Chim Meth, combattante khmère rouge, raconte la rééducation à S24



 





Au deuxième jour d'audience, Chim Meth maîtrise mieux ses émotions. (Anne-Laure Porée)
Au deuxième jour d'audience, Chim Meth a fini son récit, elle est moins bouleversée, elle répond aux questions. (Anne-Laure Porée)





Enrôlée au village

Elevée par ses grands-parents, Chim Meth n’a connu ni sa mère, morte alors qu’elle avait trois mois, ni son père, policier, décédé en 2003. Elle est recrutée par les Khmers rouges en 1974 pour intégrer l’unité des femmes. La première fois qu’elle et ses amies suivent les hommes en noir, elles ne sont pas à l’aise avec les cadres, elles rentrent au village. La deuxième fois, elles partent pour de bon. « Si vous osez rentrer chez vous, vous serez reprises et envoyées ailleurs », préviennent les Khmers rouges. « Nous n’étions pas volontaires », glisse Chim Meth.


Formation militaire précoce

A l’âge de 16 ans elle est formé au combat dans la province de Kompong Cham : « On nous a appris à ramper, à démonter et remonter une arme, comment déminer ou miner. Nous avons appris ces choses élémentaires pendant trois mois. […] On nous a appris à tirer, notamment avec un AK47 ou avec un lance-roquettes. On nous a appris à manier plusieurs types d’armes. » Chim Meth s’en sort quand elle tire avec un B40 mais éprouve des difficultés avec d’autres armes. Au terme de cette formation militaire, elle est donc assignée à l’arrière, elle convoie des munitions sur différents fronts, porte la nourriture aux soldats et ramène les blessés à l’hôpital. Chim Meth qui raconte en tournant ses doigts entre ses mains croisées, se souvient avec exactitude de tous les noms de lieux.


Trois tonnes par hectare

Après la prise de Phnom Penh par les Khmers rouges, son unité stationne près du pont japonais, au nord de la capitale avant d’être assignée à la riziculture à Toul Kork. « On a commencé à cultiver le riz en 1976, on faisait les deux types de culture : saison sèche et saison des pluies et on a fait une belle récolte parce que le sol était très riche. Nous étions en compétition avec d’autres équipes pour parvenir à un rendement de 3 tonnes par hectare. Nous n’avions donc pas beaucoup de temps pour nous reposer. Toute notre énergie allait dans la culture du riz. » Ces objectifs de production imposés par l’Angkar mirent le peuple cambodgien en esclavage et servirent d’outil de rééducation par le travail.

Après un passage dans une usine de caoutchouc et un essai peu convaincant d’élevage de porc, Chim Meth retourne à la riziculture avec ses camarades de l’unité de femmes célibataires.


La récolte de riz est un des thèmes favoris de la propagande khmère rouge comme en témoigne cette image extraite d'un film muet tourné sous le Kampuchéa démocratique. (Direction du cinéma cambodgien)
La récolte de riz est un des thèmes favoris de la propagande khmère rouge comme en témoigne cette image extraite d'un film muet tourné sous le Kampuchéa démocratique. (Direction du cinéma cambodgien)



Dans ces films de propagande, le sourire des paysannes est de rigueur, à l'opposé du récit que fait Chim Meth. (Direction du cinéma cambodgien)
Dans ces films de propagande, le sourire des paysannes est de rigueur, à l'opposé du récit que fait Chim Meth. (Direction du cinéma cambodgien)



Les slogans imprègnent le quotidien des Cambodgiens. Celui-ci, inclut dans un film de propagande uniquement consacré à la récolte du riz sous les Khmers rouges dit : "Soyons déterminés à accomplir la tâche politique en 1977 du Grand bond en avant!"
Les slogans imprègnent le quotidien des Cambodgiens. Celui-ci, inclut dans un film de propagande uniquement consacré à la récolte du riz sous les Khmers rouges dit : "Soyons déterminés à accomplir la tâche politique en 1977 du Grand bond en avant!"



