Le tribunal assiégé par le doute


Ly Hor affirme avoir changé son nom en 1979. Avant il s'appelait Hy Hor, dit-il. (Anne-Laure Porée)
Ly Hor affirme avoir changé son nom en 1979. Avant il s'appelait Ear Hor, dit-il. (Anne-Laure Porée)


L’identification du témoin n’a même pas commencé que l’avocate de Duch, Marie-Paule Canizares, prévient la cour : « Lors de l’audience initiale du 17 février 2009, la défense s’était réservée le droit de soulever certains problèmes quant aux liens de certaines parties civiles avec S21. […] Mon client émet des doutes quant au fait que le témoin que nous allons entendre ait été détenu à S21 ». Le président est intrigué. Il lui fait répéter. Elle confirme.


Quatre prisons dont S21 et une évasion

L’homme appelé à la barre s’appelle Ly Hor. Il déclare avoir changé de nom en 1979. Auparavant, il se prénommait Ear Hor. Ce commerçant de la province de Banteay Meanchey, affirme avoir été soldat khmer rouge depuis 1972, simple soldat. Il résume avoir été « arrêté au secteur 25 et incarcéré à Po Tonlé [au bureau 15]. Ensuite j’ai été transféré à la prison de Takmao et après cela j’ai été envoyé à Tuol Sleng et enfin à Prey Sâr et ensuite j’ai décidé de m’enfuir et j’ai réussi à le faire et à rentrer chez moi. »

Le public est interloqué par ce parcours extraordinaire.


Des souvenirs flous

Le président revient dans le détail sur les transferts et les traitements subis par Ly Hor dans ces différents centres de détention. Ses questions sont précises, les réponses pas toujours.

Ly Hor est arrêté, dit-il pour vol de nourriture, après que deux de ses compagnons aient été arrêtés au même motif. Il reste au bureau 15, enfermé 24 heures sur 24 « pendant un assez long moment. J’ai été détenu et torturé dans ce bureau puis j’ai été envoyé à la prison de l’hôpital psychiatrique de Takmao. » Sa date d’arrivée n’est pas claire : « Je ne me souviens pas de la date. Je me souviens de l’année. C’était vers la fin de 1976. » Ly Hor y est retenu pendant un mois environ. Il est interrogé trois fois et chaque fois il est torturé, dit-il. Ensuite il est transféré à Tuol Sleng, seul. Il sait alors qu’il s’agit de S21 car il l’entend de la bouche d’un garde.


Au bout d’une demi-heure d’audience, il apparaît évident que ce témoin n’est pas bavard. Le président s’applique à obtenir un récit complet et du détail, non sans difficulté. « Qu’est-ce que vous pouviez voir [à S21], d’après le souvenir que vous en avez ? « Je ne savais pas où cela [S21] se trouvait puisque je ne me déplaçais pas librement. Je me souviens seulement de certains détails. J’étais détenu à proximité des cuisines. » Nil Nonn demande une description de cette cuisine. La réponse sonne creux : « Je ne me souviens pas très clairement. Je me souviens que l’endroit où on m’a détenu se situait à proximité de l’endroit où on cuisait le riz pour les gardes et les détenus. » Seul détail qu’il glissera à son avocate Ty Srinna dans l’après-midi pour étayer le souvenir : le cocotier devant la cuisine…

Interrogé à la sortie du tribunal, Chum Mey, rescapé de S21 où il fut incarcéré fin octobre 1978, affirme qu’il n’y avait, à son époque, aucun détenu près des cuisines. La suite des réponses mettent en lumière de larges failles dans le témoignage, du moins d’énormes points d’interrogation et le doute s’installe. La plupart de ses déclarations vont à l’encontre de ce que les trois survivants de S21 Vann Nath, Chum Mey et Bou Meng ont déclaré la semaine dernière.


