Victor Koppe, l’avocat international de Nuon Chea, va tout de suite à l’essentiel. Il n’enrobe pas, il plaide avec des arguments punching ball. Pour démontrer combien le tribunal sert mal la justice, il met en cause les sources des co-procureurs. Les journalistes Philip Short ou Elizabeth Becker ont certes publié quelques livres, déclare l’avocat, mais ils ne parlent pas le khmer et ne sont pas de vrais chercheurs. Victor Koppe regrette qu’un Michael Vickery n’ait pas été entendu par la cour. La raison de cette absence ? L’homme est communiste, ajoute l’avocat avant d’ironiser sur des audiences qui se réduiraient à des débats entre chroniqueurs du New York Times, indignes des preuves requises pour un procès pénal de cette envergure.
Sur sa lancée, il rappelle que les ouvrages des témoins sont en vente sur Amazon et qu’au lieu des 200 millions de dollars dépensés dans ce tribunal, une enveloppe de 41$ aurait suffi à ce procès. “Nous espérons qu’il y a une raison de n’avoir pas procédé ainsi.”
Lire Staline en 53, est-ce devenir Staline en 75 ?
Victor Koppe reproche aux co-procureurs de simplifier l’histoire du Parti communiste du Kampuchea (PCK). Comme les approximations l’agacent, il rappelle au passage que son client rejette toute étiquette maoïste et se revendique marxiste-léniniste. Nuon Chea a lu les écrits de Mao et de Staline. Mais l’avocat s’insurge contre les allusions de l’accusation : lire Staline en 1953, est-ce devenir Staline en 1975 ?
Jugerait-on Bush sans évoquer le 11 septembre ?
L’avocat international prouve aussi qu’il sait manier les comparaisons. Il projette la cour dans un procès imaginaire de l’ancien président américain Bush qui serait poursuivi pour crimes contre l’humanité commis en Irak. Serait-il alors pertinent, dans ce contexte, de mentionner au passage les attentats du 11 septembre ? L’avocat insiste. Les politiques doivent être examinées à la lumière des menaces qui pèsent sur le pays. Comment évaluer la politique du PCK sans évoquer les bombardements américains ? Comment évaluer cette politique sans rappeler la situation agricole du pays ? Pourquoi cette rhétorique sur l’esclavage ? Les co-procureurs n’omettent-ils pas que la majorité des Phnompenhois était des paysans décidés à rentrer chez eux ? Pourquoi décrire Pol Pot et Nuon Chea comme des paranoïaques alors que les cadres khmers rouges avaient leur autonomie ? Ainsi “Pol Pot avait peur d’entrer dans la zone Est” assure avec aplomb Victor Koppe.
Une instruction à charge
L’avocat n’a pas que des critiques sur ce que les procureurs trouvent pertinent en terme d’information. Il fustige, sans surprise, une instruction à charge. En résumé : les juges d’instruction n’étaient pas impartiaux, ils étaient purement et simplement les auxiliaires des procureurs. Victor Koppe rappelle la polémique selon laquelle le juge d’instruction Marcel Lemonde aurait demandé à son équipe d’enquêter à charge. Des propos démentis par le juge, en particulier dans son livre Un juge face aux Khmers rouges.
L’avocat déplore que la défense n’ait pas pu assister aux auditions des co-juges d’instruction et qu’interdiction lui ait été faite de mener ses propres enquêtes. Il questionne les méthodologies employées (orientation des questions, problème de fiabilité des témoins, inexactitudes, affirmations sur la base d’un unique témoignage, pas de contradiction dans les preuves…). Pour lui, les audiences consacrées aux exécutions de fonctionnaires et soldats de la république khmère à Toul Po Chrey ont démontré par l’exemple que les conclusions des co-juges d’instruction n’étaient pas étayées.
Les interférences politiques cambodgiennes
Outre que les éléments à décharge ont été ignorés, clame-t-il, la majorité des témoins convoqués furent ceux de l’accusation (35 pour les co-procureurs sur 75, contre 4 pour la défense). Des témoins cruciaux n’ont pas été entendus. Il cite Norodom Sihanouk et six hauts fonctionnaires qui n’ont pas répondu aux convocations du juge d’instruction. Parmi eux, Chea Sim, actuel président du Sénat, et Heng Samrin, actuel président de l’Assemblée nationale, deux piliers du parti au pouvoir. Victor Koppe souligne le rôle du Premier ministre Hun Sen s’opposant à leur comparution et refusant ouvertement les procès 003 et 004. Voilà bien la marque de l’équipe de défense de Nuon Chea : la dénonciation constante et sous toutes les formes possibles (de l’agressivité à l’ironie dadaïste) des interférences politiques du gouvernement cambodgien.