L’empreinte du 10 novembre 1977

Chim Meth est appelée par le nouveau commandant de sa division, le 10 novembre 1977. Comment se souvient-elle précisément de cette date ? Personne ne le lui demande. L’homme qui la convoque chez lui, près du pont japonais, vient de la zone du Sud-Ouest contrôlée par Ta Mok. « J’avais déjà subi deux périodes de rééducation. […] D’autres avaient disparu avant moi. […] Je me suis dit : ‘Peut-être que c’est mon tour’ ». Lorsqu’elle arrive, le commandant n’est pas là. « J’ai attendu, je me suis presque endormie. J’ai demandé pourquoi on ne m’emmenait pas au bureau. Plus tard, ils m’ont arrêtée, mise dans un camion et ils m’ont bandé les yeux. Il y avait un chauffeur et deux gardiens armés. Le  camion est parti, je ne sais pas dans quelle direction. » Elle ne connaît pas d’autre quartier que le pont japonais et Toul Kork. Au petit matin : « On m’a mise dans une pièce, j’ai vu d’autres femmes de la même unité, Yœun et Yat. […] Nous nous demandions les unes aux autres où nous nous trouvions. Elles m’ont dit : contente-toi de répondre aux questions qu’on te posera. »

Dans cette prison, elle ne touche pas au gruau tant elle se sent mal. Soudainement Chim Meth se cache dans un mouchoir qui éponge la douleur du souvenir. Dans les rangs du public, un Cambodgien réagit avec agacement aux larmes de l’ancienne combattante :  «  Les Khmers rouges n’étaient pas très tendres avec les Nouveau peuple non plus ! »


Evanouie

Au troisième jour de son incarcération, Chim Meth est conduite les yeux bandés dans une salle d’interrogatoire. Deux hommes la questionnent après lui avoir attaché les mains dans le dos avec une corde. « Ils m’ont demandé si j’avais jamais participé à des formations de la CIA ou du KGB. Ça ne me disait rien du tout. A l’époque nous n’étions pas membres de quelque force secrète que ce soit. Tout ce qu’on avait fait c’était travailler dans les rizières ou préparer de l’engrais. Seuls mes supérieurs avaient des réunions. Nous on avait des réunions critiques et autocritiques mais qui portaient sur la production et les façons d’augmenter la production dans l’unité. » Les questions sont martelées et martelées encore. « Ils m’ont frappée un peu, j’ai eu peur et je me suis évanouie. » La torture lui est infligée : les coups, pas l’électrocution. « A chaque fois que je donnais la même réponse on me frappait avec un bâton. Ma cheville était bloquée dans quelque chose, ça faisait très mal, je ne voyais rien. […] On me jetait aussi de l’eau et on me faisait ingérer de sauce de poisson ou de l’eau savonneuse. »

Deux semaines et deux interrogatoires plus tard, les réponses de Chim Meth n’ont pas varié. Elle qui a entendu des cris et des pleurs pendant sa détention, est embarquée avec Yoeun et Yat à bord d’un camion jusqu’à Prey Sâr où elles sont mises au travail. « On nous a donné des outils tout de suite. »


« Ne posez pas trop de questions »


La dernière trouvaille de l'équipe audiovisuelle pour ne pas être collé à l'émotion. (Anne-Laure Porée)
La dernière trouvaille de l'équipe audiovisuelle : un plan large sur le témoin pour ne pas être "collé" à l'émotion. (Anne-Laure Porée)


Trois jours après leur arrivée, les deux compagnes de Chim Meth disparaissent. « J’ai demandé à la chef d’unité : ‘qu’est-il arrivé à mes deux camarades ?’ On m’a répondu qu’elles avaient été transférées dans une autre unité. ‘Ne vous inquiétez pas ne posez pas trop de questions.’ Je pleurais. » Devant la cour, elle s’effondre de nouveau. L’équipe audiovisuelle passe immédiatement en plan large. Ce point de vue, parfait pour gommer le surplus d’émotion qui se manifeste dans le prétoire, est une trouvaille récente associée aux témoignages des parties civiles (apparue après les récits des survivants connus de S21). Il offre l’avantage de montrer la salle d’audience pleine et un témoin que personne ne voit en larmes tellement il est filmé de loin. L’image est certes plus esthétique que le récurrent plan large sur le dos des co-procureurs mais colle à cette volonté désespérante d’enregistrer des images cliniques de ce procès historiques.

