Le témoignage de Prak Khân, ancien interrogateur, charge Duch




Ce regard est tourné vers Duch quand le juge Jean-Marc Lavergne demande à Prak Khân s’il le reconnaît. Duch le lui rend-il ? Impossible de le savoir à l’écran puisque l’équipe audiovisuelle, toujours aussi réactive, ne filme pas l’accusé à ce moment-clé. (Anne-Laure Porée)
Ce regard est tourné vers Duch quand le juge Jean-Marc Lavergne demande à Prak Khân s’il le reconnaît. Comment Duch réagit-il ? Impossible de le savoir à l’écran puisque l’équipe audiovisuelle, toujours aussi réactive, ne filme pas l’accusé à ce moment-clé. (Anne-Laure Porée)



Un huis-clos « inapproprié »

L’audience du 20 juillet s’était terminée à huis-clos à la demande des co-procureurs afin que la chambre examine la question relative à l’auto-incrimination des témoins. La chambre a déterminé après-coup que le huis-clos n’était pas approprié. Elle s’est engagée à veiller à ce que les témoins (pour être plus clair : les anciens subordonnés de Duch) qui risquent de s’auto-incriminer c’est-à-dire de s’accuser d’un crime, soient informés de leur droit à garder le silence et soient appuyés par un avocat. La Chambre impose également à la défense de ne plus intervenir pour prévenir les témoins de leurs droits.


Un parcours classique qui mène à S21

Prak Khân entre dans le prétoire. Il a prêté serment. Comme promis, le président l’informe de ses droits et de ses devoirs. Prak Khân, 58 ans, est originaire de cette région de Kôh Thom et Saang (d’où vient également Him Huy) au sud de Phnom Penh, où les Khmers rouges ont très tôt recruté parmi les nombreuses familles de paysans pauvres. Prak Khân a rejoint la révolution vers la fin 1972 dit-il au président Nil Nonn. Il est de la bonne classe pour les Khmers rouges, celle des paysans les plus exploités. Très vite il est envoyé dans l’actuel district de Bati, dans la province de Takéo, où il cultive du manioc, avant d’être affecté dans les rangs de l’armée. Il apprend à manier les armes, il se bat sur le front, il est fier des victoires que les Khmers rouges remportent. C’est du moins ce qu’il explique dans le livre de Rithy Panh et Christine Chaumeau, La machine khmère rouge.

En sa qualité de soldat de la division 703, il est envoyé après la prise de Phnom Penh dans les rizières de Prey Sâr. « On nous a donné des charrues et les charrues étaient tirées par des humains pour retourner la terre » raconte-t-il à Nil Nonn. L’endurance et la ferveur révolutionnaire de Prak Khân lui valent une affectation à S21. Prey Sâr n’était pas qu’un centre de rééducation, les employés de S21 y étaient recrutés après avoir fait leurs preuves dans les champs et les canaux. Le président ne demande pas quand Prak Khân est nommé à S21 mais il semble que cela soit au début de 1976. L’homme est nommé d’abord garde à l’extérieur de l’enceinte puis il devient interrogateur, fin 1976.


Garde donc observateur

La mission essentielle de Prak Khân quand il s’installe à Phnom Penh consiste à surveiller les aller-venues de camions et à contrôler que personne ne pénètre sur le territoire de S21 sauf autorisation particulière.  Ses supérieurs, Hor et Huy, sont ses chefs immédiats. Ils nous « informaient fréquemment des règles, nous enjoignaient d’être vigilants dans nos tours de garde ». Le travail de surveillance occupe les gardes douze heures par jour, ils tournent à deux équipes, dorment tout près, mangent à la cantine des gardes, tout près aussi. En ouvrant le passage aux camions de S21, Prak Khân constate qu’ils s’arrêtent parfois à l’extérieur, parfois poursuivent jusqu’à l’enceinte intérieure. Certains prisonniers descendent déjà menottés et les yeux bandés, d’autres sont conduits dans une maison proche où l’équipe de Him Huy procède à leur arrestation. Tous prennent le chemin de la prison. L’afflux de détenus est irrégulier, parfois constant, parfois par vagues. Prak Khân note aussi les camions qui sortent du périmètre. « Je crois que la fréquence de camions qui partaient était la même que la fréquence de camions qui entraient » confie-t-il au juge Ya Sokhan qui l’interroge.