Présumé coupable
En quoi ces interférences politiques rejaillissent sur Nuon Chea ? L’avocat s’en explique ainsi : le Premier ministre exprime publiquement son opinion sur l’accusé en le traitant de menteur, de tueur et d’auteur de génocide, les co-procureurs s’en font le relais, la chambre ne réagit pas donc le Premier ministre continue. Et ses ministres embrayent. Quand l’équipe de défense s’offusque des propos de Hor Namhong, ministre des Affaires étrangères, la cour coupe le micro. Il y a là de quoi considérer que la présomption d’innocence de Nuon Chea et son droit à un procès impartial sont bafoués. “Son droit s’est érodé jusqu’à ce qu’il n’en reste plus rien.”
Le rôle trouble de Steve Heder
Sans compter que les droits de Nuon Chea étaient mis en péril bien avant le procès. L’avocat questionne notamment le rôle trouble de Steve Heder, la nature et l’ampleur de son rôle dans les procédures. Le chercheur (dont il ne remet pas en cause les qualifications) a d’abord formulé les allégations des co-procureurs avant d’aller enquêter sur ces mêmes allégations pour les juges d’instruction. La défense a bien suggéré de “sonder le fondement des conclusions de M. Heder. Mais la chambre a activement cherché à découvrir le moins de choses possibles.” La défense s’est abstenue de son côté de creuser le sujet.
Oui, c’est le procès du communisme
La légitimité du tribunal est, elle aussi, en cause. Victor Koppe s’inscrit en désaccord total avec la co-procureur cambodgienne, Chea Leang, qui arguait la semaine dernière en ouverture des réquisitions de l’accusation que ce procès n’était pas le procès du communisme, ni du socialisme, ni d’aucun système politique mais celui d’individus et de leur entreprise criminelle commune. L’avocat proteste. “Nous avons assisté à ce qu’on ne saurait décrire autrement, à une offensive généralisée contre le communisme en tant que tel”, soutient-il. Il estime que les procureurs ont cherché à délégitimer le Parti communiste du Kampuchéa (PCK) de sa nature politique pour en faire un mouvement criminel. Et selon lui bien du monde y avait intérêt.
La justice des vainqueurs sur un plateau
Multipliant les références à la justice des vainqueurs érigée après la Seconde guerre mondiale, Victor Koppe compare le tribunal de Tokyo aux CETC. “La nature hybride de ce tribunal reflète presque parfaitement les parties victorieuses.” A savoir les anciens cadres du PCK devenus membres du PPC aujourd’hui au pouvoir et les internationaux, incarnant les Etats-Unis et leurs alliés autrefois en guerre contre le communisme. “Qu’ont en commun ces deux groupes apparemment très différents ? La volonté de punir les communistes cambodgiens autant que possible.” L’avocat ajoute que les CETC confortent les Etats-Unis dans la certitude du caractère juste de leur politique conduite pendant des décennies de guerre froide. Et en punissant les communistes cambodgiens, le tribunal justifie la prise de pouvoir originale par les membres du PPC et leur maintien au pouvoir.
L’avocat avertit. Ces choix conduisent à un discours historique limité, à une sorte de vengeance officialisée. Comment des juges peuvent-ils juger impartialement des crimes alors qu’ils sont loyaux à une vision politique en opposition à celle du PCK ? “Pour avoir un procès équitable, il faudrait un tribunal prêt à adopter une perspective différente ou plus vaste. Tout autre tribunal ne pourra délivrer que la forme la plus basse de justice des vainqueurs.”
Le plaidoyer de maître Victor Koppe est argumenté et c’est d’ailleurs son travail d’avocat. Il avait raison aussi de citer l’interférence de la politique Cambodgien sur le déroulement du procès, notamment l’absence à la convocation des ex-leaders khmers rouges qui sont maintenant au pouvoir à Phnom-Penh.
L’essence même du communisme est tout à fait louable, il véhicule des valeurs nobles: dont la justice sociale, l’égalité entre les êtres humains et en plus de tout cela peut-être même la notion de pureté et de vérité. Par conséquent un procès du communisme me parait tout à fait exclut, je suis d’accord avec maître Koppé, sur ce point . En revanche,je suis moins d’accord avec lui lorsqu’il s’agit de juger une bande de criminels qui au nom d’une idéologie avait perverti le communisme à l’extrême, devenant ainsi de véritables génocidaires. Il ne s’agit pas d’un procès du communisme mais il s’agit bien d’un procès des acteurs d’un soi-disant Parti démocratique du Kampuchéa. Rien de très démocratique sous cet appelation, peut être uniquement dans le meurtre de masse car tout le monde y avait droit.