Trois demandes de remise en liberté monotones





Maux de tête ou vertiges, Nuon Chea n'est pas en forme pour l'audience. (Anne-Laure Porée)









Un sourire entre deux maux de tête. (Anne-Laure Porée)































Les arguments sont les mêmes pour les trois équipes de défense : comme le procès n’a pas commencé dans les quatre mois qui ont suivi l’ordonnance de clôture des juges d’instruction (rendue le 15 septembre 2010), les inculpés sont détenus illégalement, ils doivent être libérés.

La seule parade juridique à la libération des inculpés, c’était que la chambre préliminaire prolonge leur détention provisoire jusqu’à l’ouverture du procès. Ce fut fait le 13 janvier dernier, soit deux jours avant l’expiration du délai légal. Mais pour la défense, cette décision n’est pas recevable. Les avocats déclarent que “la décision de la chambre préliminaire n’en est pas une” car elle n’est pas justifiée contrairement à ce qu’exige le règlement intérieur. “Le préjudice est réel du fait que la décision n’est pas motivée” insiste Jasper Pauw. “La seule réparation possible est la mise en liberté immédiate, pour respecter la primauté du droit. Cela montrerait que le tribunal respecte le réglement et le droit des accusés.”


Les maux de tête de Nuon Chea

Derrière lui, son client, Nuon Chea, semble lancer quelques commentaires amusés, puis il s’agite. Il porte la main à sa tête, à plusieurs reprises, il retire ses lunettes noires, il les remet. Son avocat cambodgien, maître Son Arun, interrompt l’audience. Il demande à ce que son client soit ausculté par un médecin pour les maux de tête dont il se plaint. Nuon Chea est conduit hors du prétoire, il sort lentement. Il est le deuxième ce matin à quitter l’audience.






Ieng Thirith a demandé à quitter l'audience. (Anne-Laure Porée)





Ieng Thirith, un petit tour et puis s’en va

Peu avant lui, Ieng Thirith a, elle aussi, renoncé à son droit d’assister à l’audience. Elle avait formulé cette demande par écrit aux juges qui l’ont tou de même convoquée pour vérifier sa requête. Son avocat suggère qu’elle reste assise car “il lui est difficile de se tenir debout”. Temps mort dans la salle. A cet instant, il est impossible de comprendre via les écrans ce qui provoque la confusion, l’équipe audiovisuelle ne filme pas l’inculpée. Au son, on entend simplement sa voix : “Je ne comprends pas”. Puis Ieng Thirith apparaît en plan moyen. Depuis son fauteuil, elle réitère sa demande de quitter la salle d’audience et de laisser faire son avocat Phat Pouv Seang. Accord des juges. Deux gardiennes la guident vers la sortie, une fois les fauteuils de la défense dépassés, elle s’éclipse sans plus avoir besoin de leur aide.


Beaucoup de répétitions, peu de conviction

Les avocats de la défense brandissent tour à tour les mêmes arguments. Une impression de déjà entendu rend l’audience monotone. Son Arun, avocat cambodgien de Nuon Chea, dénonce “les abus de pouvoir” de la chambre. Sa Sovan calcule que son client, Khieu Samphan, a été maintenu en détention “14 jours de trop”. Puis il a une envolée déconcertante, qui n’est pas traduite en français : “Il faut le libérer aujourd’hui, maintenant ! Bientôt c’est le Nouvel an chinois… même si je suis pas Chinois.” Khieu Samphan rit, le public cambodgien aussi.