Les descriptions de Him Huy recoupées

Toutes les informations sur l’organisation de S21 pour les gardes de l’extérieur et l’arrivée des prisonniers livrées par Him Huy le jeudi 16 et le lundi 20 juillet sont confirmées par les propos de Prak Khân. Ainsi : les unités extérieures amenaient leurs détenus jusqu’au bureau de Him Huy à S21 ; quand les familles étaient arrêtées, le père, la mère, les enfants n’étaient pas parqués dans la même cellule ; quand des membres du personnel de S21 étaient arrêtés, ils étaient « escortés dans un bureau spécial au sud pour être interrogés, les yeux bandés, la tête couverte d’une couverture ». Prak Khân a reconnu à leur démarche d’anciens collègues, les dénommés Choeung et Nan, cachés de la sorte.

Prak Khân décrit aussi que le groupe de Him Huy allait chercher les prisonniers de guerre vietnamiens, précisant qu’il n’était peut-être pas le seul groupe chargé de tels transports de détenus. Il situe ces événements « vers fin 76 début 77 ».


Cours de torture

Quand Prak Khân passe à l’interrogatoire des prisonniers, il commence par regarder  comment Mam Nay et Ya s’y prennent. « Après un ou deux mois j’ai été autorisé à interroger à mon tour tout seul. » Plus tard, il suit les formations mensuelles dispensées par Duch, lequel enseigne des méthodes d’interrogatoire et de torture avec parfois un ou deux adjoints : théorie, principes et techniques. « A quoi ressemblaient ces formations et combien de techniques de torture vous a-t-on enseignées ? » s’enquiert le juge Ya Sakhon. « Pour ce qui est des techniques de torture, on nous apprenait comment torturer les prisonniers pour faire en sorte que le prisonnier ne décède pas car sinon nous ne pouvions plus obtenir ses aveux et nous risquions d’être punis. Nous avons été formés ainsi à la manière de fouetter les prisonniers, aux électrochocs, à la manière de les battre avec des cannes et à la manière d’employer un sac en plastique pour les faire suffoquer. » Quand il ne sait pas, Prak Khân le formule d’emblée. Il n’a donc pas appris de méthode de noyade simulée ni de torture avec des insectes.

Par ailleurs, au juge Jean-Marc Lavergne, il assure que Duch a conseillé deux méthodes pour humilier les détenus : leur faire manger leurs propres excréments et les obliger à rendre hommage à un dessin de chien. Le but : malmener le prisonnier sans le conduire à la mort. Les interrogateurs apprennent à ne pas utiliser le gros gourdin, à enfoncer des aiguilles sous les ongles, dans le seul objectif de provoquer une douleur insupportable sans engendrer de blessure grave des membres. Prak Khân déclare que Duch enseignait ces techniques de torture dite « légère » parce qu’elle ne devait pas avoir d’incidence sur le cœur du détenu.

Des règles disciplinaires strictes

A S21, des règles sont imposées aux interrogateurs aussi bien qu’aux prisonniers. Prak Khân cite quelques-unes de ces règles qu’il a retenues et s’est appliqué alors qu’il travaillait à S21 : « Par exemple [un interrogateur] ne pouvait frapper un détenu au point que le détenu en meurt. Il devait faire attention aussi à ce que personne ne s’évade. La chose la plus importante c’était que les prisonniers continuent à vivre pour que l’interrogatoire puisse se poursuivre. »

Quant aux détenus, des règles leur étaient également imposées, que le juge Jean-Marc Lavergne fait citer dans l’après-midi par un greffier :

« Règles du Santebal :

1 – Réponds à ce qui est demandé, ne dévie pas !

2 – N’utilise pas de ruse selon ton caprice ou bien pour protester !

3 – Ne fais pas semblant d’être ce que tu n’es pas, tu es quelqu’un qui veut écraser la révolution !

4 – Réponds immédiatement aux questions sans perdre de temps à réfléchir !

5 – Ne me parle pas de ta débauche ni de la révolution !

6 – Quand tu es battu ou électrocuté, ne crie pas !

7- Ne fais rien, reste tranquille et attends mes ordres. S’il n’y a pas d’ordre, garde le silence ! Quand je te dis de faire quelque chose, exécute-toi tout de suite sans protester.

8 – N’amène pas de prétexte autour du Kampuchéa Krom pour cacher ta véritable nature traître !

9- Si tu ne suis pas les règles ci-dessus, tu recevras de nombreux coups et décharges électriques !

