Martine Jacquin, avocate du groupe 3 des parties civiles, a appuyé la prise de parole au tribunal de ses clients Lay Chan, Phork Khan, lesquels sont entendus les 7, 8 juillet 2009 par la cour. Le témoignage approximatif de Lay Chan et les contradictions ou les incohérences de Phork Khan laissent planer un doute, non sur leur condition de détenu ou sur leurs souffrances, mais sur leur incarcération à S21 même. Alors que les juges décortiquent les contradictions de Phork Khan entre sa requête écrite et ses propos à la cour, Martine Jacquin, pour qui ces deux hommes ont bien été détenus à S21, intervient pour remettre certains éléments dans leur contexte.
« Messieurs les juges, je voudrais faire une observation générale.
Vous avez constaté entre hier et aujourd’hui, parfois avec un certain énervement, que les témoins qui étaient devant vous avaient des déclarations beaucoup moins précises que les témoins que vous aviez pu entendre précédemment. Je crois qu’il faut bien remettre chacune de ces situations dans leur contexte. Les témoins que vous avez entendu précédemment ont eu l’occasion d’être entendus par le juge d’instruction, d’être entendus par les enquêteurs du tribunal, ainsi ils ont pu préciser leur témoignage, les services de recherche ont pu préciser les documents et cela vous permet d’obtenir des témoignages extrêmement complets et extrêmement précis. Comme vous le savez nous ne sommes jamais intervenus dans la partie qui a consisté à recueillir les témoignages de ces survivants auprès de la population. Nous n’avons pris en charge ces dossiers que lorsque les constitutions de partie civile ont été régularisées. Et je rappellerais dans certains cas, avec des délais d’urgence, nous mettant dans des conditions assez difficiles. Nous avons constaté nous-mêmes en découvrant ces dossiers un par un, en prenant la peine de rencontrer ces parties civiles, qu’en fait le travail d’enquête qui avait été fait était juste sur beaucoup de points mais était également erroné sur certains points. Cela n’en montre pas moins que ces témoignages sont extrêmement intéressants et à mon avis apportent une information importante. Dans ce contexte nous avons essayé de réunir le maximum de documents complémentaires, en particulier en recherchant des documents au DC-Cam, en sachant que cela est beaucoup plus difficile pour nous à réaliser quand nous n’avons pas les moyens matériels des enquêteurs du tribunal. Aujourd’hui vous avez constaté ces modifications de déclaration. Je crois que ce qui est important, c’est ce que déclare cet homme [Phork Khan] aujourd’hui, qui est ce qu’il dit avoir vécu. Et je pense qu’effectivement dans le recueil écrit du témoignage il y a eu des erreurs. Maintenant il faut bien remettre ça dans le contexte. Ces témoignages à l’origine ont été recueillis par des associations de défense des droits de l’Homme du Cambodge dans des conditions matérielles difficiles où de jeunes enquêteurs non expérimentés, mal équipés ont sillonné un certain nombre de villages du Cambodge pour donner des informations sur les CETC et recueillir un certain nombre de témoignages. Ça a été un travail fait entre guillemets « en amateur », avec les moyens du bord qui n’ont rien à voir avec les moyens du tribunal mais qui malgré tout ont permis aujourd’hui le rétablissement d’un certain nombre de dossiers et par la suite ont permis le rétablissement de constitutions de parties civiles. Donc je crois que tous les témoignages que vous entendrez à ce titre seront certes chaque fois moins précis. Par ailleurs nous avons comme habitude dans le droit germano-latin de ne pas préparer un témoin à son audition pour le laisser témoigner naturellement, pour qu’il ait la spontanéité de la parole, ce qui bien évidemment amène certains problèmes matériels qui résulte de ce contexte. »