Nuon Chea, le “respectable”

Après Sa Sovan, Phat Pouv Seang répète en cinq minutes les arguments de ses prédécesseurs. Jusqu’ici, aucun d’entre eux ne répond sur le fond aux deux questions posées par le président en ouverture de séance, à savoir : quel est le préjudice causé à l’accusé ? Pourquoi la remise en liberté immédiate est-elle la seule réparation possible au vu de ce préjudice allégué ? Les avocats de Nuon Chea abordent le sujet seulement en fin de matinée. Selon eux, l’état de santé de leur client de 84 ans, qui “peut à peine marcher sans être aidé”et “ne peut rester assis très longtemps car sa pression artérielle fluctue beaucoup”`, n’a pas le profil d’un candidat à la fuite. La défense invoque la respectabilité de Nuon Chea. “On voit difficilement comment il pourrait perturber l’ordre public”. Ainsi l’ancien bras droit de Pol Pot ne ferait pas de vagues. “Depuis l’intégration, il vit dans la paix et l’harmonie, il participe aux rituels bouddhiques avec les villageois.”






La détention de Khieu Samphan est illégale depuis 14 jours, estime son avocat Sa Sovan. (Anne-Laure Porée)




La phrase de Khieu Samphan

Sa Sovan embraye sur l’absence de risques encourus si les juges remettent en liberté Khieu Samphan. “Je suis reconnaissant aux chambres de porter autant d’attention à la sécurité de mon client… […] Il n’y a aucun risque à le libérer. […] Mon client n’a aucun intérêt à exercer quelque pression que ce soit sur les témoins et les victimes.” Quant à l’intéressé, il est bref, lorsque le président de la cour lui propose de s’exprimer : “Je n’ai qu’une suggestion : respectez la loi !”


Les raisons de l’accusation

Sans surprise, le co-procureur Andrew Cayley s’oppose à la libération des accusés. Au-delà des arguments juridiques (il évoque différentes jurisprudences du Tribunal pénal pour l’ex-Yougoslavie, en particulier celle selon laquelle un inculpé détenu en comparution initiale reste en détention jusqu’au jour du jugement), il rappelle “les raisons plausibles de croire que l’accusé [Nuon Chea] a commis les crimes dont il est accusé.” Il souligne que les risques de pression sur les témoins demeurent, “d’autant que le dossier est accessible à l’accusé, donc il en sait beaucoup plus que par le passé”. Des pressions exercées par Nuon Chea sur Duch pour obtenir des aveux de prisonniers de S21, Andrew Cayley déduit “la capacité d’interférer” de l’accusé. Il s’appuie également sur le témoignage de Duch daté du 20 mars 2008. Celui-ci a en effet rapporté aux juges d’instruction que Nuon Chea lui aurait reproché de ne pas avoir détruit les preuves à S21. L’argumentation des procureurs sera complétée par la Cambodgienne Chea Leang : tant que les audiences sur le fond n’ont pas commencé, des témoins peuvent être dissuadés de se présenter devant la cour.

Pour Andrew Cayley, il serait par ailleurs “irréaliste” de prétendre qu’un accusé, qui risque une condamnation entre 5 ans et la perpétuité, ne pourrait pas être tenté de se soustraire à la justice. Enfin, le procureur international insiste sur le contexte de trente années d’impunité qui ont protégé Nuon Chea mais n’ont pas diminué l’impact des crimes.


La défense de Nuon Chea s’appuie sur le documentaire Enemies of The People

Sécurité, maintien de l’ordre public, hypothétiques pressions sur des témoins… sont des arguments “abstraits” aux yeux de la défense. Son Arun se réfère au documentaire de Thet Sambath, Enemies of The People, dont Nuon Chea est le sujet. “Dans ce film, Nuon Chea dit qu’il veut coopérer avec le tribunal pour dire aux Cambodgiens et à la communauté internationale ce qu’il a vraiment fait.” En somme, après avoir vu ces images, comment imaginer Nuon Chea en fuyard ? Son Arun accuse les co-procureurs de mettre à profit des arguments non juridiques relevés dans les médias. Il déplore leur manque de preuve sérieuse pour affirmer que Nuon Chea a fait des reproches à Duch.


La thèse et les intentions de Khieu Samphan

Son Arun s’éternise. Au bout de 20 mn, il demande à passer la parole à son collègue international. Dans sa mansuétude, la cour laisse l’équipe de défense tripler le temps qui lui était imparti. Jasper Pauw plaide laborieusement : les procureurs n’ont pas compris les propos de son équipe, Nuon Chea subit réellement un préjudice.

