A peine quatre heures d’audience pour une journée historique


La « baignoire », instrument de torture dont Duch dit qu’il n’a jamais été informé de son utilisation à S21. (Anne-Laure Porée)
La « baignoire », instrument de torture dont Duch dit qu’il n’a jamais été informé de son utilisation à S21. (Anne-Laure Porée)



Duch porte une chemise blanche immaculée pour l’occasion. Dans un coin de la cour, derrière leurs avocats, quelques parties civiles siègent. Mais comme elles sont 93 à porter plainte contre lui, la majorité d’entre elles prend place avec le public.


Moults pseudonymes

A la demande du juge, qu’il salue les deux mains jointes, Kaing Guek Eav, alias Duch, épelle son nom en khmer puis en français. Entre deux problèmes de micro, il livre tous ses pseudonymes, notamment celui de Hang Pin, qu’il avait pris en Chine entre 1986 et 1989 alors qu’il y enseignait le khmer. Un détail qui intrigue le public.


Description, nausée

Les greffiers se lancent ensuite dans la lecture de l’ordonnance de renvoi, c’est-à-dire le texte publié en date du 8 août 2008, rédigé par les co-juges d’instruction, qui clôt l’enquête sur les crimes reprochés à Duch pour la période 1975-1979. A cette époque, Duch travaille comme « vice-président » chargé du groupe des interrogateurs (ceux qui torturent) puis il devient « président et secrétaire général » du centre de détention et de torture S21 en mars 1976. Passe alors sous son autorité toute la zone autour de l’actuel musée du génocide de Tuol Sleng, le centre de détention S24 situé à Prey Sâr dans une ancienne prison coloniale, et les charniers de Chœung Ek où les prisonniers de S21 étaient exécutés.


La lecture publique de l’ordonnance donne le vertige. Elle raconte la création et l’organisation de S21, comment la politique du parti y était appliquée, comment fonctionnait S21, comment étaient utilisées les confessions, comment se déroulaient les interrogatoires et la torture, les exécutions aussi. La citation de témoins met en évidence le travail de confrontation des juges et les points que Duch réfutent, par exemple son rôle dans les arrestations, dans les interrogatoires, dans la pratique de la torture. Il reconnaît tout juste quelques gifles. Dans cette description, la litanie des tortures infligées aux prisonniers de S21, hommes, femmes, enfants, est insoutenable.


Les certitudes et les flous

En croisant une liste de personnes enregistrées à leur arrivée à S21 avec une liste de personnes exécutées à Chœung Ek, le DC-Cam a obtenu les noms de 12 380 morts. Cette liste n’est évidemment pas exhaustive puisque des documents ont été perdus et que certains prisonniers n’ont pas été enregistrés. Les archivistes de S21 avancent des chiffres de l’ordre de 17 000 à 18 000 morts. L’évaluation du nombre de prisonniers à S24 est quant à elle difficile car trop peu de traces écrites nous sont parvenues.


Pour son rôle dans le régime khmer rouge, Duch est donc poursuivi pour crime contre l’humanité et violations graves des conventions de Genève du 12 août 1949. Les débats contradictoires pendant le procès permettront de préciser ses responsabilités sachant qu’il reconnaît une majorité des faits qui lui sont reprochés ou ne conteste pas un certain nombre de faits auxquels il n’était pas présent mais dont il savait l’existence (238 sur 351 faits).


Vite fait bien fait ?

Après la lecture de ces éléments de l’ordonnance de renvoi, l’avocat français de Duch, François Roux demande à ce que lecture soit faite des paragraphes « à décharge » ayant trait aux renseignements de personnalité. Les juges refusent au motif que ces paragraphes ne concernent pas l’analyse et l’examen des faits.

Vers 15 h 30, le président de la cour, le juge Ney Thol, estime qu’il est trop tard pour passer aux deux heures de déclaration d’ouverture des co-procureurs. Un bruissement de réprobation parcourt le public, atterré par la brièveté de l’audience. Un homme s’exclame alors que compte tenu des millions que coûte ce procès, la cour pourrait travailler huit heures par jour !

Et dire qu’en début de journée tout le monde affichait sa satisfaction de voir ce procès enfin démarrer…

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