquelle Mme O’Brien [Sous-secrétaire général des Nations unies aux affaires juridiques] «n’a jamais dit au gouvernement de cesser de faire des déclarations» alors qu’elle publie une déclaration qui dit le contraire ? Et si elle ne l’avait pas fait, pourquoi M.Sok An aurait-il ensuite été obligé de prétendre que «le gouvernement cambodgien n’a jamais fait de déclaration relative au tribunal pour les Khmers rouges» alors qu’il revendiquait récemment sa liberté d’expression sur le sujet ? Je dois admettre que je suis très excité par le potentiel du Cambodge pour le dadaïsme et félicite le Conseil des ministres d’une approche si créative en matière de relations publiques

Ieng Sary choisit le silence

Dans une lettre publiée par ses avocats le 24 octobre 2011, Ieng Sary annonce qu’il ne s’exprimera pas durant le procès 2. «En toute connaissance des procédures engagées contre moi et de mes droits […], j’informe la Chambre de première instance volontairement, sciemment et sans équivoque, que je ne témoignerai pas, y compris je ne répondrai à aucune question qui me sera posée, pendant tout procès ou mini-procès dans le cas 002.» Ses avocats seront seuls à prendre la parole.

Les avocats de Nuon Chea poursuivent 11 officiels cambodgiens dont Hun Sen

Les avocats de Nuon Chea, 85 ans, mis en examen pour crimes contre l’humanité, génocide et crimes de guerre, ont déposé lundi 24 octobre 2011 une plainte pour interférence dans le travail des CETC contre le Premier ministre cambodgien Hun Sen qu’ils accusent de pression sur les témoins et sur la cour. Les avocats Michiel Pestman et Andy Ianuzzi s’appuient sur les déclarations du Premier ministre cambodgien lors de la visite du secrétaire général des Nations unies Ban Ki-Moon selon lesquelles les cas 3 et 4 n’étaient pas «autorisés». Les avocats portent plainte également contre le ministre de l’Information Khieu Kanharith qui avait annoncé que les juges décidés à continuer leur travail sur les cas 3 et 4 pouvaient «faire leurs valises et partir». Phay Siphan, porte-parole  du Conseil des ministres fait également l’objet d’une plainte ainsi que le porte-parole du ministère de l’Intérieur Khieu Sopheak. La plainte comporte également six autres noms : Hor Namhong, ministre des Affaires étrangères, Chea Sim, président du Sénat et du Parti du peuple cambodgien (PPC), Heng Samrin, président de l’Assemblée nationale, Keat Chhon, ministre des Finances ainsi que les sénateurs PPC Ouk Bunhhœun et Sim Ka. Ces six là avaient été appelés par le juge d’instruction Marcel Lemonde à témoigner en 2009 et ne s’étaient pas présentés. Enfin la plainte des avocats de Nuon Chea accuse le ministre du palais royal Kong Sam Ol de n’avoir pas transmis la convocation officielle du juge d’instruction à Norodom Sihanouk qui était également invité à témoigner.

Faut-il disjoindre le cas Ieng Thirith?

Le débat des dernières audiences portait sur l'état de santé de Ieng Thirith, ancienne ministre khmère rouge des Affaires sociales photographiée ici le 19 octobre 2011. (CETC)


«Seule option envisageable»
Michael Karnavas, avocat de Ieng Sary (le mari de Ieng Thirith), estime que «la disjonction peut être la seule option envisageable». Il argumente que sinon la procédure sera perturbée par d’incessantes interruptions. Selon lui, si un accusé a des problèmes de santé dans un procès qui s’annonce long de une à deux années, il prolonge forcément le procès. D’autres tribunaux pénaux internationaux en ont en effet fait l’expérience.


Nuon Chea veut pareil
Avec ironie, Michiel Pestman, avocat de Nuon Chea, salue «la créativité de la chambre» et déplore un procès à deux vitesses, dans lequel la justice serait administrée de manière plus parcimonieuse pour l’un des accusés (Ieng Thirith). Il rappelle que Nuon Chea a aussi un état de santé qui se détériore. Pour l’instant il ne semble pas en avoir convaincu les juges. Tenace, l’avocat ne désarme pas, il demande la disjonction pour son client au même titre que pour Ieng Thirith.