Sa Sovan prend le relais. Il demande à ce que Khieu Samphan soit libéré et mis sous contrôle judiciaire. “Monsieur Khieu Samphan, ancien chef d’Etat, est connu dans le monde entier, non pas parce que c’est un voleur mais pour ce qu’il a fait pour le pays. Croyez-moi ! Il ne fuira pas. Il n’essayera pas d’intimider des témoins. […] M.Khieu Samphan aurait de mauvaises motivations parce qu’il a écrit une thèse de doctorat ? Qu’on lise sa thèse de doctorat ! Qu’on vérifie si ses intentions étaient mauvaises ! Il faut éviter toute vengeance.”


Les juges de première instance ont trente jours pour statuer. Ils rendront une décision écrite. A la sortie, les plaisanteries vont bon train. Personne n’ose parier sur la libération d’un des trois détenus. En revanche les pronostics penchent pour une audience technique, dite initiale, autour de la mi-mai et le début des audiences sur le fond fin juin-début juillet. Le procès numéro 2 serait ainsi sur les rails cet été.

Un nouveau juge d’instruction international

Suite au départ du juge d’instruction français Marcel Lemonde (désormais à la retraite), c’est le juge allemand Siegfried Blunk qui vient de prendre ses fonctions aux Chambres extraordinaires au sein des tribunaux cambodgiens (CETC). Il était depuis 2008 le juge d’instruction de réserve. Siegfried Blunk, diplômé en droit à l’université de Munich, est l’auteur d’une thèse sur le droit international. Après un début de carrière en qualité de procureur, il passe juge en 1977, poste qu’il gardera pendant 26 ans. En 2003-2005, il sert comme juge international dans le tribunal hybride de l’Est-Timor. Qu’instruiront le juge Blunk et le juge cambodgien You Bunleng sachant que le gouvernement cambodgien a déjà prévenu qu’il ne voulait pas des affaires numéros 3 et 4 ?

Les parties civiles ne digèrent pas le verdict

 


« Si Duch n’est emprisonné que 18 ans, les quatre autres vont être libérés ! C’est ça qui m’inquiète. » (Julien Petit)
« Si Duch n’est emprisonné que 18 ans, les quatre autres vont être libérés ! C’est ça qui m’inquiète. » (Photo Julien Petit)



Seul le président du tribunal prend la parole. Il lit le résumé d’un jugement qui fait 281 pages. Cela lui prend une heure. A 11h13 c’est fini. Il a annoncé à un Duch impassible sa condamnation à 35 ans de prison, une décision prise à la majorité et non à l’unanimité. Le juge français Jean-Marc Lavergne s’inscrit en dissident.


Le calcul de la peine
Le jugement stipule qu’une déduction de 5 ans est appropriée puisque les droits de l’accusé ont été violés pendant sa détention illégale sous l’autorité d’un tribunal militaire du 10 mai 1999 au 30 juillet 2007. Bref, la peine est ramenée à 30 ans. Dans la salle pas de réaction particulière, plutôt un sentiment de confusion. Tout a été très vite. Le verdict a-t-il été bien traduit dans toutes les langues ? Une question surgit immédiatement : combien de temps lui reste-t-il à purger ? Entre la détention illégale par un tribunal militaire et la détention provisoire aux CETC, le cumul équivaut à 11 ans.
Les parties civiles qui souhaitaient la perpétuité oscillent entre déception et désespoir. Mais le vrai choc arrive en coulisses lorsqu’ils comprennent que l’accusé ne fera pas plus de 19 ans de prison ferme. A 67 ans Duch est en pleine forme, les familles des victimes l’imaginent déjà libre. « Dix-huit ans, vous vous rendez compte ! On ne peut pas accepter ça. Impossible, impossible ! », glisse Sunthary Phung. « Ca ne reflète pas la gravité des crimes commis même si la responsabilité de l’accusé a été formellement reconnue » approuve Antonya Tioulong.