Les failles dans le témoignage

Parmi les contradictions les plus choquantes :

  • Ly Hor assure qu’il portait des vêtements noirs à S21 alors que les rescapés connus s’accordent à dire que c’était les vêtements noirs que les Khmers rouges faisaient retirer aux prisonniers à leur arrivée à S21.
  • « On  nous donnait du riz ». La phrase a de quoi faire sursauter après avoir entendu la faim chez les rescapés qui n’avaient qu’un gruau clair à avaler et qui se rappellent encore dans leur chair cette faim qui leur tenait les entrailles.
  • « Est-ce que vous étiez autorisés à vous laver et, si oui, comment cela se passait-il et avec quelle fréquence ? » demande le président. « On se lavait une fois tous les trois jours. » « Est-ce qu’on vous faisait sortir pour vous laver ? » « On nous emmenait à l’extérieur pour nous laver […] Nous étions simplement menottés, nous n’avions pas d’entraves aux jambes. Au moment de se laver proprement dit on nous retirait les menottes. » Rien à voir avec les descriptions de Vann Nath, Chum Mey et Bou Meng.
  • Le président l’interroge aussi sur comment il faisait ses besoins. « Nous faisions nos besoins dans la cellule. On nous donnait pour cela une petite caisse. C’est quand la caisse était pleine qu’elle était emmenée. » Nil Nonn insiste : « Qui emportait ces caisses pleines d’excréments et d’urine ? » « Les gardes donnaient l’ordre aux prisonniers d’emmener la caisse à tour de rôle. » La semaine dernière, les survivants déclaraient sans jamais se contredire que c’étaient les jeunes gardes qui étaient chargés de ce travail.
  • Selon Ly Hor, les corps des prisonniers décédés étaient emmenés tout de suite. Possible. Cependant tous les autres témoins conviennent que les morts n’étaient évacués que le soir.
  • Dans l’après-midi, les questions de Martine Jacquin, du groupe 3 des parties civiles, mettent en évidence que le témoin ne sait pas s’il a été ou non photographié à S21, en revanche il est catégorique : aucun numéro ne lui a été attribué à son arrivée.


Un mois de détention à S21

La description que Ly Hor livre de sa cellule, « entre 4 et 10 m² », est minimale : « J’étais détenu dans une petite cellule dont les parois étaient de béton et il y avait du fil de fer barbelé par dessus et du fil de fer barbelé partout. Le sol c’était du ciment. […] Le toit était fait de tôle ondulée. »

Pendant le mois où il est détenu à S21, le témoin-partie civile affirme avoir été interrogé une fois. Qu’a-t-il vu puisqu’il n’avait pas les yeux bandés ? Le chemin vers l’interrogatoire est succinct : « Un sentier qu’on suivait vers la salle d’interrogatoire ». Par ailleurs, il ne souvient pas clairement où a eu lieu cet interrogatoire. Il a oublié le nom de l’interrogateur en face duquel il était assis, menotté, les jambes non entravées. « L’interrogatoire a duré une à deux heures. Il n’y avait qu’un interrogateur et on me demandait qui était mon supérieur. […] L’interrogateur m’a dit que j’étais têtu et a essayé de me faire peur avec un câble ou une massue. J’ai dit : ‘oui, j’ai peur mais ma vie est entre vos mains, frère. Si vous voulez me tuer, vous pouvez me tuer. […] Pendant l’interrogatoire, il a jeté un mégot de cigarettes sur moi ainsi que des déchets alimentaires et m’a ordonné de les manger. » Ly Hor n’a pas été battu, seulement menacé : « L’interrogateur parlait des câbles électriques et du pénis de buffle [un instrument de torture]. » Plus tard, à son avocat Alain Werner, qu’il ne regarde jamais dans les yeux, il dira avoir donné des noms sous la menace. A Martine Jacquin, il avouera être incapable de reconnaître son interrogateur.


Le récit épique d’une survie

Après un mois, le témoin est transféré à Prey Sâr, soit S24. Seul, en camion, précise-t-il. La date ? Il ne s’en souvient pas. Là-bas, il creuse des canaux et il est menotté comme tout le monde, après le travail. La nuit il a les jambes entravées comme à S21 et les portes sont fermées de l’extérieur. Malgré ce système de contrôle des Khmers rouges, Ly Hor parvient à s’échapper. « C’était le soir, après la cloche pour le dîner. Je me suis dit que si je restais j’allais mourir, et que si je m’enfuyais j’avais une chance de survivre. J’ai donc demandé à un autre détenu s’il voulait s’enfuir avec moi. Il m’a dit qu’il n’osait pas. Je lui ai dit que j’allais m’enfuir et que si on me demandait il fallait répondre que j’étais allé aux toilettes. Un soir j’ai décidé de m’enfuir, de traverser la rivière. On m’a pris en chasse. […] Je suis allé vers le Sud, vers les monts Chisor. Je marchais de nuit, je n’osais pas marcher de jour. La nuit, quand c’était pleine lune, je ramassais les fruits sauvages pour les manger et le jour je me cachais dans la forêt. » Ly Hor atteint finalement son domicile où il se cache pendant un mois environ. Le président a du mal à croire qu’il ait pu rester ainsi chez lui, sans être inquiété, jusqu’à la chute du régime khmer rouge. Le récit de sa survie se révèle épique : « Mon père était terrifié qu’on me retrouve, il a donc été trouver le secrétaire du district, que nous connaissions, l’a informé de ce que je m’étais évadé et de ce que j’étais sur place à la maison. Le secrétaire du district a dit : ‘Ne t’en fais pas, qu’il reste là et s’il y a quelqu’un qui vient le chercher, je dirai qu’il n’est pas là. S’il lui faut du riz, je peux lui donner du riz.’ Et c’est comme ça que j’ai pu survivre. »


