De la Lambretta aux Vietnamiens
Seng Bunkheang, co-procureur cambodgien à la barre en ce lundi 20 juillet 2009, a un panel de questions plutôt variées dont il n’approfondit aucune des pistes. Remarquez, peut-être n’est-il pas utile d’approfondir sur l’usage de la Lambretta, une sorte de tuk-tuk fermé, qui servait au transport des légumes à S21 ? Mieux vaut insister sur les prisonniers vietnamiens. Him Huy se souvient qu’il entendait leurs aveux diffusés à la radio « presque chaque jour » et que certains Vietnamiens étaient escortés sur la route, en uniforme, et photographiés. Comme des animaux à la foire. Que se passait-il après ? Pas de question du co-procureur pour en savoir plus.
Le co-procureur cambodgien papillonne
La semaine dernière, Him Huy a énoncé plusieurs fois ses fonctions de garde et de transport de prisonniers, jamais d’interrogateur. Pourtant Seng Bunkheang lui demande dans combien de maisons avaient lieu des interrogatoires et si ces maisons étaient équipées d’instruments de torture. Questions auxquelles le témoin ne sait pas répondre. Même échec sur les relations entre S21 et l’hôpital dont Him Huy ignore tout. Ce-dernier ne sait rien d’éventuels prélèvements de sang et il l’explique avec une simplicité qui ridiculise presque l’accusation : « Je n’en sais rien parce que j’étais garde posté à l’extérieur ».
Questions manquées
En revanche, lorsqu’il aurait été intéressant de creuser sur le thème des instructions de Duch, le co-procureur se contente d’une mini-question, juste au cas où l’accusé aurait glissé un ordre avant que les prisonniers partent pour Choeung Ek… « Quand les prisonniers étaient transportés à Choeung Ek, Duch n’était pas présent mais c’est lui qui prenait la décision de transporter ces prisonniers pour être exécutés. »
On se serait attendu à quelques questions sur les ordres de Duch, la manière dont ils étaient transmis en fonction de leur nature, sur la proximité avec le directeur de S21, sur le détail des instructions pendant les formations, sur sa présence à Choeung Ek. Rien. Néant.
Du sur-place, du sur-place
A la place, Seng Bunkheang fait répéter à Him Huy ses déclarations pourtant très claires du jeudi 16 juillet 2009. Oui le groupe de Peng exécutait les enfants. Non il ne sait pas comment ces enfants étaient exécutés. Oui Pang s’occupait des gens venus de France. Oui Pang était messager de Phnom Penh. Non les membres du personnel ne recevaient pas de courrier pour leur annoncer leur promotion à S21. Mais est-ce là une information essentielle dans un procès pour crime contre l’humanité ?
Heureusement dans ce galimatias quelques éléments sont à retenir, à savoir que « Duch n’a pas empêché ni prévenu l’utilisation de la torture »; qu’il organisait le mariage collectif de certains membres du personnel (« très peu de personnes »); qu’à S21, « il était le seul à donner des ordres »,;qu’il avait, selon Him Huy, le pouvoir de remettre en liberté « car il était le patron ». Jeudi dernier, le témoin avait évoqué le cas de prisonniers thaïlandais relâchés. Mais à la demande du co-procureur Duch réagit et nie que ces prisonniers soient sortis vivants de S21.