Chum Mey monte au créneau
Le plus virulent est sans aucun doute Chum Mey. A 79 ans, ce rescapé de S21 lâche sa colère : « Si Duch sort de prison après dix-huit ans, est-ce que le peuple khmer sera content ? Et les victimes ? Est-ce que le monde sera content ? Je vous demande si le monde sera content ! Beaucoup de gens ont été tués, beaucoup de dollars dépensés mais le criminel est libéré. Est-ce que vous êtes contents ? Moi je ne suis pas content ! Je pleure encore une fois ! J’ai été victime du régime des Khmers rouges et aujourd’hui je suis victime encore une fois. »

Chum Sirath évoque un « simulacre de justice ». Comme nombre de Cambodgiens il compare la peine imposée à Duch aux peines pratiquées dans les tribunaux communs au Cambodge. Un voleur de moto écope couramment de longues années de prisons. Certains ne manquent pas de faire allusion aux peines prononcées contre l’ancien commissaire de la police municipale de Phnom Penh, Heng Pov, qui cumule 58 ans de prison pour six chefs d’inculpation différents. L’homme avait fait des révélations au magazine L’Express sur ce que l’hebdomadaire avait titré « les basses œuvres de Hun Sen ».


Conforme aux normes internationales
Quelques experts en justice pénale internationale estiment la peine « raisonnable », la sentence « équitable ». En conférence de presse, le procureur international (dont le bureau avait pourtant réclamé 40 années de prison incompressibles) déclare qu’il ne voit là aucune victoire de la défense : « C’est un procès, pas un match de foot. Il faut se demander si la justice a été rendue. Vous savez que Kar Savuth a demandé la libération de son client. La décision aujourd’hui est bien loin de ça. Je crois que la population cambodgienne comprendra bien. C’est une décision conforme aux normes internationales de justice. » Ces mots augurent que les procureurs ne feront pas appel de la condamnation. Néanmoins il leur reste 30 jours pour changer d’avis. L’inconvénient pour les parties civiles, c’est qu’elles ne peuvent faire appel sans les procureurs. L’accusé pourrait-il bénéficier d’une grâce ou d’une amnistie en prime ? Non, selon la procureure Chea Leang. Un accusé jugé coupable par les CETC n’y aurait pas droit.


La coopération de l’accusé dénoncée
A la lecture du verdict, certaines parties civiles s’offusquent de la retenue de circonstances atténuantes liées à la coopération de l’accusé dans le travail pour établir la vérité. L’Association Ksem Ksan déclare après l’audience : « La soi-disant coopération de Duch est une tactique manipulatrice puisqu’il n’admettait les faits que lorsqu’il y avait des preuves écrites ». Antonya Tioulong, Sunthary Phung s’accordent à dire qu’elles n’ont en effet rien appris sur le sort de leurs proches. Elles ne sont pas les seules à s’en plaindre. L’avocat Alain Werner tempère : reconnaître la collaboration de Duch c’est aller dans la bonne direction de la justice internationale et c’est ménager un témoin dans le procès numéro 2 qui concerne les plus hauts dirigeants du régime khmer rouge.


Pas de réparation symbolique
Deux autres points du jugement alimentent la colère. D’abord l’absence de réparations. Après avoir rappelé que l’accusé n’était pas solvable, le tribunal s’est en fait déclaré incompétent sur la question. « Les juges ont complètement escamoté le débat de savoir comment les choses pourraient être financées pour ne retenir que les choses immédiatement faisables. Ce n’est pas normal » commente l’avocat Alain Werner. Les familles des victimes souhaitaient un mémorial où seraient inscrits les noms des 12 273 victimes connues, elles n’auront qu’une liste sur le site internet du tribunal ainsi qu’une compilation des excuses de Duch. Autant dire rien. « Je me demande s’ils n’ont pas plaisanté, ironise Chum Sirath. Vous savez combien de personnes ont accès à internet au Cambodge ? 10 000 même pas. Je crois qu’ils se trompent de pays ! C’est se moquer du monde. »