Chim Meth vit de nombreuses disparitions, par exemple celle d’une camarade empêchée de travailler par des œdèmes aux pieds. « Elle a été emportée », lui dit-on. Quand elle creuse des canaux, elle constate le départ de beaucoup de personnes âgées remplacées par de nouveaux arrivants. Un jour d’extrême faiblesse qu’elle ne parvient pas à porter de panier de terre, elle est menacée par sa chef d’unité : « Elle m’a dit qu’il fallait que je fasse de mon mieux sinon j’allais disparaître. » Autour d’elle, 50 % des femmes de S24 ont disparu.

Rééducation par le travail

Chim Meth est venue avec la volonté de parler. Submergée par l’émotion, elle avance dans son récit malgré les sanglots. Longuement, elle raconte son après-détention au centre de rééducation Prey Sâr aussi connu sous le nom S24, que l’accusé avait aussi sous son autorité. Les conditions de vie et de travail sont très pénibles comme si ce camp de rééducation devait atteindre le même degré de perfection que S21 dans sa mission de purification.

Dans un premier temps, Chim Meth est assignée au repiquage du riz. « Je ne suis restée là que dix jours mais je suis devenue très maigre. » Elle reçoit 1 cuillerée de gruau pour 20 cuillerées de soupe. Elle apprend très vite à ramasser des feuilles pendant sa journée de travail pour les ajouter au bouillon du soir et améliorer la ration ordinaire. Les journées se succèdent avec leur lot de femmes évanouies, de morts, de disparus ; avec la violence, l’affaiblissement, les changements de tâches… Dans une formulation typiquement khmère rouge, Chim Meth résume : « Je travaillais très dur jour et nuit pour me reconstruire ».

En 1978, l’unité 17, la sienne, est affectée aux rizières. Les nuits sont courtes, le travail commence parfois au milieu de la nuit, finit parfois le soir tard. Les femmes épuisées connaissent les problèmes de peau, la maladie, les blessures, la faim. « Parfois s’il manquait une banane ou un fruit, la chef d’unité venait voir chacune d’entre nous et flairait notre bouche pour détecter à l’haleine si nous avions mangé quelque chose. […] Pendant les six mois que j’ai passé là, j’étais en piètre état. J’avais l’air morte. »

Comme d’habitude, des quotas sont fixés : 1 ha à planter chaque jour par groupe de cinq. Le co-procureur cambodgien demandera plus tard qui donnait l’ordre et répartissait les travailleurs. Selon Chim Meth, qui ignore le nom du chef de Prey Sâr, le plan cadre était appliqué à tout le monde, le chef d’unité distribuait le travail. « C’était pratiquement mission impossible tant nous étions affaiblies. […] Si ça ne poussait pas, nous étions accusées de trahison en détruisant la propriété d’Angkar. Nous étions habitées par une peur profonde. » Son groupe est envoyé en renfort auprès d’autres groupes pour dépasser l’objectif de 3 tonnes par hectare. Elle passe aussi des périodes à creuser des canaux et construire des digues. Les chefs de brigade et d’unités assurent l’ordre, sans appui de gardes armés. « Il fallait absolument remplir les quotas qui nous étaient donnés sinon nous étions passibles de mesures disciplinaires. Par exemple quand on nous disait d’ériger une digue il fallait remplir le quota qui était de 5 m3. »

S24 accueille beaucoup de femmes et d’enfants. Les bébés de deux ou trois mois, allaités, étaient très maigres. « C’était un spectacle pitoyable mais je ne pouvais rien faire parce que j’étais moi-même prisonnière. » Nombre de ces enfants meurent de malnutrition ou de famine.