La biographie
Him Huy ne savait pas écrire. Il a donc demandé à l’opérateur radio d’écrire à sa place la fameuse biographie dont tous les membres du personnel de S21 s’acquittaient. William Smith, co-procureur international, lit une partie de cette biographie avant de se lancer dans un interrogatoire qui, aux yeux des novices du public, fait passer le témoin pour l’accusé. Extrait de cette biographie khmère rouge pur jus, rédigée le 10 novembre 1977, dans laquelle le camarade Huy s’efforce bien sûr de remplir correctement sa tâche pour le parti : « Je n’ai pas suivi les activités des ennemis avec suffisamment de fermeté. Je continue de sous-estimer l’ampleur des activités des ennemis. Je continue à être mou dans la réalisation des tâches immédiates. Et dans la réalisation de mes tâches, j’ai tendance à ne pas tirer les enseignements de l’exécution des tâches. Je fais encore preuve de laxisme. Pour diriger les masses, je manque encore de concentration. Afin de m’améliorer et ayant vu mes défauts, je souhaite exprimer ma détermination à améliorer les parties de ma personnalité qui sont encore trop peu révolutionnaires, me nettoyer en permanence et développer une solidité absolue dans ma position pour la construction du parti. »
William Smith se surpasse : ces propos sont-ils véridiques ? « Ma biographie comme celle des autres n’était pas véridique, réplique Him Huy. Nous ne pouvions mettre dedans que ce qui était attendu de nous. J’ai suivi le modèle ambiant. »
Le témoin en position d’accusé
Le moins que l’on puisse dire, c’est que Him Huy ne cultive pas l’art du mensonge à la hauteur de Mam Nay, son prédécesseur au tribunal, ancien chef des interrogateurs pour qui la torture à S21 était peut-être ou peut-être pas appliquée. Néanmoins, il est traité par le co-procureur comme un accusé. William Smith multiplie les commentaires « vous étiez passionné », « zêlé », « discipliné pour ce qui était d’exécuter vos tâches ». Him Huy argumente sur sa peur. « Est-ce que vous aimiez votre travail ? » continue le procureur. « Comme je viens de le dire, je n’étais pas heureux de ce travail mais je n’avais pas le choix, j’avais demandé à être transféré mais on me l’a refusé » rappelle Him Huy. Le procureur insiste encore : « Travailliez-vous de manière enthousiaste, vous acquittiez-vous juste de votre travail ou aviez-vous tendance à en faire plus ? » « Pour ce qui est de l’arrestation des gens, tout le monde dénonçait tout le monde. Il fallait marcher droit. »
Le pendu de Him Huy
Trente-cinq minutes ont passé et le nom de Duch a à peine été évoqué. Le co-procureur s’attarde sur le cas d’un membre de l’équipe de Him Huy, un certain Tchèk que le témoin a tenté de protéger en proposant de le rééduquer plutôt que de le jeter en prison. Une expérience douche froide pour Him Huy car Tchèk se pend dans une maison près du canal des égouts. Après quoi Hor lui demande de faire un rapport à Duch directement, ce qui le terrorise. « Je risquais d’être mis en cause puisque les supérieurs suggéraient de le transférer tandis que moi je prônais sa rééducation. De fait j’avais peur de faire rapport à Duch et depuis ce jour, j’ai eu une peur constante pour ma sécurité. »
Se marier c’était la mort
Plus intéressé par le non-mariage de Him Huy que par la démonstration des responsabilités de Duch dans l’assassinat de plus de 12 380 personnes à S21, le co-procureur interroge le témoin sur les raisons pour lesquelles il ne s’est jamais marié malgré la suggestion du directeur de S21. A l’époque, Him Huy constate que lorsque quelqu’un est soupçonné dans un couple, l’homme et sa femme sont liquidés. Le mariage est synonyme pour lui de plus grande vulnérabilité, de danger aggravé, il élargit le réseau donc le risque d’être dénoncé. Him Huy se persuade que s’il se marie il mourra plus vite. « Il était tout à fait manifeste pour moi que tous les gens qui se mariaient finissaient en prison et morts. »
Les ratages de William Smith
Trois fois le procureur manque sa cible. Il interroge sur les ordres directs reçus de Duch, Him Huy répond à côté mais William Smith ne rebondit pas. Il demande combien de fois Him Huy a été en compagnie du directeur de S21, l’ancien chef adjoint des gardes parle immédiatement de l’arrestation de Pang dans la maison de Duch mais le co-procureur estime inutile d’interroger la présence de Duch lors de cette arrestation, la fréquence de ce type d’événements, le comportement de Duch en pareil cas, son rôle… Il préfère passer aux formations à S21. Cependant point trop n’en faut. Le procureur ne pose pas de questions sur le contenu de ces formations. Pas touche à l’idéologie. Il se contentera de se faire répéter par le témoin que ces séances avaient lieu tous les 15 jours. Him Huy a servi à S21 pendant un an et demi alors une fois toutes les deux semaines, cela devrait pourtant laisser du grain à moudre.