Déboutés du procès au dernier jour
Le deuxième point de contestation concerne le rejet de certains dossiers de parties civiles. Hong Savath, 47 ans, qui a suivi régulièrement les audiences, s’est constituée partie civile pour défendre la mémoire de son oncle, employé à l’ambassade du Japon et incarcéré à S21. Elle a retrouvé sa photo à S21 mais les juges ont estimé le dossier insuffisant et ne l’ont pas finalement pas reconnue comme partie civile. Les avocats sont scandalisés, ils clament combien il est difficile de prouver parfois au Cambodge de simples liens de parenté quand les documents ont disparu ou n’existent pas. « Les pauvres ! Ça fait un an que leur dossier est en souffrance. Le processus d’aller chercher des preuves, des papiers, pour constituer la demande de parties civiles c’est du boulot ! Vous croyez que c’est facile ? Moi, je n’ai même pas une photo de mon père, alors ne parlons pas des certificats de naissance ! Il faut tenir compte de la situation telle qu’elle était dans la période khmère rouge », défend Chum Sirath.

Est-ce que ces 24 dossiers de parties civiles rejetés sur 90 ne sont pas un camouflet imputable aux avocats qui auraient mal préparés les dossiers ? « Non, répond Martine Jacquin d’Avocats sans frontières. On a essayé de compléter au maximum les dossiers sur les liens familiaux. Ces liens sont difficiles à établir au Cambodge. Ca a été un travail de fourmi absolument considérable dans les villages et les familles. Par ailleurs il nous fallait rechercher la présence à S21 d’une trentaine de noms sur des listes de plus de 12 000 personnes en sachant que ces listes sont incomplètes, que le nom varie en orthographe et en traduction occidentale, c’est extrêmement difficile. Donc il y a des dossiers pour lesquels on n’a pas retrouvé le nom sur la liste. »


Inquiétudes pour le cas numéro 2
Les parties civiles, pour la première fois représentées dans un tribunal international, essuient les plâtres. Dans le cas numéro 2, concernant les dirigeants du régime encore en vie (Nuon Chea, Ieng Sary, Khieu Samphan, Ieng Thirith) une nouvelle procédure a été mise en place afin que la reconnaissance des dossiers soient tranchée avant le procès.
Le lendemain du verdict, les psychologues ne chôment auprès de ces déboutés du procès. Non seulement l’approche du jugement avait réactivé, réveillé la mémoire, les souffrances mais le rejet n’est pas compris. « Ils se sentent insultés », confie Judith Strasser, conseillère auprès de TPO pour le Service du développement allemand (Ded). « Ils sont aussi très inquiets pour le cas numéro 2 puisqu’il n’y a pas de traces. » « Nous n’avons même pas de photo », rappellent certains. Quelles preuves, quels documents les juges d’instruction accepteront-ils ?


Tous d’accord sur l’importance du jugement
S’il est un terrain d’accord entre tous, c’est que cette journée restera historique. « Le verdict marque la reconnaissance juridique crédible de la nature criminelle de la politique des Khmers rouges, déclare la procureure cambodgienne Chea Leang. C’est une date historique pour toute la nation cambodgienne. » Le rôle sans précédent des parties civiles est souligné, la valeur dissuasive d’un tel jugement et son apport au système judiciaire cambodgien aussi.