La crédibilité des parties civiles en jeu ?

A la pause de 10 h 30, les critiques vont bon train contre les avocats des parties civiles qui ont si mal préparé leur dossier. La crédibilité des parties civiles dans leur ensemble ne risque-t-elle pas de pâtir de ce témoignage ? L’équipe du groupe 1 des parties civiles est en bien mauvaise posture. En une heure d’audience, il était évident que ce témoignage posait problème. Comment ses avocats ne s’en sont pas rendus compte ? La suite de la journée s’avère encore plus édifiante quand le témoin ne reconnaît pas les documents de son propre dossier et n’est capable ni de les identifier ni de les dater. Les incohérences sont nombreuses, que le président de la cour se charge en personne de creuser dès la reprise.


D’incohérence en incohérence

Par précaution, Nil Nonn reprend l’identité du témoin. Puis il fait afficher à l’écran une déclaration de Ly Hor. Les villageois de Toul Sangkaé, venus assister à l’audience du matin, se penchent. L’un d’entre eux lit à voix haute pour ses voisins. Nil Nonn demande à Ly Hor s’il a écrit cette déclaration. « Ici j’ai le sentiment que c’est l’écriture de la personne qui m’a interrogé » répond l’intéressé. Il n’a donc pas écrit ce texte par lui-même, ni tout seul, mais ne se souvient pas à qui il s’est adressé pour l’écrire ni à quelle date !

A la lecture de la greffière, on comprend que cette déclaration d’« information concernant le crime », qui reprend les étapes de l’histoire de Ly Hor, a été jointe à sa demande de constitution de partie civile. Elle fourmille de détails que le témoin est incapable aujourd’hui de donner et quelques incohérences apparaissent flagrantes entre cette version écrite et les propos tenus plus tôt devant la cour.

Dans sa déposition écrite, Ly Hor explique avoir été interrogé trois fois à coups d’un instrument qu’il appelle pénis de buffle par un interrogateur. « Avez-vous été torturé ou non ? » s’impatiente le président. Le public grogne. « J’ai été frappé avec cet instrument à Takmao, j’ai fait une confusion entre Takmao et S21 », s’excuse le témoin. Le public bruit de désapprobation. La déclaration pose aussi que Ly Hor a été transféré à S21 au début de 1976. Le président tente de faire confirmer, en vain. « Je crois que c’était à un moment ou à un autre de 1976 » lâche Ly Hor.


« Remis en liberté » ?

Nil Nonn fait afficher à l’écran un deuxième document qui ressemble à une biographie de détenu et qui semble avoir été jointe au dossier de constitution de partie civile. S’engage un dialogue ahurissant :

– Où avez-vous eu ce document pour pouvoir le verser au dossier ?

– Ce document relate mon rapport concernant le régime khmer rouge.

– Où avez-vous obtenu cette information pour qu’elle puisse figurer avec votre demande de constitution de partie civile ?

– Je ne sais pas, je l’ai trouvé dans le dossier.


En haut de cette biographie, une annotation mentionne que Hi Hor a été relâché le 8 mars 1976. Nil Nonn ne comprend pas comment cet homme, Ly Hor, peut prétendre avoir été envoyé à Takmao puis S21 puis S24 si un document, versé dans son propre dossier, mentionne sa libération. « Monsieur le président je n’en sais rien. J’ai vu dans le dossier que ce document mentionnait ma remise en liberté mais je n’ai pas été remis en liberté ! J’ai été relâché de Tuol Sleng mais pour être détenu à Prey Sâr. »