Diane Ellis veut la fin de la procédure
L’avocate de Ieng Thirith, Diane Ellis, évoque l’état de démence probablement lié à la maladie d’Alzheimer qui affecte sa cliente et insiste: il n’y a pas d’amélioration possible. Elle juge les dysfonctionnements tels que sa capacité à participer à un procès serait compromise. Selon elle les preuves sont suffisamment convaincantes qui démontrent que Ieng Thirith ne peut pas véritablement exercer ses droits à un procès équitable: l’ancienne ministre khmère rouge ne peut pas plaider coupable ou non coupable si elle ne comprend pas la nature des accusations portées contre elle, plaide l’avocate avant de souligner qu’un avocat ne peut combler les lacunes de son client, ni répondre à sa place. Diane Ellis ne veut pas de disjonction, elle demande de mettre fin à la procédure contre Ieng Thirith.


Ieng Thirith, âgée, malade, mais apte
Les co-procureurs ne sont, bien entendu, pas d’accord. Ils trouvent que le niveau de perte de mémoire de Ieng Thirith ne compromet pas son droit. Ils évoquent la jurisprudence sur la démence et décrivent l’état de Ieng Thirith comme étant bien loin de ces cas de jurisprudence. Ils estiment qu’il n’y a pas de différence entre Ieng Thirith et les autres accusés, si ce n’est qu’elle a besoin de traitement médical immédiat. Ils signalent que personne ne peut dire quelle sera la progression de la maladie. Par ailleurs, ils considèrent qu’elle rencontre des difficultés naturellement liées à son âge. Enfin ils notent que le procès 2 est si important qu’il ne doit pas y avoir de disjonction sur les accusés.


La boîte de Pandore
Du côté des co-avocats des parties civiles, Ieng Thirith est jugée apte. L’argumentation d’Elisabeth Simmoneau Fort  fait son effet. En substance, elle remarque que Ieng Thirith nie avoir tué : «nier» n’est pas l’expression d’une incapacité mais d’une volonté, argumente-t-elle. Ieng Thirith «refuse», Elisabeth Simmoneau Fort constate que c’est une attitude répandue chez les accusés. Ieng Thirith mesure les conséquences de son comportement. L’ancienne Khmère rouge parle beaucoup de son incompétence mais ne dit rien sur ce qui peut l’accuser. Elisabeth Simmoneau Fort considère que la disjonction engendrerait de lourdes complications et reviendrait à ouvrir la boîte de Pandore.
Alors que son sort est en débat, Ieng Thirith est absente, elle a renoncé à son droit d’assister à l’audience.

Cet article n’aurait pu être écrit sans l’aide précieuse de Stéphanie Gée

Quand les parties civiles défendent leur place et leur demande de réparations


Elisabeth Simmoneau-Fort, co-avocate principale, déclare que "chaque partie civile doit avoir l'impression qu'elle reçoit une forme d'indemnisation qui atténue sa souffrance". C'est d'autant plus vrai, insiste-t-elle que le procès étant scindé en plusieurs, toutes les parties civiles ne participeront pas aux audiences. (Anne-Laure Porée)



Unis face à la cour
Elisabeth Simmoneau Fort, co-avocate principale, introduit une matinée entièrement consacrée à la question des réparations. Elle insiste dans son propos sur la nécessité des parties civiles dans ce procès et sur leur unité. Les demandes de réparation sont le fruit d’une réflexion et d’un travail communs, explique-t-elle. A sa suite, Martine Jacquin, d’Avocats sans frontières (ASF) rappelle que les demandes des parties civiles dans le procès 2 sont proches des demandes formulées dans le procès 1 où elles avaient été rejetées par la cour. Les avocats des parties civiles ont bien sûr fait appel mais la Cour suprême n’a toujours pas statué ce qui laisse les représentants des parties civiles en mal de repères juridiques à l’aube du procès 2. Même si les règles ont évolué, les points d’interrogation restent nombreux. Martine Jacquin cite un exemple : dans le procès contre Duch les parties civiles ont proposé de créer un fonds d’indemnisation alimenté par une partie des rentrées d’argent au musée de Toul Sleng et aux charniers de Chhœung Ek. L’idée a été rejetée par les magistrats, il y a eu appel mais la cour suprême n’a toujours pas tranché…


