Sous un ciel chargé de pluie, au milieu de l’ancien centre de détention et de torture S21, une centaine de personnes en habit de deuil blanc brûlent des encens et déposent des fleurs de lotus sur une stèle dédiée aux morts sous le régime khmer rouge. Un homme lit une lettre à son proche, exécuté ici il y a trente ans. Une femme s’effondre en larmes, puis une autre. Ils ont le regard abyssal, un air de fantômes, mais ils sont tous là, les 90 qui ont porté plainte contre le directeur de S21, Duch. Celui-ci a reconnu avoir ordonné la mort de plus de 12 000 personnes. C’était il y a trente ans. Aujourd’hui, son procès pour crimes contre l’humanité et crimes de guerre s’achève. Le verdict est attendu fébrilement par les plaignants. L’enjeu n’est pas seulement la condamnation de l’accusé pour laquelle les procureurs ont requis une peine de 40 ans de prison, il est aussi de savoir qui sera reconnu comme victime. Certains n’en dorment plus.
Au milieu de l’assemblée s’élève la voix de Chum Sirath, vice-président de l’association de victimes Ksem Ksan. « Nous appelons l’âme de nos frères et sœurs bien aimés qui sont morts à Tuol Sleng et Chœung Ek après avoir enduré des atrocités innommables. Revenez s’il vous plaît ! Et écoutez le verdict, dans l’espoir que vous, frères et sœurs bien aimés, vous receviez finalement la justice. » Les bonzes enchaînent les prières face à un parterre de familles concentré et ému.
Après la cérémonie bouddhique, les pronostics vont bon train sur la peine. Les juges ont-ils retenu des circonstances atténuantes parce que Duch a collaboré avec le tribunal et reconnu sa responsabilité ? Comment ont-ils interprété la dernière déclaration de l’accusé demandant sa libération parce qu’il n’était pas un haut responsable khmer rouge ? La rumeur court que Duch ne prendra que vingt ans. « Pour nous, le pire des scénarios, résume Theary Seng, c’est une condamnation qui lui permette de retrouver un jour de liberté dans sa vie. En dessous d’une peine de 30 ans, les réactions des parties civiles risquent d’être explosives. »
Pendant que les familles des victimes font corps, l’accusé se prépare lui aussi. Il reçoit la visite du pasteur américain Christopher LaPel, qui l’a baptisé en l’espace de quinze jours en janvier 1996.
La cérémonie en images