Un récit catharsis

Avec ses camarades les plus proches, elles pensent au suicide mais l’une des femmes du groupe de Chim Meth refuse l’idée : « Il ne faut même pas penser cela, nous devons lutter pour survivre. » Chim Meth avale une nuit un mélange d’herbes préparées à base d’écorces. « Nous avons pensé mourir tant était puissant l’effet de cette écorce. Nous avons bu cette tisane. En fait nous ne sommes pas mortes, nous avons repris des forces. » Le public rit.

Un jour qu’elle tombe dans un fossé, elle se fait traiter de « paresseuse », de « tête de mule ». Les insultes aujourd’hui encore lui hérissent la peau et sont vécues comme une humiliation, de même que le fait d’avoir été battue quand elle était à bout de force.

Mise dans une autre unité qui plante des légumes en août 1978, elle est aidée par quelques femmes qui la requinquent. Elle mange à sa faim. « Nous faisions toujours de notre mieux pour remplir le quota. » Pendant les longs mois qui suivent, Chim Meth s’active au repiquage du riz, à son transport, à la récolte des arachides tandis que les troupes vietnamiennes approchent.

Le président de la cour laisse la partie civile narrer longuement sa fuite devant les Vietnamiens puis son retour vers la capitale, sa résurrection chez une femme qui la recueille à Chorm Chau et l’adopte comme une filleule. Elle retrouve le quotidien d’une villageoise ordinaire. « Je savais que je pourrai vivre et non pas mourir. »

Nil Nonn interrompt finalement : « Je vous remercie pour ce très bon récit ». Le public glousse.


Exploration des conditions de détention

Comme bien d’autres le président se demande si Chim Meth a été incarcérée à S21 puis libérée ou transférée à S24. Depuis le début, la partie civile explique clairement qu’elle ne sait pas où elle a été détenue. « Je ne savais pas que c’était Tuol Sleng ou S21. Je savais simplement que c’était un centre de détention où je me trouvais. »

Les questions du président de la cour tentent de cerner si la prisonnière a été soumise au même traitement que les autres détenus de S21. Or à son arrivée au centre de détention, Chim Meth n’est pas photographiée et personne ne lui demande de biographie. Quand elle décrit la cellule, elle se rappelle que la pièce où elles sont enfermées de l’extérieur se trouve près d’une cage d’escalier et suppose que le bâtiment était haut « car le soir je pouvais entendre les cris de gens qui se trouvaient au-dessus de ma tête, au premier ou deuxième étage. » Il lui est par ailleurs impossible de livrer des détails sur le lieu où elle était puisqu’elle était systématiquement déplacée les yeux bandés. En revanche, elle explique qu’elle gardait tasse et cuiller pour les repas (ce qui a priori n’était pas courant à S21 par peur que les prisonniers se suicident). Pendant sa détention, elle ne s’est pas lavée. « Les camarades Yoeun et Yat, on leur a dit d’aller prendre un bain, mais à leur retour, elles se sentaient très mal, elles ont dit que si on proposait d’aller se laver, valait mieux mourir que d’y aller. » Tout ça se murmurait en chuchotements.


D’où vient la photo d’identité ?


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Dans les documents joints au dossier de Chim Meth se trouvent une photo d’identité en noir et blanc, sans matricule, et une biographie que cette même photographie accompagne. Le président fait projeter ces documents à l’écran et prie Chim Meth de les dater. « Cette photographie a été prise en 1977 ou 1978 quand j’étais dans mon unité. Quand ma chef d’unité m’a demandé de faire ma biographie, on a pris ma photo en même temps. C’était à Prey Sâr, lorsque j’étais dans l’unité 17. Gnô était la chef d’unité. »

Le président s’étonne, la photo ne reflète pas de maigreur particulière… Chim Meth esquive inconsciemment. « Quand je suis arrivée à l’unité 17, quelques jours plus tard, on m’a appelé dans un bureau, là ils ont pris note de ma biographie et ils ont pris ma photo. »

Devant la biographie avec photo, elle se reconnaît. « D’après mon souvenir cette biographie a été faite à mon ancienne division, la division 450, à la fin de 1977. On m’a convoquée trois fois pour faire ma biographie. Trois fois en un mois. On m’a posé des questions sur mon village d’origine, sur le métier de mes parents, sur le moment où j’avais rallié la révolution. […] Ils ont donc dit que j’appartenais à la classe des paysans moyens. »