La peur de Duch qui subsiste
« Duch était plutôt doux quand il parlait, affable, mais en même temps extrêmement ferme et méticuleux parce que dès que quelqu’un était arrêté, il appliquait des règles très strictes. Il était le seul à pouvoir donner l’ordre d’arrêter. Même quand je le voyais s’approcher à bicyclette, je trouvais un prétexte pour m’écarter » décrit Him Huy ébranlé par la question suivante de William Smith. « Avez-vous encore peur de Duch aujourd’hui ? » « Honnêtement quand je le vois, ça me rappelle l’époque où je travaillais avec lui, j’avais peur de lui. Je n’osais pas le regarder droit dans les yeux et aujourd’hui encore il me fait peur. Sans la libération du 7 janvier 1979, j’aurais été tué. Duch l’avait dit, il avait dit que tout le monde aurait fini par être liquidé. »
Him Huy sort un mouchoir de sa poche pour cacher son émotion. Il se reprend vite, la suspension d’audience ne sera pas nécessaire. « Je peux continuer ».
Le garde interrogateur ?
Dans l’ensemble, les parties civiles attaquent Him Huy plus qu’elles ne se servent de son témoignage pour éclairer le rôle de Duch. Face à Alain Werner, du groupe 1 des parties civiles, Him Huy évoque les purges dans la division 703 qui le convainquent que « tous ceux qui y avait appartenu risquaient d’être arrêtés ». Il rapporte les propos de Prak Khon, interrogateur à S21, selon qui Duch a tué Hor en 1979, après la fuite dans la forêt ainsi que le frère de Him Huy, soigné à S21 un temps puis gardé sans jamais pouvoir rentrer à son village. Him Huy nie avoir participé à l’interrogatoire de prisonniers : « Je ne pouvais pas écrire, comment aurais-je pu interroger ? J’étais en faction à l’extérieur ». Enfin il entend ses supérieurs Hor et Duch déclarer : « Nous devrions les tuer tous et n’en garder que 4 millions » tandis que Duch, en séances d’éducation, aurait assuré que tout le monde serait liquidé, pas seulement les gens incarcérés à S21, mais tous les ennemis, à l’échelle de toutes les prisons du pays. Ty Srinna, co-avocate du groupe 1 des parties civiles, aurait pu enchaîner en creusant le sillon qu’Alain Werner venait d’entamer, or elle vire de bord. Elle ressasse les questions posées mille fois à d’autres (« Après ces exécutions de masse, avez-vous vu le comportement, les habitudes de Duch changer ? » ou encore « Lorsque vous étiez dans l’enceinte de S21, avez-vous entendu les victimes crier ? ») Him Huy s’acquitte de sa tâche de témoin sans sourciller. « Les gardes avaient l’ordre de faire du bruit pour couvrir les cris des victimes. »
La palme de la question la plus affligeante à ce stade du procès (commencé le 30 mars dernier) revient à Ty Srinna : « Avez-vous vu les victimes entravées à des barres dans les cellules ? » Où vont les avocats des parties civiles avec de telles questions ? Quelle est leur stratégie ? Leur ligne directrice ?
La hargne de Silke Studzinsky
Silke Studzinsky, avocate du groupe 2 des parties civiles, a à cœur de porter la voix de ses clients. Dans le prétoire, elle ne pallie pas les défaillances des co-procureurs, elle cherche des réponses pour des cas particuliers. La semaine dernière, elle avait amené habilement le cas du professeur Phung Ton. Ce lundi 20 juillet, elle dérape. Elle cherche à faire dire à Him Huy où la femme de son client Bou Meng a été exécutée. Cette question a été posée par l’intéressé directement à Duch au début du mois de juillet, l’accusé avait répondu qu’il pensait qu’elle était morte à Choeung Ek. Silke Studzinsky cherche à faire confirmer. Son agressivité spectaculaire monte l’eau qui déborde d’un barrage qui lâche.
– A S21, lorsque vous étiez garde, M.Bou Meng vous a demandé où était sa femme…
– Oui mais la règle était stricte, nous ne pouvions pas informer les détenus concernant le lieu où se trouvait leur épouse.