Réactions vives du public

Dans les rangs du public, les « je ne sais pas » de Ly Hor agacent. Il ne sait pas quand il a rallié les rangs khmers rouges alors que les documents joints à son dossier sont d’une grande précision. Il ne sait même pas dans quelle division il était intégré en tant que soldat khmer rouge. Contrairement à un public étudiant souvent apathique, la salle vibre des commentaires de ces villageois de Toul Sangkaé, plus âgés, qui ont vécu le régime et qui ne s’en laissent pas conter. Une femme, seule survivante de sa famille, s’insurge : « Il ne sait rien, il ne sait rien. Je perds mon temps et mon travail à la maison à l’écouter ! Moi j’ai encore les cicatrices des entraves. Je n’étais pas à S21 mais je me souviens de tout. Si il ne se souvient de rien, pourquoi il porte plainte ? Encore trois ou quatre témoins comme ça et je deviens folle ! »

Le président Nil Nonn revient à la charge sur l’origine de la biographie, Ly Hor maintient : « Je ne sais pas où je l’ai obtenue. Mais c’est bien mon histoire ». Les villageois se marrent.


Course à l’hypothèse

La lecture et l’exploration de ces documents embrouillent l’esprit, elles ne permettent pas d’avancer. Au milieu de cet amalgame, des détails intriguent : Ear Hor a 21 ans dans cette biographie alors que Ly Hor était âgé à l’époque (en 1976) de 24 ans. Ear Hor est arrêté parce qu’il a déserté, non parce qu’il a volé de la nourriture. La matinée s’achève sur un trouble total.

A l’heure du déjeuner les blagues et les hypothèses fusent sur la présence de ce témoin : il a fait le pari de passer à la télé, il a usurpé l’identité d’un autre, il a cru qu’il obtiendrait des réparations financières, il a besoin d’être reconnu comme victime même s’il n’était pas à S21, il est passé par un autre centre de détention, c’est un vrai-faux témoin…


Une partie civile « très mal préparée »

Dans l’après-midi, la juge Silvia Cartwright recadre immédiatement les avocats de Ly Hor. Sa diplomatie ne masque pas le désarroi des juges face à ce témoignage. Elle en vient même à demander au témoin-partie civile quand il a raconté son histoire à son avocat. « Le mois dernier » confie Ly Hor. La juge se tourne vers Alain Werner. « Pouvez-vous me dire pourquoi les documents que nous avons aujourd’hui ne vous étaient pas connus ? Il s’agit de documents à l’appui de la demande de constitution de partie civile de l’intéressé. » Alain Werner explique qu’il n’avait qu’une traduction officieuse. « Je suis désolé si vous avez cru que je n’avais pas connaissance de ces documents. S j’en avais connaissance mais je travaillais sur la base d’une traduction officieuse. » « Oui, nous travaillons tous et rencontrons tous des difficultés mais vous avez par ailleurs des co-avocats qui travaillent avec vous, qui sont parfaitement compétents et vous serez d’accord avec moi pour dire que cette partie civile que nous entendons aujourd’hui a été très mal préparée à ce qui l’attendait. »

Alain Werner promet qu’il va demander « à l’organisation intermédiaire d’où viennent ces documents qui sont dans les dossiers. Cela pourrait jeter quelque lumière sur ces documents, je vous concède qu’il aurait fallu le faire plus tôt. » Pour preuve de la bonne préparation de la partie civile, Alain Werner avance ses trois rencontres avec son client.


Duch à la rescousse

Prenant le relais de Silvia Cartwright, le juge Jean-Marc Lavergne réclame des éclaircissements sur des bureaux mentionnés dans les documents comme bureau 44 et bureau 43 sur lesquels personne ne semble à même de livrer des informations. Robert Petit, qui fait acte de présence en ce lundi 6 juillet, tente de trouver une réponse. L’accusé vient au secours de la cour, dans la mesure de ses moyens, pour démêler cette affaire. Il propose une interprétation sur la base des documents à sa disposition. Le bureau 44 serait un bureau de sécurité de la 703e division. Le bureau 43, l’hôpital psychiatrique de Takmao. Sans garantie bien sûr mais une fois de plus il se pose en expert. Une heure et demie plus tard, Robert Petit prouve que l’accusé avait tout faux. Le bureau 44 c’est Takmao et le bureau 43 un bureau de rééducation situé à l’ouest du wat Langka à Phnom Penh.


D’où vient la biographie de Ear Hor ?