La méthode documentaire de Duch

08-07-09-duch-methode-docuLe juge Jean-Marc Lavergne prie l’accusé d’identifier la photographie de Chim Meth et le document associé. « Monsieur le président, il s’agit d’un document de S21 mais établi à Prey Sâr. » Duch procède à l’analyse des documents avec rigueur. « En haut à gauche, sous le numéro ERN, on voit le mot ‘bureau S21’. Deuxième chose, il s’agit ici du formulaire que le camarade Houy utilisait pour envoyer les gens en rééducation à Prey Sâr. Ce document le dit très clairement. On y voit la mention de l’unité précédente qui était la division 450. Et l’unité actuelle, à l’époque l’unité 17. Et dans le bas du document on voit clairement que Met est arrivée le 12 octobre 1977. »


La version de l’accusé : un autre centre de détention

« Que pensez-vous de l’affirmation de la partie civile, comme quoi elle a été détenue quinze jours et quinze nuits à S21 ? » demande la cour à Duch. Du point de vue de Chim Meth, l’affirmation semble davantage une suggestion prudente, une hypothèse sans certitude. Ce qui explique qu’elle n’est pas ébranlée par la réponse de Duch.

« Je voudrais ne pas faire de commentaire sur ce point », dit l’accusé… « Mais puisque vous posez la question, voici ce que je peux vous dire. J’observe que camarade Met a été détenue à un endroit qui relevait de la division 450. Et les aveux de Soum, qui était anciennement secrétaire de la division 450 montre qu’il a fait procéder à l’arrestation de membres de la 450e division qu’il a fait arrêter sur place […]. Par ailleurs j’ai un autre document en ma possession qui montre que chaque division, à cette époque, avait son propre centre de détention. » Duch déballe les noms, dates, et numéros ERN adéquats avec une précision incroyable. Il cite les documents puis conclut : « Pour résumer, je crois pour ma part que la camarade Met, madame Chim Meth, a effectivement souffert et été détenue mais au centre de détention de la 450e division. Cela ne signifie pas que je nie ma responsabilité pénale mais le fait est que si elle avait été transférée à S21, elle aurait été tuée. […] Je crois pour ma part qu’elle a été transférée de la 450e division à Prey Sâr. »  Plus tard, Duch s’affirme « pleinement responsable » pour ce qu’a vécu Chim Meth à S24 et non « émotionnellement responsable » comme le lui suggérait Kim Mengkhy, avocat du groupe 3 des parties civiles.


Bataille d’avocats

Le jeudi 9 juillet 2009, les avocats reprennent le débat sur l’origine de ces photos. Kim Mengkhy argue que la partie civile a expliqué que la photo a été prise avant son arrestation, donc à la division 450 et non à S24. Marie-Paule Canizares, avocate de la Défense, cite Chim Meth confirmant la veille que la photo a été prise à S24. Les parties bataillent sur la base des transcriptions de l’audience de la veille. Personne n’a tort puisque les deux déclarations figurent en effet dans les propos de la partie civile. Match nul.


La procédure photographique à S21

La juge Silvia Cartwright profite du débat pour interroger Duch sur la pratique photographique à Prey Sâr sachant que Duch vient « d’offrir son commentaire » sur la procédure à S21 : « Toute personne envoyée à S21 était photographiée par nos employés et il fallait un numéro en particulier pour les détenus venant de S24 ». Fidèle à la position qu’il défend depuis le début de directeur qui n’est pas au fait des détails de Prey Sâr, qui délègue, et ne visite pas sa prison, l’accusé ajoute, après requête de la juge : « Je ne crois pas pleinement connaître la pratique là-bas. […] Tous les cinq photographes étaient à Phnom Penh, ils étaient basés vers l’Est de la prison de Tuol Sleng. Srieng était le chef de l’équipe de photo, qui surveillait l’équipe. Mais à l’occasion, l’un des membres de l’équipe était affecté à la tâche de photographier les détenus de Prey Sâr. » La juge en conclut que tous les détenus n’étaient pas photographiés puisque le photographe était envoyé épisodiquement. « En principe, les gens envoyés à Prey Sâr devaient être photographiés, sauf les enfants, pour autant que je me souvienne. »

Revenant au cas de la partie civile, Duch explique la photographie a été prise à Prey Sâr mais développée, archivée et conservée à Phnom Penh. Il répète que la biographie a été rédigée par Houy.