– Aujourd’hui pouvez-vous dire ce qui est arrivé à son épouse, où elle a été tuée et où son corps a été enterré ?
– Quand les détenus étaient emmenés, c’était pour exécution à Choeung Ek.
– Je ne vous pose pas une question générale mais une question précise pour M.Bou Meng, ici présent dans le prétoire.
– Je ne pouvais pas savoir précisément qui était le mari ou la femme de qui. Après avoir été interrogé, la personne était emmenée pour exécution. Je sais que les femmes des détenus étaient emmenées à Choeung Ek.
– Vous avez vérifié les listes ! Je vais vous donner le nom de sa femme [elle cherche le nom]
Les co-procureurs ont bien annoncé 12 380 victimes sûres à S21 ! Mais pour Silke Studzinsky, le paysan analphabète qui conduisait les prisonniers pour exécution doit se souvenir du nom de la femme de Bou Meng. Elle n’en demande pas tant à Duch et certainement pas sur le même ton. « Je n’étais pas la seule personne chargée du transport des détenus vers Choeung Ek, s’excuse Him Huy. Phal était également affecté à cette responsabilité. Comment pourrais-je savoir si la femme de Bou Meng a été transportée sous ma garde ? »
L’avocate n’en démord pas : « L’accusé nous a dit il y a quelques semaines que vous saviez où, quand et comment la femme de Bou Meng a été exécutée. Peut-être pouvez-vous donner la réponse qu’attend M. Bou Meng depuis de longues années ? » Dans sa croisade anti-bourreaux, Silke Studzinsky croit-elle tout ce que lui dit l’accusé ?
Un harcèlement inefficace
L’avocate passe à la vitesse supérieure en essayant de faire reconnaître à Him Huy qu’il a torturé Bou Meng. Il nie. Elle le confronte à ses déclarations aux co-juges d’instruction lors de la reconstitution à S21 le 27 février 2008, selon lesquelles il semble reconnaître avoir commis ces actes. Mais il campe sur ses positions. « Je vous ai déjà dit que jamais je n’ai interrogé ni torturé, je n’avais pas les connaissances voulues. Par ailleurs je ne savais pas lire ni écrire. » « Il n’est pas nécessaire de savoir lire et écrire pour torturer », coupe l’avocate. Kong Sam On, censé défendre Him Huy, intervient mollement. Ces vingt minutes d’interrogatoire n’auront livré aucune réponse.
Des shorts…
Pour le groupe 3 des parties civiles, Martine Jacquin, interroge le témoin sur la tenue des prisonniers. « Dans la prison, la règle était claire, les prisonniers n’avaient pas le droit de porter de vêtements hormis un short car si on leur permettait de porter des vêtements, ils s’en seraient servi pour se pendre » explique Him Huy. Même chose quand ils sont menés à l’exécution, à une exception près : « Les détenus qui étaient d’anciens membres du personnel de S21, si eux étaient emmenés, ils étaient couverts de grands draps pour que les autres membres du personnel ne les voient pas ». Suivent des questions en vrac sur les cris (encore), l’arrachage des ongles de pied, l’âge des enfants détenus, leur lieu de détention, la peur de Duch (encore), la peur d’être exécuté (encore)… Et Him Huy acquiesce sans difficulté à la qualification que lui propose l’avocate pour S21 : « une prison de torture et d’extermination »…
… aux règles de l’Angkar
Kim Mengkhy, co-avocat cambodgien, prend le relais sur le thème des règles édictées à S21, par Duch. Him Huy cite en exemple : « Nous les enfants de l’Angkar, nous les enfants du parti, nous ne sommes pas les enfants de nos parents. Et lorsque nous faisons notre travail nous devons respecter l’Angkar dans tout ce que nous faisons, que nous soyons en train de travailler, assis, debout ou en train de dormir. Toute personne qui échoue, qui ne respecte pas la règle est considérée comme un ennemi et doit être arrêtée et enfermée. »
