Duch, criminel de guerre ? Le tribunal en déroute sur ce thème





Pas de direction d'audience, des questions qui partent dans tous les sens, c'est comme si les parties avaient perdu le fil conducteur. (Anne-Laure Porée)
Pas de direction d'audience, des questions qui partent dans tous les sens, c'est comme si les parties avaient perdu le fil conducteur. (Anne-Laure Porée)




Le secret jusqu’au 31 décembre 1977

En substance, Duch ne conteste pas le conflit politique entre le Cambodge et le Vietnam, en revanche il nie avoir été au courant de la rupture des relations diplomatiques et du conflit armé avant le 31 décembre 1977, date de la rupture des relations diplomatiques du Kampuchéa démocratique avec le Vietnam. Souvent, il cite également le 6 janvier 1978, date-clé puisqu’alors Pol Pot préside une cérémonie à Boreï Keila au cours de laquelle le leader loue les forces du Kampuchéa démocratique, victorieuses sur le Vietnam. Duch maintient qu’avant, le conflit était resté secret.


« J’appliquais les ordres »

Duch reconnaît que les premiers Vietnamiens incarcérés à S21 sont arrivés dès le 17 avril 1975 mais ils étaient détenus, selon lui, à cause de leur implication dans certains événements. Personne, clame-t-il, n’a été détenu au prétexte de sa nationalité. « Toute personne envoyée à S21 devait être exécutée (Khmers, Chinois…). Parmi elles se trouvaient des Vietnamiens. » Néanmoins, après la date-pivot du 6 janvier 1978, il se souvient que le neveu de Pol Pot, formé en Chine, réalisait un enregistrement filmé de prisonniers vietnamiens afin que les images soient présentées à une réunion à Djakarta pour prouver l’invasion vietnamienne.


Alors qu’il était à la direction de S21, l’accusé affirme avoir ignoré la définition du statut de prisonnier de guerre et les implications qu’elle avait dans leur traitement. « Les Vietnamiens tuaient des Cambodgiens et vice-versa donc je ne me posais pas de question. J’appliquais les ordres. » Ces prisonniers étaient classés en trois catégories : civils, militaires, espions.


Duch n’écoutait pas la radio ?

La juge Silvia Cartwright revient plusieurs fois à la charge pour savoir ce que Duch avait entendu comme informations à la radio sur ce conflit entre les deux pays. L’accusé assure n’avoir aucun souvenir d’émission radio avant le fameux 6 janvier 1978. Il pousse son argumentaire jusqu’à affirmer : « Moi-même j’avais une radio mais je n’avais pas le temps de l’écouter. C’était la réalité ». Cette réflexion passe comme une lettre à la poste. Mais comment le directeur de S21 pouvait-il prendre autant de temps à étudier la ligne du parti dans le Drapeau révolutionnaire et ne jamais écouter la radio ? Comment pouvait-il à ce point manquer au devoir dont même un chef de village s’acquittait ?

L’accusé se rappelle simplement que les aveux de détenus vietnamiens étaient enregistrés à S21 pour ensuite servir la propagande radiodiffusée khmère rouge. Il en a tout de même entendu quelques-uns et comme personne ne le prévenait de la date de diffusion (c’est ce qu’il a déclaré lors d’une audience précédente), il faut croire qu’il écoutait la radio.


Le conflit armé : sans réalité pour l’accusé jusqu’en 1978

Il glissera un peu après qu’il y avait des rumeurs à propos de la libération des îles et d’un navire américain mais se dit incapable de certifier qu’il s’agissait des événements de mai 1975 : l’offensive khmère rouge sur les îles vietnamiennes et l’arraisonnement du cargo Mayaguez.

Dans sa hiérarchie, personne n’abordait le conflit armé bien que le conflit politique entre Cambodgiens et Vietnamiens exista depuis longtemps. Pas de réunions spécifiques sur le sujet, pas de confidences des supérieurs. « Ce que j’ai pu apprendre était basé sur mon travail, sur les aveux », conclut Duch qui précise que les prisonniers de guerre vietnamiens n’étaient que quelques-uns avant le 6 janvier 1978 et plus nombreux après. Les questions posées autour de la confession d’un détenu vietnamien arrêté en février 1976 puis d’une liste de prisonniers vietnamiens ne mèneront nulle part. Duch réussira habilement à glisser sa théorie sur les tensions entre Pol Pot et Le Duan qui ont dégénéré en conflit sur le terrain.


Recette pour réussir un mauvais interrogatoire

Cette recette a été présentée par le bureau des co-procureurs au cours de l’audience du 10 juin. Pour réaliser un mauvais interrogatoire d’accusé, il vous faut :

– deux co-procureurs inattentifs qui répètent des questions posées lors des audiences précédentes (était-il nécessaire de poser des questions du type : « le contenu des aveux reflétait-il la vérité ? », ou encore reposer une question de la veille avancée par la juge Cartwright ?),

– un président de séance indifférent, qui ne réagit pas quand les protagonistes passent hors sujet,

– un accusé subtil, qui ne bouge pas de sa ligne

– un peu de fatigue

– une pincée de renoncement (les juges internationaux ont bien tenté de recadrer, d’approfondir, sans que cela suffise)

Mélangez et faites mijoter à petit feu pendant quelques heures pour passer à côté de l’interrogatoire.


La responsabilité de la démonstration

Les co-procureurs devaient démontrer la culpabilité de Duch en matière de crime de guerre quand les parties civiles n’ont aucun client à défendre sur ce thème. Voici une illustration typique de leur ratage : ils demandent à Duch pourquoi avoir sélectionné Mam Nay pour interroger les Vietnamiens. « Parce qu’il comprenait bien le vietnamien, répond l’accusé. Il pouvait utiliser ses connaissances à S21. » Les co-procureurs se contentent de cette réponse, sans creuser le lien ancien entre Duch et son subordonné, déjà interrogateur à M13. Ils survolent. Duch est d’une trempe qu’il faut acculer, confronter à la preuve. Or dans ce cas précis les co-procureurs ont la preuve molle.

Lorsqu’ils utilisent un film de James Gerrands sur le Cambodge pour montrer des archives de propagande khmère rouge anti-vietnamienne, ils effleurent le document. Le passage montre des détenus, agenouillés en uniformes, qui avouent. Une voix off  commente que le Vietnam voulait forcer le Cambodge à entrer dans la fédération indochinoise. Les co-procureurs veulent savoir si ce film a été tourné chez Duch. Ils obtiennent une demie réponse : « Le carrelage ne suscite aucun souvenir en moi. L’image n’était pas très claire. Permettez-moi d’accepter qu’il s’agissait de mon bureau. Mais les aveux me semblent longs. Ce ne sont pas ceux faits devant moi. » On n’en saura pas davantage.


Les parties civiles et la défense sans questions

Les questions de l’avocat du groupe 4 des parties civiles Hong Kim Suon ne tenaient pas davantage la route que celles des co-procureurs ou répétaient des questions déjà posées. Les autres groupes de partie civile ont choisi de ne pas intervenir, la défense de même. Le président de la cour Nil Nonn converse avec l’accusé pour remplir les dernières minutes d’une audience en rase-mottes.

Une réponse sur “Duch, criminel de guerre ? Le tribunal en déroute sur ce thème”

  1. J’aime beaucoup la photo… juste ce qu’il faut de regard décalé par rapport à un sujet on ne peut plus sérieux. Exactement ce que j’aime dans tes textes et tes analyses sur le procès et l’histoire en train de s’écrire.

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