Risques de poursuites contre les témoins : la cour ne veut plus en entendre parler en public


William Smith reproche à la défense de semer la confusion. (Anne-Laure Porée)
William Smith reproche à la défense de semer la confusion. (Anne-Laure Porée)


Mercredi 15 juillet 2009, avant de poser ses questions à Mam Nay, le co-procureur cambodgien Tan Senarong lui rappelle qu’il a le droit de ne pas s’incriminer lui-même. Il l’invite cependant à faire un récit complet « même s’il s’agit de choses que vous avez faites vous-mêmes » et il rassure le témoin, si tant est qu’il puisse encore y parvenir. Ses arguments reposent sur deux éléments : premièrement la loi sur les Chambres extraordinaires au sein des tribunaux cambodgiens (CETC) prévoit des poursuites seulement contre les hauts dirigeants et les principaux responsables des crimes commis sous le Kampuchéa démocratique, deuxièmement les crimes ont eu lieu il y a plus de trente ans, il y a donc prescription pour les personnes qui ne sont pas incluses dans ces deux catégories.


Versions divergentes

François Roux attend que la parole soit à la défense pour répliquer. Après avoir rappelé au témoin qu’il est obligé de dire la vérité ou bien qu’il peut garder le silence, l’avocat de Duch conjure Mam Nay de ne pas croire ce que les co-procureurs lui ont expliqué dans la matinée. Il brandit un document émanant du bureau des co-procureurs et reçut par la défense à l’heure du déjeuner et cite le paragraphe 21 : « En ratifiant la Convention contre la torture, la Cambodge a contracté l’obligation absolue de poursuivre toute personne présumée responsable d’actes de torture. » François Roux conclut : « Ce qui vous a été dit oralement n’est pas la même chose que ce qui est écrit par les co-procureurs. »


Le co-procureur international William Smith se lève, proteste, en appelle à un débat à huis-clos. « Assurément ce n’était pas la position avancée hier par les co-procureurs comme quoi aucune poursuite ne serait possible. Nous avions dit que c’était une possibilité très vague mais je n’ai pas dit que c’était totalement exclu. »


La défense recadrée

Le président recadre la défense. « Il est de la responsabilité de la Chambre de prévenir le témoin. » Par ailleurs la cour lui a fourni un avocat dont c’est aussi le travail. François Roux argue de son bon droit, énerve le président qui clôt le chapitre. Mais le sujet revient sur le tapis dès l’annonce du prochain témoin, Him Houy, chef de la sécurité à S21, responsable des gardiens et du transport des détenus vers le lieu d’exécution. François Roux se dit préoccupé par les informations données aux témoins et lâche encore : « Je ne parle pas de problème de l’auto-incrimination, je parle du problème de l’entreprise criminelle conjointe qui est un problème nouveau. […] Il faut prévenir les témoins ! […] Il faut corriger ce qui a été dit ce matin par mon confrère cambodgien. […] Il est faux de dire aux témoins que les faits sont prescrits ! C’est faux ! Vous écrivez le contraire. »



Le forcing de la défense contre l’ECC

Le président Nil Nonn semble exaspéré. Il souhaiterait que les audiences consacrées aux témoins le soient vraiment, que ce problème ne resurgisse pas constamment et que le public soit épargné par ces questions « de procédure » et il s’étonne qu’aucune requête n’ait été adressée à la Chambre à ce sujet. La défense s’annonce prête à participer à un débat à huis-clos sur cette « question grave, qui dépend de la position des co-procureurs ». « Maintenez-vous oui ou non l’entreprise criminelle commune ? »

« Nous maintenons notre position » répond sèchement le co-procureur William Smith. La défense sème la confusion selon lui.


Dans cette ambiance électrique la Chambre exige que cette question ne soit pas soulevée pendant la déposition du prochain témoin à qui le président propose de consulter un avocat en préliminaire à sa déposition devant les juges. Him Houy ne parlera pas aujourd’hui à la cour. L’audience est suspendue une demi-heure plus tôt que prévu.

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