Pour Ou Savrith, partie civile, la reconnaissance des crimes de Duch par le tribunal était «  quelque chose de presque inespéré. A ce niveau-là, nous avons été compris ». « Le verdict qui consiste à dire qu’il est coupable de crimes contre l’humanité, de crimes de guerre. Ces deux chefs d’inculpation, ce n’est pas rien et ça je dirais que c’est quand même une certaine justice envers le peuple cambodgien », reconnaît Chum Sirath. « Ce que je retire, poursuit-il, c’est que le tribunal a réussi à informer sur la période khmère rouge. Je garde aussi du procès le fait que nous puissions faire ne sorte que ceux qui sont morts dans les geôles de Duch ne soient pas morts anonymement. Je crois que c’est également une réussite du procès qu’on ait pu révéler la duplicité et le caractère manipulateur de Duch. »

Pour les avocats, le jugement est très satisfaisant. Alain Werner explique : «  La vérité c’est qu’on est soulagés parce que sur le fond les juges ont reconnu des choses importantes : ils ont reconnu le crime de persécution, ils ont reconnu l’entreprise criminelle commune, ils ont reconnu le fait qu’il y avait des remords limités, que S21 avait été utilisé pour d’autres arrestations… » Martine Jacquin retient elle aussi l’entreprise criminelle commune comme un élément clé du verdict qui a son importance dans le procès numéro 2. Elle souligne la reconnaissance primordiale de la « responsabilité personnelle de l’accusé au titre des actes commis » et le fait que le raisonnement de Duch « responsable mais pas coupable » ait finalement été rejeté par les juges puisque la contrainte politique, physique sur Duch n’a été admise que sur la fin.



Victoire de François Roux ?
François Roux, quant à lui, a préféré rester discret. « Je forme mes vœux pour que ce procès, notamment par la coopération de l’accusé à la Justice, ait apporté un début de réponse au peuple cambodgien sur la tragédie qu’il a vécue », écrit-il. Pour qu’il ait pu apaiser un peu la terrible souffrance des victimes, pour qu’il ait servi à poser la nécessaire question de la désobéissance prônée par Gandhi et Hannah Arendt, et plus encore celle de « l’homme derrière le bourreau », pour qu’il aide Duch à quitter les loups et à revenir parmi les hommes, pour qu’en somme il ait servi la Justice. »

A lecture du verdict, les arguments de l’avocat français de la défense se rappellent à notre souvenir. « Duch bénéficie de la défense de François Roux, estime Martine Jacquin, parce que dans les circonstances atténuantes qui ont été retenues, il est bien évident que le tribunal retient une partie de la défense de François Roux.  Par contre l’appel systématique qui va être fait est lui directement un échec de la défense de François Roux parce que les derniers mots prononcés par la défense de Duch qui étaient une demande de relaxe, c’est un échec de François Roux mais pour moi c’est plus grave c’est un échec de la démarche qu’avait fait Duch. Il n’a pas eu le courage de ses actes par rapport au Cambodge et par rapport à l’histoire. »

Pour Chum Sirath ce n’est pas la victoire de François Roux, c’est la victoire de Duch. « Duch c’est un metteur en scène du dernier jour de son procès. Dans le rôle du policier méchant il prend Kar Savuth et dans le rôle du policier gentil il a pris François Roux et les deux travaillent pour le même metteur en scène. Maintenant il est démontré que Duch a le beurre et l’argent du beurre. »


Duch fera appel
Il n’empêche que l’accusé fera appel de sa condamnation. Son avocat Kar Savuth prévenait par voie de presse avant même le verdict qu’il ferait appel si son client était condamné à une seule journée de prison. La ligne reste la même : Duch n’est pas un haut responsable khmer rouge, il n’est qu’une simple directeur de prison et ce tribunal n’est pas légitime pour le juger.