Les réparations : un droit des parties civiles
Dans la foulée, l’avocate exprime un désaccord commun à tous les représentants des parties civiles : à ce stade de la procédure (les audiences sur le fond n’ont pas encore commencé), les parties civiles n’ont pas à exposer le détail des réparations, ni leur mode d’exécution, contrairement à ce que leur demande la cour. En revanche, Martine Jacquin rappelle que les réparations sont un droit des parties civiles garanti par le règlement intérieur autant que par le droit international.


La disjonction, sujet indésirable
L’avocate tente ensuite de traiter les conséquences de la disjonction du procès 2 sur la demande de réparations citant au passage que les requêtes des procureurs et des parties civiles qui proposaient un réexamen de cette disjonction ont été rejetées la veille par les magistrats. «Les répercussions [sur les réparations] ne sont pas une possibilité mais une certitude» dit Martine Jacquin. A peine trois minutes après qu’elle ait abordé ce sujet, le président de la cour l’interrompt. Ce n’est pas le lieu de discuter de la disjonction des poursuites. L’ordre du jour c’est la nature des réparations. Nil Nonn demande sans détour aux co-avocats principaux de tenir leurs troupes. «J’invite les co-avocats principaux à assurer la coordination des parties civiles.» Le programme doit rester le programme. Elisabeth Simmoneau Fort monte au créneau : « Nous ne pouvons pas élaborer des demandes de réparation sans nous référer au cadre juridique qui leur est laissé. Nous considérons que les problèmes que nous avons abordés déterminent ce cadre juridique. […] Ce qui est dit ce matin ne résulte pas de la pensée de l’un ou l’autre d’entre nous mais d’une pensée du collectif des parties civiles, c’est une position commune, qui résulte de la coordination des parties civiles. J’insiste pour que la cour nous laisse terminer sur ce cadre juridique. Je pense qu’il est difficile de parler des réparations sans évoquer un peu les conséquences de la disjonction.» Mais la cour refuse catégoriquement que soit évoquée la disjonction.


4 catégories de projets de réparations
La matinée permettra néanmoins de balayer les projets de réparation qui sont classés en quatre catégories.

La première catégorie s’attache à un espace de deuil et de réflexion en proposant l’organisation d’une journée du souvenir, l’érection de stupas ou monuments (une demande concerne par exemple un monument pour les victimes de mariages forcés), l’organisation de cérémonies (notamment à l’issue du jugement) et enfin la préservation des sites où les crimes ont été commis.
La deuxième catégorie concerne la réhabilitation des victimes. Il s’agit par exemple d’offrir un accès à des services de santé physique et psychologique (centre de santé mentale, soins gratuits…) en collaboration avec des structures existantes. L’idée de soutenir la constitution de groupes d’entraide est également soulevée.
La troisième catégorie de réparations s’attache à l’éducation et la documentation. La liste des projets comprend l’intégration de documents khmers rouges et d’informations relatives au tribunal dans les programmes scolaires; l’ouverture d’un lieu accessible au public avec centre de documentation, archives, bibliothèque (le DC-Cam s’y associerait); la constitution d’un registre des victimes consultable en format papier ou sur internet; enfin la publication des noms des parties civiles et leur diffusion dans l’ensemble du pays. Lor Chunthy, avocat des parties civiles, propose ensuite la fondation d’un centre œucuménique consacré aux coutumes khmères et la création d’un centre pour la préservation de la culture cham.
La quatrième et dernière catégorie de réparation correspond essentiellement à la création d’un fonds d’indemnisation (le nom n’est pas définitif), c’est-à-dire un organe indépendant, capable de recevoir des financements qui permettraient la réalisation de projets divers. Cet organe serait le bras économique garantissant la réalisation des projets de réparation. Les avocats des parties civiles rappellent qu’un organe de ce type existe à la Cour pénale internationale, à la cour interaméricaine des droits de l’Homme… Ils souhaitent également qu’un organisme informe les parties civiles des réparations mises en œuvre et plus largement la population cambodgienne. « Une part de la réparation tient dans son prononcé, une part dans sa réalisation effective, une part tient dans ce qu’elle est portée à la connaissance d’autres que ceux à qui elle a été allouée», argumentent-ils.


