Stupéfaction : Duch demande sa libération

Cet article est signé Carole Vann, journaliste spécialisée dans toutes les questions des droits de l’Homme, qui a couvert les dernières audiences du procès de Duch pour Infosud. Elle a accepté que ses articles soient repris sur ce blog.


 



Kar Savuth, après que son client ait demandé à être libéré a expliqué aux juges estomaqués que libération, à son sens, équivalait à acquittement. (Photo ECCC)
Kar Savuth, après que son client ait demandé à être libéré, a expliqué aux juges estomaqués que libération, à son sens, équivalait à acquittement. (Photo ECCC)



« Je souhaite présenter mes excuses les plus humbles pour ces décès (ndlr : il reconnaît les 12 380 exécutions attestées sur près de 17 000 estimées), mais j’aimerais à présent que la Cour me relâche. Je vous remercie » Devant une salle abasourdie, Duch, l’ancien bourreau de S21, a demandé vendredi son acquittement. Jusqu’alors, il s’était reconnu coupable et responsable des crimes commis dans un ancien lycée de Phnom Penh, devenu un centre de torture entre 1975 et 1979.


Ce coup de théâtre dans les toutes dernières minutes d’un procès, qui promettait de marquer l’Histoire du Cambodge et de l’humanité, ébranle considérablement l’idée d’une justice basée sur la mixité de magistrats cambodgiens et occidentaux. Rappelons que la mise en place des Chambres Extraordinaires au sein des Tribunaux Cambodgiens (CETC) pour juger les leaders khmers rouges est le fruit d’un long bras de fer entre les Nations Unies et Phnom Penh. L’ONU voulait un tribunal international, le gouvernement cambodgien ne voulait pas d’ingérence dans ses affaires intérieures.


« Il ne s’agit pas d’un tribunal, mais de deux, constate Nic Dunlop venu suivre les plaidoiries. Ce photojournaliste et écrivain de renom dans le monde anglophone est à l’origine de l’arrestation de Duch. Il avait reconnu le Khmer rouge, qui avait changé d’identité, en 1999 à Anlong Veng, fief de Pol Pot au Nord du pays. Il avait alors alerté le gouvernement. Pour le photojournaliste, les événements survenus ce vendredi révèlent une tension latente entre magistrats occidentaux et khmers due à un fossé culturel, loin d’être comblé.


Un coup à la crédibilité de ce tribunal

Il faut y ajouter le décalage entre une juridiction internationale, encore balbutiante mais en plein envol, et le besoin impératif de vérité et de justice des victimes. Tout cela dans un Cambodge dont le tissu social est encore très fragile. « Bonne journée pour les procureurs, mauvaise pour la justice et très triste pour les victimes », résumait Eric Stover, expert de l’université de Berkeley, en Californie.

Ces dissensions au sein de la défense renforcent évidemment l’accusation, tout en étant reçue comme une « gifle monumentale » par les parties civiles. Et portent un coup à la crédibilité de ce tribunal hybride inédit.


Sans conteste, François Roux, l’avocat français de Duch, a poursuivi tout au long du procès un idéal d’une justice universelle qui se serait voulu équitable pour les victimes et l’accusé. « Peut-on réinsérer dans la société quelqu’un qui a commis des crimes contre l’humanité ? » interrogeait-il dans son plaidoyer. Enfermé dans son rêve visionnaire, le défenseur français n’a peut-être pas évalué à sa juste valeur la nature du différent qui le séparait de son homologue khmer.

François Roux a cherché jusqu’au bout à maintenir le plaidoyer de culpabilité de son client. Ce au nom de la cohérence d’une justice internationale. Tout au long des six mois de procès, Duch s’était aligné derrière la ligne de défense de son conseil français, plaidant coupable avec des circonstances atténuantes.

Mais manifestement, son homologue khmer, qui est aussi l’avocat du Premier ministre Hun Sen, ne l’entendait pas ainsi. Défiant toute règle de cette justice internationale, il a demandé l’acquittement, arguant que son client n’était pas un haut responsable Khmer rouge et que ce tribunal n’était donc pas compétent pour le juger. Que s’est-il passé exactement en coulisses ? Il est encore trop tôt pour que les langues se délient.


Interférences du gouvernement

Toutes sortes de conjectures circulent à propos de ce volte-face de dernière minute. Certains parlent d’interférences du gouvernement de Phnom Penh : pressions – sous forme de promesses de remises de peine ou de chantages – sur Duch pour que ce dernier se calque sur la ligne de Défense de l’avocat khmer, défini comme un « pion » du gouvernement..

« C’est une mauvaise surprise totale, a admis François Roux à l’AFP vendredi. Mais c’est surtout la compétence de la juridiction de Phnom Penh qui a été mise en doute, a-t-il ajouté, signe selon lui qu’ « il y a, au Cambodge, un certain nombre de gens qui ne souhaitent pas ce tribunal » et que Duch est pris dans des « enjeux qui le dépassent. »


Mardi, deuxième jour des plaidoiries, le Premier ministre cambodgien, Hun Sen, demandait aux pays occidentaux d’exprimer leurs regrets pour leur soutien au régime khmer rouge après sa chute en 1979. Des voix s’élèvent pour s’inquiéter du verdict qui doit être rendu en mars 2010. Si ce genre de revirement peut avoir lieu chez la défense, que pourrait-il se passer avec les juges ? entend-on.

Les deux derniers jours du procès, Duch avait cessé de parader chaque fois que la caméra se fixait sur lui, contrairement à son habitude depuis le début des audiences.

2 réponses sur “Stupéfaction : Duch demande sa libération”

  1. Etant une victime de ce régime monstrueux durant lequel j’ai perdu une grande partie de ma famille et de ma fille en particulier morte de faim, je pense que, Duch et tous les monstres qui attendent leur tour d’être jugés, devraient avoir le droit de souffrir de faim, de maladie et de torture comme les 2 millions de victimes.

  2. Gilles Hertzog,
    Pour Denise Affonço

    Madame,
    Puis-je connaître votre e-mail, afin de vous envoyer un article sur le procès des Khmers rouges et un entretien avec François Ponchaud sur le même sujet, où je fais mention de votre terrible témoignage.
    Avec mes salutations.
    Gilles Hertzog

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