L’avocat s’intéresse à l’idéologie en œuvre dans les formations organisées pour les gardes et les interrogateurs. Malheureusement il se satisfait de la réponse du témoin sur la vigilance et l’obéissance : « Au début ce n’était pas aussi sévère, on pouvait parler les uns avec les autres. Mais plus tard on nous a imposé la règle du silence et on nous a dit de nous surveiller aussi les uns les autres. C’était un peu comme un cheval avec des œillères. On ne pouvait voir que devant soi, on ne pouvait pas s’écarter. » Ainsi chacun craint la mort. Une faute minime, son nom dans le mauvais réseau, et voilà l’arrestation enclenchée. Aujourd’hui, Him Huy dépose parce que « C’est une façon de renaître. Nous sommes quelques personnes qui avons eu cette chance, et nous souhaitons voir justice rendue. »
Hong Kim Suon hors sujet
Hong Kim Suon, avocat du groupe 4 des parties civiles, fait dans le hors sujet ce lundi 20 juillet, si l’on considère bien sûr que le procès de Duch pour crimes de guerre et crimes contre l’humanité est à l’ordre du jour. Au menu des vingt minutes de Hong Kim Suon : un focus interminable sur la libération de Phnom Penh et au moins sept questions dont les réponses se trouvent dans les transcriptions de l’audience du 16 juillet. L’avocat fait ensuite confirmer des propos déjà tenus par le témoin. Les confirmations qu’il demande sont vagues. Le seul élément nouveau est que les enfants détenus à S21 ont été exécutés du côté ouest de la prison.
« Des insuffisances minimes »
Invité par le président de la cour à faire ses commentaires sur le témoignage de Him Huy, Duch ne « souhaite pas [le] contester », sauf par-ci par-là. Il présente ces « insuffisances minimes » comme des détails qui n’en sont pas car en substance, il affirme :
– qu’il n’a pas donné d’ordres directs à Him Huy
– que Him Huy sait parfaitement que le patron des patrons de S21 c’est Son Sen
– que Him Huy n’a pas pu demander à Son Sen en réunion à partir au front
– qu’il n’a pas été témoin d’un conflit entre Hor et lui
Il conclut par une remarque bizarre, demandant à Him Huy s’il peut lui « rendre un service ». « Parmi les détenus, il y avait un professeur à moi, je ne savais pas qu’il était venu à S21. C’est vous qui savez ce qui est arrivé à ce professeur. Je voudrais vous demander de dire à la cour et à sa famille où il a été emmené pour exécution, est-ce qu’il a été exécuté à S21 ou à Choeung Ek, s’il vous plaît dites nous la vérité. » Serait-ce une allusion au professeur Phung Ton ? Il est difficile de croire que Duch n’était pas au courant de la présence de cet éminent professeur dans les murs de S21 pendant près de six mois… La démarche de l’accusé, qui se place en chercheur de vérité, donne le frisson.
Le couteau à fruits du palmier
A la suite de son client, Kar Savuth fait confirmer certains propos au témoin. Pour Him Huy, les ordres du messager de Duch équivalaient à des ordres directs de Duch qui n’était pas présent pendant les arrestations. Personne n’était libéré de S21. Les gens étaient exécutés au sud et à l’ouest de S21. Au nord, il ne sait pas. Les personnes exécutées étaient enterrées immédiatement. Kar Savuth ne peut retenir un commentaire de toute évidence adressé aux avocats des parties civiles et à leur client, présenté comme « survivant » de Choeung Ek : « Je craignais qu’on pouvait dire qu’on pouvait s’échapper de la fosse commune ».
Comment la gorge des détenus était-elle tranchée ? « Par un couteau utilisé pour couper les fruits du palmier » éclaire Him Huy. Mais l’avocat, qui titille souvent sur les détails, remarque que dans un autre document le témoin parlait d’une branche de palmier. Peut-être s’agit-il là d’une erreur de traduction. La légende veut que nombre d’exécutions au Cambodge aient été pratiquées avec des branches de palmier. Le traducteur aurait-il confondu la légende avec les propos de Him Huy ? Il semble peu probable que Him Huy ait varié dans sa description de cet outil de mort.