Le juge Jean-Marc Lavergne voudrait comprendre si les documents portent en eux-mêmes la preuve qu’ils viennent bien de S21. « Comme je vous l’ai dit, répond Alain Werner, nous avons demandé un afi davit que nous verserons au dossier dès que nous l’aurons en notre possession. Nous voudrions vous faire savoir que tout document qui a été lu ce matin vient de S21, a été retrouvé à Tuol Sleng. C’est ce que nous croyons savoir. C’est ce qui nous a été dit au départ et nous avons travaillé sur la base de cette hypothèse. » « Ces documents en eux-mêmes contiennent-ils une quelconque preuve que la partie civile a été détenue à S21 ? » renchérit le juge. « Ces documents viennent de S21. Je crois comprendre que les originaux de ces documents se trouvent toujours à S21. DC-Cam en a simplement une copie qui nous a été fournie. » Alain Werner continue de jouer la carte de l’afi davit mais le juge Lavergne est tenace et répète une troisième fois la même question. Alain Werner rend les armes : « A voir les documents, à lire les documents, il n’y a pas de mention dans ce document qui indiquerait qu’il vient de S21. »



Marie-Paule Canizares avait prévenu en début de séance que son client ne reconnaissait pas Ly Hor comme survivant de S21. (Anne-Laure Porée)
Marie-Paule Canizares avait prévenu en début de séance que son client ne reconnaissait pas Ly Hor comme survivant de S21. (Anne-Laure Porée)


« Ear Hor est mort », démonstration implacable de Duch

Le président invite Duch à commenter les propos tenus par le témoin. Duch se lève calmement, il prend les documents lus dans la matinée, il épluche les dates, analyse les annotations, la graphologie. Il identifie l’écriture de Mam Nay et Hor, à S21. Il déduit des dates des interrogatoires qu’ils ont eu lieu à Takmao, dont il connaît le nom de l’interrogateur. En mathématicien rigoureux, il prouve par a + b que Ly Hor n’est pas Ear Hor comme il le prétend. Il a la démonstration modeste mais implacable. Alain Werner et Ty Srinna ont tous les deux la main devant la bouche et le regard sombre, ils ne s’attendaient visiblement pas à une telle répartie.

« Je souhaite exprimer mes sentiments profonds de compassion pour ce que M. Ly Hor a souffert, expose Duch. […] Je crois effectivement qu’il a été torturé. Je voudrais également dire que d’après les documents, le camarade Hi Hor est déjà mort. Les documents nous prouvent qu’il est déjà mort. […] A la page 59 du document [la liste établie par les co-procureurs des victimes de S21] on peut trouver le nom de Ear Hor. Et là on peut constater que Ear Hor est décédé. Sur cette mention de ‘remis en liberté’, cela est conforme à ce que je vous ai dit il y a un certain temps, il s’agit d’une tactique de Nat qui parle de relâcher 60 personnes, y compris Ear Hor. […] Il s’agit d’une fausse liste de personnes relâchées produites le 8 mars 1976. Pour prouver que ma conclusion est correcte, je voudrais faire l’observation suivante : si vous prenez l’écriture dans la demande de constitution de partie civile, cette écriture c’est l’écriture de Ly Hor lui-même. […] Si l’on compare l’écriture du document 00279927 à celle-ci, les deux écritures sont à 50% différentes. Je peux donc estimer que le camarade Ear Hor et monsieur Ly Hor ne sont pas la même personne. » Dernier volet de la démonstration : les années de naissance ne concordent pas. Duch classe l’affaire. Ear Hor est mort.

Ly Hor ne réagit pas, ne manifeste aucune espèce d’émotion en entendant l’accusé démonter son histoire.

Kar Savuth, avocat de Duch, enchaîne en demandant au témoin ce qu’il faisait le 10 novembre 1975. Ly Hor répond qu’il était à Wat Po. Kar Savuth abat ses cartes : « Si je vous parle du 10 novembre 1975, c’est parce que ce jour-là un certain Hi Hor a été arrêté et transféré à S21. » La réplique fait plus d’effet sur le public que sur la partie civile qui ne réagit pas.  Marie-Paule Canizares tente ensuite d’en savoir plus sur quand et comment se sont passées les rencontres de Ly Hor avec le Centre de documentation du Cambodge. Le témoin confirme qu’il a reçu la biographie par le biais du DC-Cam.

A l’issue de l’audience, le juge Lavergne constate « le besoin de clarification de la chambre ». Un euphémisme bien trouvé après une pareille journée.

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