La démission du juge Blunk sauvera-t-elle le tribunal ?


La naïveté du juge
Nommé le 1er décembre 2010 en remplacement du juge d’instruction français Marcel Lemonde, le juge Siegfried Blunk n’est pas resté un an en poste. Dans le communiqué qui annonce officiellement ce lundi 10 octobre sa démission, il liste les déclarations du Premier ministre Hun Sen, du ministre de l’Information puis du ministre des Affaires étrangères qui ont émaillé son mandat du même refrain : le gouvernement cambodgien ne veut pas des procès 3 et 4. Il écrit, avec une naïveté sidérante, qu’il ne s’attendait pas à ce que la politique du Cambodge à l’égard du tribunal suive les propos de Hun Sen, chef du gouvernement.  S’il y a pourtant un discours qui n’a pas changé depuis les négociations concernant les CETC, c’est bien celui-ci. Et s’il y a une chose qu’on apprend vite au Cambodge c’est que Hun Sen n’est pas surnommé «strong man» pour rien. Il décide. Il règne. Ca ne fait pas de doute.


Human Rights Watch met les pieds dans le plat
Le juge d’instruction conclut que, dans ces conditions de pressions politiques, il ne peut pas «remplir son devoir en toute indépendance». Il part la tête haute, moins d’une semaine après l’appel à la démission des juges d’instruction lancé par Human Rights Watch le 3 octobre 2011. L’ONG de défense des droits de l’Homme n’y allait pas avec le dos de la cuiller en affirmant que les juges avaient failli de façon monumentale à leur devoir, en n’enquêtant pas correctement sur les affaires 3 et 4. Exemple : Sou Meth, ancien commandant de l’armée de l’air khmère rouge et Meas Muth, ancien commandant de la marine khmère rouge n’ont jamais été entendus par les juges alors qu’ils sont censés être les accusés du cas numéro 3 pour crimes contre l’humanité et crimes de guerre. «Le peuple cambodgien n’a aucun espoir de voir la justice pour des crimes de masse tant que ces juges sont impliqués», déplore Brad Adams, le directeur Asie de Human Rights Watch dans le Cambodia Daily du 4 octobre 2011. L’ONG invoque également le traitement «scandaleux» des victimes. L’épine dorsale de cette faillite de l’instruction, ce sont les interférences politiques, selon Human Rights Watch, qui condamne également « la politique de l’autruche » des Nations unies et réclame une enquête pour rendre son crédit au tribunal.


Les contradictions de Blunk
Depuis des mois le procureur international Andrew Cayley proteste contre les méthodes et la négligence des juges d’instruction. Depuis des mois, il est reproché aux juges d’instruction de ne pas expliquer, de décréter, de ne rien justifier, de bâcler, de ne pas enquêter sur les lieux, de ne pas interroger les témoins, de plomber la crédibilité du tribunal. Depuis des mois, des communiqués acerbes circulent. Les démissions au bureau de l’instruction se succèdent. Mais n’y a-t-il pas contradiction à voir le juge Blunk parler d’interférences politiques à l’heure de son départ alors que très vite après son entrée en fonction, il emboîte le pas du gouvernement cambodgien en clôturant prématurément avec son collègue You Bunleng le cas 3 ? Mystère.


Du pain béni pour la défense

Tandis qu’observateurs du tribunal et ONG s’empressent de demander une enquête indépendante des Nations unies sur les interférences politiques mentionnées par le juge Blunk et sur une éventuelle corruption au bureau des co-juges d’instruction (sans questionner par ailleurs l’impartialité ou l’éthique du magistrat international), la défense se frotte les mains. Depuis des années, elle clame que ces interférences politiques biaisent les dossiers. L’avocat de Nuon Chea, Michiel Pestman, déclare dans le Cambodia Daily du 11 octobre 2011 : « Il démissionne parce qu’il y a des interférences politiques dans l’instruction. Nous devrions comprendre ce que cela signifie. Cela signifie que le juge national n’agit pas de manière indépendante, le même juge qui a enquêté dans le cas numéro 2… La question, maintenant, c’est : ce tribunal a-t-il un avenir? »


Un peu de sérénité
Pour beaucoup au tribunal, cette démission est cependant synonyme de soulagement. La co-avocate principale Elisabeth Simmoneau Fort espère que cela va apporter un peu de sérénité. Depuis des mois elle constate la suspicion générale contre les CETC et note les conséquences catastrophiques des décisions des juges d’instruction pour les parties civiles. «Ils ont pris des décisions à l’extrême opposé de celles qui avaient été prises pour les cas 1 et 2. Ca rend tout obscur : la valeur de la partie civile, son sens, la raison pour laquelle elle est là.»

Le cas de Robert Hamill est emblématique. Entendu comme partie civile dans le procès de Duch parce que son frère a été exécuté à S21, il a rejeté comme partie civile contre celui qui a arrêté son frère au large des côtes cambodgiennes. Son récit devant les juges, bouleversant, ne laissait pas de doute sur les souffrances que sa famille et lui-même ont endurées suite à la disparition de son frère Kerry. Pourtant les juges d’instruction ont considéré qu’il n’avait pas prouvé ces souffrances et qu’il n’était qu’une victime « indirecte ».


Les casseroles du tribunal
Ce coup d’éclat ne peut pourtant pas faire oublier les autres casseroles que traîne le tribunal et qui ne dépendent pas du magistrat Blunk :
– Le jugement définitif de Duch n’a toujours pas été rendu, les juges en charge ne trouvent d’ailleurs pas nécessaire de s’en expliquer.
– Le procès numéro 2 n’a toujours pas commencé sur le fond. Pour accélérer les choses, la Chambre de première instance a annoncé la disjonction en plusieurs procès, mais cette décision, lourde de conséquences, ne fait pas l’unanimité telle quelle.
– Enfin le cas Ieng Thirith risque de faire des remous au Cambodge car si les experts médicaux confirment qu’elle souffre de la maladie d’Alzheimer, l’ancienne ministre de l’action sociale (en charge notamment des hôpitaux khmers rouges que les survivants décrivent comme des mouroirs) ne sera pas jugée et sera libérée. Ces experts devraient être entendus le 19 octobre.

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