10 – Le plus petit manquement à ces règles entraînera dix coups de rotin ou 5 décharges électriques. »

Toutes ces règles sont systématiquement rappelées en cours de formation selon Prak Khân qui affirme qu’elles sont inscrites au mur ou sur un tableau noir dans les salles d’interrogatoire. Un fait que conteste l’accusé, sur la base des documents écrits à disposition. « Si ces règles avaient été enseignées aux cadres de S21, leur contenu apparaîtrait dans les notes de Mam Nay ou Pon », justifie-t-il, en glissant que les règles en vigueur émanaient de Son Sen.


Monsieur KGB, CIA et ses objectifs « réseau d’ennemis »

Les sessions d’instruction sont l’occasion de former les interrogateurs à la recherche des ennemis, forcément agents du KGB, de la CIA ou espions vietnamiens, des formules si souvent compilées dans les aveux des prisonniers de S21. Trente ans après avoir subi la torture à S21, les survivants Chum Mey et Bou Meng, interrogent encore le sens de ces mots. « Ces termes-là, au début, je ne les avais jamais entendus, je ne les connaissais pas, précise Prak Khân. Mais pendant les séances d’instruction, Duch nous a parlé du KGB, de la CIA, des ennemis vietnamiens, des réseaux de traîtres. Tout ça, c’est Duch qui nous l’a enseigné. » C’est aussi Duch qui identifie les détenus de S21 comme des ennemis, ajoute Prak Khân. « Il nous disait souvent que du moment que quelqu’un était arrêté par le parti et amené à S21 c’est que cette personne était un ennemi. C’était d’ores et déjà acquis. »

Après quoi les interrogateurs ont une obligation de résultat : celle d’obtenir le réseau du détenu. « D’après ce dont je me souviens, ses instructions portaient sur les leaders et les prisonniers importants pour déterminer le réseau de leurs subordonnés », se souvient Prak Khân.


Le monde des interrogateurs

Les interrogateurs étaient placés sous l’autorité de Mam Nay alias Chan, déclare Prak Khân. Différents groupes interrogeaient les détenus : le groupe à la méthode froide, le groupe à la méthode chaude et le groupe dit « de mastication ». L’ancien interrogateur ignore qui avait défini et organisé ce classement, mais selon lui, « seul Duch avait le pouvoir de décider en la matière ». Dans le temps et du fait des purges, cette différenciation entre les groupes d’interrogateurs aurait disparu.

Les détenus étaient classés (selon Prak Khân, Duch décidait de leur classement, les prisonniers importants étaient placés en prison spéciale sur son ordre), les interrogateurs aussi. Prak Khân s’occupait des détenus ordinaires, « les gens qui étaient par exemple des combattants de peloton ». Il n’a jamais eu affaire à des prisonniers importants. Il lui est arrivé également d’interroger une femme alors que les interrogatrices de S21 avaient été éliminées, dit-il.

« Dans mon groupe de mastication, notre travail était d’interroger rigoureusement tout détenu qui refusait de répondre. Eh bien il fallait persister jusqu’à obtention des aveux. » Les détenus ont parfois été torturés avant d’arriver entre ses mains mais les autres interrogateurs n’en ont rien tiré. « Dans ce cas on nous les envoyait à nous. » Les interrogatoires avaient lieu en dehors du périmètre interne à S21, vers l’est, précise Prak Khân. Et la torture pouvait être, là encore, de rigueur.


Duch en flagrant délit d’interrogatoire

Un des moments forts du témoignage de Prak Khân est cette scène qu’il devra raconter plusieurs fois dans la journée de Duch procédant à l’interrogatoire d’une femme à S21, avec nombre de ses subordonnés (Hor, Chan, Pon, Ming, Bou…). Prak Khân dit y avoir assisté alors qu’il avait été appelé en renfort pour rester en faction devant la pièce où elle était interrogée. « C’était à 22/23 heures. Ils l’ont interrogée pour essayer de la démoraliser mais ils n’ont pas pour autant obtenu les aveux voulus. Vers 3 heures du matin, cette femme était inconsciente elle a été ramenée dans sa cellule. » Le juge Ya Sakhon demande évidemment si Duch a torturé lui-même cette détenue. « Je n’ai pas vu très clairement ce qui se passait. Je crois qu’il a simplement interrogé cette femme détenue, que ce sont les autres qui l’ont torturée. » Cette pauvre femme subira les coups, les électrochocs et la suffocation dans un sac plastique jusqu’à évanouissement. Est-ce que Duch donnait les ordres de torture ? « Je ne sais pas si Duch a donné des ordres ou pas pour ce qui était de torturer cette femme, convient Prak Khân. Comme elle n’avouait pas, elle a été torturée. » Le témoin complète par le fait qu’il n’a jamais vu de cas où l’accusé aurait pratiqué la torture.