Controverse sur Duch à Choeung Ek
La présence de l’accusé à Choeung Ek et ce qu’il y a fait intéresse particulièrement la défense. Him Huy maintient que Hor et Duch étaient en même temps aux charniers, la nuit où il a dû sur ordre exécuter un des détenus. Mais François Roux, avocat de Duch, lit les déclarations contradictoires du témoin à ce sujet. Les contradictions portent sur le nombre de fois où il a vu Duch à Choeung Ek et sur les circonstances.
« Ai-je raison de dire qu’après avoir donné plusieurs versions sur les visites de Duch à Choeung Ek vous admettez clairement qu’il n’est venu qu’une fois ? » s’enquiert le conseil de la défense. « J’ai vu Duch aller à Choeung Ek à deux reprises, maintient Him Huy. S’il dit n’y être allé qu’une seule fois, c’est lui qui le dit. » François Roux pointe les contradictions du témoin sur la présence de Duch au bord de la fosse. « Ai-je raison de dire qu’aujourd’hui vous n’êtes plus sûr si c’est Hor ou Duch qui vous a ordonné de tuer vous-mêmes ? » « La situation était un peu chaotique, reconnaît Him Huy avant d’éluder. Il y avait une natte au bord de la fosse. Les exécuteurs se dépêchaient de finir leur travail, moi aussi je me dépêchais de finir mon travail. » Est-ce que cette scène datait de la première ou de la deuxième visite de Duch ? Him Huy répond « la première fois » mais s’embrouille par rapport à une version antérieure recueillie par les co-juges d’instruction. « Nous en resterons là et la chambre appréciera » décrète François Roux.
Hiérarchie et torture
La deuxième thématique de la défense s’articule autour des ordres et de la hiérarchie. François Roux explore ce qu’était l’unité spéciale, la place de Him Huy à S21 à la tête d’un groupe de 12 hommes auxquels il prétend qu’il ne donnait pas d’ordre malgré la structure hiérarchisée. Le groupe de Him Huy transportait les prisonniers et laissait à un autre groupe le soin des exécutions, assure le témoin qui ne manque pas de se situer dans l’organigramme de S21 comme un tout petit chef sous l’autorité de 5 ou 6 autres.
La troisième thématique développée par la défense concerne la torture. Confronté à deux épisodes précis dont Bou Meng fut la victime, Him Huy est tenu d’admettre d’abord qu’il est monté sur les épaules du détenu. « A ce moment-là je ne savais pas que c’était un type de torture. C’était plutôt un jeu. […] On se demandait s’il était suffisamment fort. J’ai sauté sur son dos et j’ai vu qu’il pouvait me porter. Mon intention était de tester sa force. Je n’avais pas l’intention de lui faire du mal. »
Lors de la reconstitution à S21 en février 2008, Him Huy semble avouer qu’il a bien participé à l’interrogatoire et la torture de Bou Meng. Mais au tribunal, il se rétracte. « Je n’ai pas participé aux équipes d’interrogateurs. »
« Tous victimes de ce système »
Le dernier volet de la démonstration de François Roux est consacré à la chaîne de commandement. « Etes-vous d’accord avec moi pour dire que dans la chaîne de commandement, chacun a joué son rôle et chacun a appartenu à un système criminel en obéissant aux ordres de ses supérieurs et en les exécutant ? » « Je peux dire que tout un chacun devait exécuter les ordres, sinon il se faisait tuer. » L’avocat amène le témoin à nommer les supérieurs de Duch, « Son Sen et je ne sais pas qui d’autre ». Il cherche pourquoi un homme qui pouvait sortir de Phnom Penh, en camion, en voiture, avec un laissez-passer, n’a pas déserté, passé la frontière. « Même si j’avais essayé de m’enfuir, j’aurais été arrêté, finit par dire Him Huy, c’était certain. Si je m’enfuyais, qu’adviendrait-il de ma famille, de mes proches ? » François Roux demande au témoin si c’est la raison pour laquelle il s’estime victime du système. « Nous étions tous victimes de ce système, même ceux qui travaillaient dur. Je voyais bien qu’on allait être de plus en plus nombreux à être arrêtés. »
L’avocat conclut sur le devenir de Nat, prédécesseur de Duch la tête de S21, détenu et exécuté dans sa propre prison.