Confrontation version écrite / version orale

Anees Ahmed, co-procureur international, est surpris de lire dans la version écrite de la déclaration jointe à la demande de constitution de partie civile, que Chim Meth assure avoir compris « dès le deuxième jour » de sa détention qu’elle était à Tuol Sleng. « Le jour où j’ai su que j’étais à Tuol Sleng, je ne l’ai su en fait que lorsque le CSD [Centre pour le développement social] a apporté les documents avec ma photo. C’est là que je me suis rendue compte que j’avais été détenue dans une prison dont je ne savais à l’époque qu’il s’agissait de Tuol Sleng. » Dans la foulée, elle précise qu’elle n’a pas personnellement vu ou reconnu Duch. Le co-procureur essaye d’en savoir plus sur ce que les codétenues de Chim Meth ont subi lorsqu’elles sont allées se laver pendant leur incarcération mais la partie civile n’a jamais su. Le président Nil Nonn recadre deux fois Martine Jacquin, avocate du groupe 3 des parties civiles, dont les questions sortent de la compétence du tribunal ou ne sont pas en rapport avec les faits. Les avocats des parties civiles se concentrent sur des déclarations émouvantes mais n’éclairent pas les ambiguïtés du témoignage.

C’est donc la défense qui se charge des failles. Kar Savuth pointe des détails comme les tortures aux électrochocs mentionnées dans la version écrite, dit-il, et niés à l’oral. Chim Meth rétablit qu’elle a subi des électrochocs dans sa division d’origine alors qu’elle donnait sa biographie. L’avocat de la défense titille : être obligée d’ingérer de force de la sauce de poisson ou de l’eau savonneuse n’a rien à voir avec recevoir des éclaboussures. Les questions conduisent Chim Meth a réitérer : « Lors de mon arrestation, je ne savais pas si j’étais mise à S21 ou à Prey Sâr ». Toujours est-il qu’elle a bien été détenue quelque part. A Marie-Paule Canizares, elle complète qu’elle n’a jamais reconnu sa cellule à S21 et qu’elle n’avait pas pu déterminer lors de son unique visite en novembre 2007, si elle avait été détenu là puisqu’elle avait les yeux bandés hors de sa cellule. L’échange entre Marie-Paule Canizares et Chim Meth se termine ainsi :

– Peut-on dire que le seul élément qui vous fait dire aujourd’hui que vous avez pu être à l’époque détenue à Tuol Sleng est la photo de vous affichée là-bas ?

– Lorsque j’ai vu ma propre photo et la photo d’autres femmes de mon unité, je n’ai pas réalisé que j’étais détenue à Tuol Sleng. Mais ces autres personnes de mon unité ou la chef d’unité avaient été détenues là car Tuol Sleng était une grande prison. […]

– Même en voyant votre photo, je dirais, très récemment à Tuol Sleng ce n’est pas cela qui vous a permis de dire que vous même, à l’époque, vous aviez pu être détenue à Tuol Sleng ?

– Comme je l’ai dit, je ne savais pas si j’étais détenue ou si j’avais été détenue à Tuol Sleng. J’étais détenue dans un centre de détention. Est-ce que c’était Tuol Sleng ou pas ? Je ne le savais pas.


Le refus d’aller à S21

Chim Meth a attendu novembre 2007 pour visiter le musée du génocide de Tuol Sleng où elle a pu identifier certaines femmes sur les panneaux de photos. Elle avait choisi de pas y mettre les pieds plus tôt. « Quand j’entends le mot prison ou centre de détention, toute la douleur revient. »

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