Démarrage poussif sur la création de S21

Les gardiens leur demandent de laisser leur téléphone portable à la consigne en échange d’un second ticket. Un peu perdus, les nouveaux arrivants rient de toutes ces précautions. Ensuite, impossible pour eux de se perdre, le chemin entre deux grilles est tout tracé jusqu’au prochain portique de sécurité où ils laissent en attente sur une table briquets et cigarettes enroulés dans des kramas poussiéreux. Ils arrivent d’Omleang, à environ 90 km au nord-ouest de Phnom Penh, le village où se situait le camp khmer rouge M13, dont  Duch fut le directeur.


Le public attrape à la sortie du tribunal tous les documents qui sont mis à sa disposition. (Anne-Laure Porée)
Le public attrape à la sortie les documents qui sont mis à sa disposition par le tribunal : biographies des magistrats, de l'accusé, livret sur le fonctionnement de la cour... (Anne-Laure Porée)



Le chapitre de la création de S21

Ce matin, ces 250 hommes et femmes transportés au tribunal par le Centre de documentation du Cambodge remplissent la moitié de la salle. Il est regrettable que ces personnes intéressées au premier chef par les audiences sur M13 n’aient pas été accompagnées aux CETC plus tôt. Les audiences sur M13 se sont closes la veille… Ils n’entendront donc que des questions relatives à la création de S21.


A l’entrée des juges dans le prétoire, le public se lève comme un seul homme, dans un silence respectueux. L’effet de cette salle pleine et attentive est saisissant. Deux jours plus tôt une trentaine de personnes à peine constituait le public. L’arrivée de Duch est aussi quelque chose : dans un mouvement général, les villageois se penchent vers l’avant comme pour le voir de plus près. Voir celui que tous connaissent, selon Im Reng, une habitante d’Omleang qui cite avec une colère froide le nom de familles entières anéanties à M13. Im Reng a suivi les informations sur le tribunal à la télévision et conteste des propos tenus pendant les audiences précédentes, elle assure qu’il n’y a pas eu de survivants dans les fosses de M13. Les souvenirs de cette époque lui reviennent avec acuité. Elle avait 18 ans.


En ordre dispersé

La matinée est plutôt poussive. Le président de la cour annonce le report de la décision du tribunal sur la détention provisoire de Duch mais promet une décision avant le 15 juin 2009. La juge Silvia Cartwright prie Duch de parler plus lentement et de façon plus concise. Le juge Jean-Marc Lavergne demande la vérification d’une déclaration de l’accusé en khmer parce que la veille il a compris, à juste titre, le contraire de ce que dit Duch aujourd’hui. Le juge Ya Sokhan interroge Duch, parfois sur les mêmes points que la veille. La chasse aux références de documents ralentit passablement les débats. Enfin les procureurs et la défense se harponnent sur les documents présentés à la cour. Si le débat entre les parties n’était pas clair ce matin, en substance, c’est le même qui revient régulièrement : la défense reproche ses méthodes à l’accusation. Les co-procureurs, sous couvert de faciliter les débats et le travail des juges, font leur propre sélection de documents comme ils ont proposé leurs propres synthèses de témoignages, ce qui est inacceptable pour Me Roux.


S21 naît le 15 août 1975

Finalement, entre la fin d’après-midi hier et cette matinée, l’interrogatoire de Duch se déroule un cours magistral sur S21, parfois assommant. Duch décrit S21 comme une « combinaison des forces de M13 et du bureau de sécurité 03 » (ou bureau de la division 703). Ce nouveau bureau de la sécurité naît le 15 août 1975. Ce jour-là, Son Sen convoque trois hommes à qui il confie la mission de mettre en place S21 : Nath (chef du bureau 03, soit secrétaire de la division 703), Duch et Hor (secrétaire de l’unité spéciale). L’objectif annoncé est d’ouvrir « un centre d’interrogatoire pour les prisonniers de guerre et ceux qui ont fait défection ». Duch est placé sous l’autorité de Nath. Ce jour-là est aussi inventé le nom S21. Le « S » correspond à santebal en khmer. « Nous allons utiliser le mot santebal qui réfère à ceux qui maintiennent la paix dans le pays », aurait alors décidé Son Sen. Quant au chiffre 21, c’est le numéro de communication.


Une idée de Pol Pot

Interrogé plus avant sur cette naissance, Duch déclare : « Pol Pot est l’initiateur de la création de S21. Nuon Chea avait pour obligation de faire suivre la décision de Pol Pot et Son Sen était chargé de son application. »


S21 déménage à plusieurs reprises dans Phnom Penh avant de se fixer définitivement dans les bâtiments de l’école Ponhea Yat (actuel musée du génocide) et d’occuper tout le quartier autour. Une des raisons invoquées par Duch est qu’il fallait éviter que « les visiteurs chinois » voient ce qui se passait.


Communication strictement verticale

« Plus de 1 000 personnes au total travaillaient à S21 mais toutes n’étaient pas sous mon contrôle », se souvient Duch qui, après de nombreux quiproquos sur la manière de communiquer dans les sphères khmères rouges, insiste pour dire que cette communication était strictement verticale. Et il rappelle la hiérarchie interne : 1- Pol Pot, 2- Nuon Chea, 3-So Phim, 4- Mok, 5- Ieng Sary, 6-Vorn Vet, 7-Son Sen, insistant sur la puissance de ce-dernier, ministre de la Défense.


De lourdes interrogations

Certaines affirmations de l’accusé laissent alternativement songeur, dubitatif ou incrédule. Duch assure : « Avant d’arriver aux CETC, je ne connaissais que deux bureaux de sécurité ». Le juge Jean-Marc Lavergne, estomaqué, fait répéter sa déclaration à Duch qui confirme (voir la citation du jour). Plus tard, quand la cour étudie la fonction des bâtiments de S21, l’accusé certifie : « A partir du moment où S21 a été construit, je ne suis jamais entré dans le bâtiment. Dès lors que les cellules individuelles ont été construites telles que je l’avais ordonné, je ne suis plus entré dans le bâtiment jusqu’au jour où les co-juges d’instruction m’ont amené sur le site. »

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