Les visites aux interrogateurs

Cet épisode était-il exceptionnel ou Duch avait-il pour habitude de rendre visite à ses interrogateurs ? La position de Prak Khân n’est pas très claire. Il affirme dans un premier temps que « dans la pratique personne ne venait assister à mes interrogatoires. En général il y avait un interrogateur seul avec le prisonnier. » Mais le témoin ajoute : « Dans mon unité, parfois Duch passait à proximité et posait quelques questions pour savoir si le prisonnier avait déjà avoué ou non puis il repartait. » Il confirme cette version (qui correspond à l’une de ses auditions) en fin de journée au juge Jean-Marc Lavergne.


La procédure d’interrogatoire

La procédure pour qu’un détenu soit interrogé commence par un ordre. Un ordre écrit signé par Duch ou un ordre donné par téléphone afin de procéder à l’interrogatoire d’un détenu. Avec sa courte lettre d’instructions écrites, Prak Khân se présentait devant Suos Thy, l’homme qui savait exactement où se trouvaient les prisonniers. Ce-dernier vérifiait le nom, localisait le détenu et le faisait chercher par un garde qui lui bandait les yeux. Prak Khân l’escortait alors jusqu’au lieu d’interrogatoire. Sur place, l’interrogateur entravait le prisonnier assis sur une chaise, lui enlevait les menottes et le bandeau.

« Si les aveux convenaient alors on rédigeait ces aveux. Si les aveux n’étaient pas vrais, nous ne les mettions pas par écrit. Nous étions censés ne mettre par écrit que des aveux adéquats. » « Qu’entendez-vous par adéquats ? » coupe le juge. « Par exemple si les aveux établissaient le réseau, l’historique de l’activité de la personne interrogée, les traîtres complices, le chef de ce réseau, ça convenait. » « Si j’étais affecté à l’interrogatoire d’un prisonnier j’étais seul à connaître intégralement les aveux de ce prisonnier, indique Prak Khân. Et seul Duch était au courant de la progression de l’affaire. »

Prak Khân écrivait lui-même ces aveux à moins que le prisonnier ne sache lire et écrire. Ces aveux étaient ensuite transmis à Duch ou Chan par l’intermédiaire du chef de groupe, Thit. « A l’époque Mam Nay jetait un coup d’œil sur les aveux, parfois il les annotait pour complément, parfois Duch portait lui-même des annotations sur les aveux. » Ces annotations signent ou non la fin de l’interrogatoire. Des aveux incomplets trouveront par exemple la mention suivante : « Camarade il faut continuer l’interrogatoire sur tel ou tel point, par exemple le réseau de traître ». Ils sont éventuellement dactylographiés afin que Chan ou Duch y inscrivent proprement leurs amendements.

Pour les femmes, les interrogatoires avaient lieu portes et fenêtres ouvertes « pour éviter tout acte de débauche » précise Prak Khân qui a été au courant d’un cas de viol. L’auteur a été puni et emprisonné à S21 suite à ce crime.


Des mois sur un aveu

Tous les prisonniers n’étaient pas interrogés à S21. « Je crois que 50 à 60% des détenus n’ont pas été interrogés car on manquait d’interrogateurs et qu’il fallait beaucoup de temps pour qu’un interrogatoire arrive à son terme. » Prak Khân estime qu’il fallait au moins un mois pour conduire un interrogatoire et dans certains cas, cela s’étirait sur plusieurs mois.


La pratique de la torture sur seul ordre de Duch

Le recours à la torture est un des points clés de ce témoignage car il engage la responsabilité de l’accusé de manière beaucoup plus lourde que ce qu’il a bien voulu reconnaître jusqu’ici. Prak Khân affirme sans ciller que « en règle générale, l’interrogateur n’avait pas le droit de torturer qui que ce soit, sauf instruction spécifique de Duch ordonnant de torturer le ou la détenue. Nous ne pouvions utiliser la torture que lorsque nous en avions l’ordre. » L’ordre pouvait être donné par écrit aussi bien que par oral.


Le bébé jeté du dernier étage

Le juge Ya Sakhon pose beaucoup de questions sur les prisonniers de guerre vietnamiens, les détenus occidentaux, les enfants mais il n’obtient rien de bien nouveau par rapport aux témoignages antérieurs, notamment par rapport à ce qu’a déjà dit Him Huy. La raison en est que Prak Khân n’a jamais été en charge précisément de ces détenus. Le seul événement tragique dont il ait été témoin direct est ce bébé d’une détenue vietnamienne qui a été jeté du dernier étage du bâtiment de détention par l’interrogateur Bou et dont il a dû enterrer le corps.