Controverse sur l’attribution de la nationalité khmère
Un autre projet s’adresserait aux victimes de mariages forcés et à leurs enfants pour leur proposer des formations professionnelles d’une année et du micro-crédit.
Enfin, un projet consisterait à «faciliter l’acquisition de la nationalité khmère» à des «personnes d’ethnicité vietnamienne». Cette proposition va faire monter au créneau les avocats de la défense. En effet, s’il est clair qu’il s’agit pour les avocats des parties civiles d’aider certains de leurs clients d’origine vietnamienne dans leurs démarches pour obtenir la nationalité khmère, personne ne comprend exactement de qui il s’agit. Malheureusement, c’est sur ce cas particulier et controversé que l’audience des réparations se termine.


Le nationalisme épidermique de la défense
Bien que de nombreuses questions restent en chantier sur les réparations (Faut-il estimer le coût des réparations ? Faut-il donner des noms de lieu ? Comment les juges conçoivent-ils la demande de réparation pour chaque sous-procès?…), ce sont les points de vue des avocats de la défense que le public retiendra concernant la naturalisation de Vietnamiens, sujet d’une grande sensibilité. Son Arun interpelle la cour : sur quel fondement donner la nationalité khmère à des immigrés illégaux ? Il ne fait pas le moindre doute pour lui que les avocats des parties civiles parlent de Vietnamiens illégaux sur le territoire cambodgien. Phat Sou Seang, lui, trouve «inappropriée» des demandes de réparations pour les Vietnamiens et les Cham. «Il ne faut pas solliciter de mesure de réparation pour les Vietnamiens. Je crains fort que la population cambodgienne se demande pourquoi il n’y a pas de demande spécifique pour les Cambodgiens.»
Ang Udom rappelle enfin qu’il existe un cadre juridique à l’octroi de la nationalité khmère. «S’agissant d’étrangers qui résidaient au Cambodge sans avoir la nationalité cambodgienne et qui sont morts, est-il possible d’octroyer la nationalité cambodgienne à ces victimes ou à leurs enfants ?» Il énumère les 4 critères qui permettent d’obtenir la nationalité : être né au Cambodge, être marié à un(e) Khmer(e), être un investisseur, faire un don à raison d’un certain montant au gouvernement. Sur la base de quelle loi serait attribuée la nationalité khmère à ces victimes vietnamiennes? demande-t-il.

Les explications du côté des parties civiles ne permettront pas au public de comprendre que les victimes dont il s’agit, ballottées par l’histoire, sont à ce jour apatrides et que le Cambodge était simplement la terre choisie par leurs aïeuls originaires du Vietnam.

Début des audiences sur le fond le 21 novembre

Les premières journées d’audience sur le fond du cas 002 (procès contre Nuon Chea, Ieng Sary, Ieng Thirith et Khieu Samphan) seront consacrées à la lecture des chefs d’accusation contre les accusés ainsi qu’à l’exposition des faits qui leur sont reprochés par les co-procureurs. Même si le procès a fait l’objet d’une disjonction et fera donc l’objet de plusieurs chapitres, les juges souhaitent entendre les procureurs s’exprimer sur l’ensemble des chefs d’accusation et l’ensemble des faits, y compris ceux qui seront traités aux étapes ultérieures. La défense de chaque accusé répondra aux co-procureurs. Les éléments de preuve seront examinés à partir du 28 novembre 2011 et les audiences dureront jusqu’au 16 décembre. Elles reprendront ensuite le 9 janvier 2012.