Quant aux détenus occidentaux arrêtés sur leur bateau au large des côtes cambodgiennes, ils auraient pu être brûlés vifs dans des pneus. Le juge Ya Sakhon réclame des arguments à cette version des faits alors que Him Huy considère qu’ils ont été probablement brûlés après exécution. Prak Khân rapporte les paroles d’un ancien garde, Soeur, selon lequel les hommes étaient assis dans les pneus. Or on n’assied pas des cadavres dans des pneus pour les brûler.

Concernant les anciens membres du personnel de S21, ils étaient interrogés dans une salle spéciale à l’ouest du complexe par un ancien de M13. « Les gens de la division 703 n’étaient pas affectés à ces interrogatoires, de crainte d’un problème » expose Prak Khân qui est le seul de son groupe d’interrogateurs à avoir été épargné.


Témoin direct des saignées

Duch n’a jamais été très loquace sur les saignées pratiquées sur les prisonniers de S21 mais il a reconnu les faits. Le récit de Prak Khân, qui a vu au bureau du personnel médical ce qu’il advenait, donne la nausée. « J’ai remarqué que des détenus étaient amenés, leurs pieds entravés, leurs yeux bandés et une seringue insérée dans leur veine permettait de les saigner. Pour ce que j’ai pu remarquer, pour un détenu, 5 sacs de sang étaient prélevés jusqu’à ce que cette personne soit moribonde. » Try, Roeun, membres du personnel médical, ne sont plus là pour témoigner, ils ont été exécutés à S21. Prak Khân ne peut rien affirmer sur la régularité des saignées ni sur le nombre de prisonniers concernés mais des listes existent (il les brandit dans le film S21).

Le sang ainsi pompé était envoyé dans les hôpitaux où les soldats blessés en avaient grand besoin. Les détenus vidés de leur vie, étaient enterrés dans le périmètre de la prison lorsqu’ils étaient peu nombreux, avance Prak Khân. « Pour autant que j’ai vu, le sang étant tiré, personne ne repartait puisque à force d’être saignés ils mouraient. »


Questions sur le personnel médical de S21

Ce sujet amène la cour à poser des questions sur le personnel médical, en particulier sur la présence de femmes. Prak Khân acquiesce : « Avant, l’équipe travaillait un peu plus loin vers l’est. En fait j’ai été hospitalisé dans cet endroit parce que j’ai été blessé par des éclats d’obus. […] Je pense que j’ai vu effectivement une ou deux femmes dans le personnel médical. » Le nom de Nam Mon pourrait correspondre à l’une d’elle, il a entendu son témoignage aux CETC. « A la façon dont elle a parlé, elle m’a convaincu qu’elle était membre du personnel médical mais je ne suis pas sûr car je ne me souviens pas de son nom. »

A l’intérieur de S21, le personnel médical faisait des rondes et « distribuait des médicaments dits crottes de lapins ».


L’œil critique d’un grand-père

Dans la salle d’audience, un grand-père ne tient pas sa langue dans sa poche. Ses commentaires illustrent le ressenti du public déçu par le juge Ya Sakhon qui pose toujours les mêmes questions. ce vieux monsieur met en relation son histoire personnelle, qu’il raconte volontiers à ses voisins, avec l’histoire racontée dans ce tribunal. Personne de sa famille n’a été arrêté à S21 mais les morts sont nombreux et les Khmers rouges restent les Khmers rouges. Comme Prak Khân parle de l’accusé en disant « Bang Duch » (grand-frère Duch), le grand-père interprète que l’ancien interrogateur a toujours peur de son ancien chef. L’homme anonyme ne ménage pas l’accusé qu’il observe à travers la vitre du tribunal. « Duch a l’air méchant. Il ne devait pas être tendre à l’époque. Mais là, il est bien traité ! Il n’est pas en train de labourer les rizières ! A l’époque, même si on sortait de notre tombe et qu’on arrivait à rentrer jusque chez nous, ils venaient nous rechercher… »

Une réponse sur “Le témoignage de Prak Khân, ancien interrogateur, charge Duch”

  1. Hier,j’ai visité le S21 et j’ai donc touché l’horreur du doigt. Il faut à tout prix se souvenir de cette barbarie afin d’empêcher qu’un jour un nouveau Pol Pot arrive.

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