Chum Mey vit le verdict
comme une double peine


"Je n'accepte pas ça". (image de Guillaume Suon Petit pour Bernard Mangiante)
"Je n'accepte pas ça". (image de Guillaume Suon Petit pour Bernard Mangiante)



« J’ai assisté à 77 jours d’audience. 77 jours ! J’ai tout suivi. J’étais content que le tribunal me donne le droit de faire face à Duch, je suis très content de ça. Vraiment content. Mais pourquoi maintenant le condamner à seulement 18 ans ? Si Duch sort de prison après 18 ans, est-ce que le peuple khmer sera content ? Et les victimes ? Est-ce que le monde sera content ? Je vous demande si le monde sera content ! Beaucoup de gens tués, beaucoup de dollars dépensés mais celui qui a tué est libéré. Est-ce que vous êtes contents ? Moi je ne suis pas content ! Je pleure encore une fois, mes frères et sœurs pleurent aussi ! J’ai déjà été victime du régime des Khmers rouges, aujourd’hui je suis victime encore une fois. Je n’accepte pas ça.
Le problème avec Duch, c’est par exemple quand il parle de pardon. Est-ce que vous l’avez vu le pardon tout à l’heure ? Vous avez vu son comportement tout à l’heure quand il est entré ? [Chum Mey tape dans ses mains, énervé] Les victimes sous le régime du Kampuchéa démocratique, elles étaient plus de 500 dans la salle ! Il n’a pas eu le moindre geste envers eux. Il n’a salué que les juges ! Réfléchissez à ça !
Pendant le procès, il n’a jamais eu le moindre geste envers le peuple. À la pause, il mettait les mains dans ses poches. Et il regardait le peuple. Il reste toujours cruel. Je ne peux pas accepter ça. 18 ou 19 ans de prison, c’est trop peu. S’il n’a que cette peine là, le Cambodge sera-t-il en paix ?
Je veux qu’il soit en prison toute sa vie pour que ça serve de modèle aux générations futures pour qu’elles ne fassent pas la même chose. Ça me suffit 3 ans huit mois vingt jours de Khmers rouges !
Je pourrais vous déclarer que je suis heureux mais je ne le suis pas. Aujourd’hui je pleure et je ris à la fois. Je ne peux pas accepter une telle décision du tribunal. Est-ce que je suis satisfait de ce tribunal ou pas ? Je sais pas encore, laissez-moi réfléchir d’abord. J’ai pleuré deux fois et ça ne s’est pas passé comme je le souhaitais. J’ai l’impression de ne presque plus pouvoir croire en ce tribunal. Si Duch n’est emprisonné que 18 ans, les quatre autres vont être libérés ! C’est ça qui m’inquiète.
Avant je disais que si le tribunal condamnait Duch à perpétuité on pourrait commencer la réconciliation nationale mais maintenant je ne peux pas penser à la  réconciliation. Je ne peux pas. Le monde entier nous a donné de l’argent pour ce tribunal, peut-on accepter un jugement pareil ? 18 ans-19 ans de prison et Duch s’en sort tout pimpant, vous pouvez accepter ça ?
Je crois que je n’ai plus d’espoir de trouver les moyens de continuer. »

L’appel aux disparus


Pendant que les familles des victimes se réunissent autour d'une cérémonie bouddhique, Duch rencontre son pasteur chrétien. (Anne-Laure Porée)
Pendant que les familles des victimes se réunissent autour d'une cérémonie bouddhique, Duch rencontre son pasteur chrétien. (Anne-Laure Porée)



Sous un ciel chargé de pluie, au milieu de l’ancien centre de détention et de torture S21, une centaine de personnes en habit de deuil blanc brûlent des encens et déposent des fleurs de lotus sur une stèle dédiée aux morts sous le régime khmer rouge. Un homme lit une lettre à son proche, exécuté ici il y a trente ans. Une femme s’effondre en larmes, puis une autre. Ils ont le regard abyssal, un air de fantômes, mais ils sont tous là, les 90 qui ont porté plainte contre le directeur de S21, Duch. Celui-ci a reconnu avoir ordonné la mort de plus de 12 000 personnes. C’était il y a trente ans. Aujourd’hui, son procès pour crimes contre l’humanité et crimes de guerre s’achève. Le verdict est attendu fébrilement par les plaignants. L’enjeu n’est pas seulement la condamnation de l’accusé pour laquelle les procureurs ont requis une peine de 40 ans de prison, il est aussi de savoir qui sera reconnu comme victime. Certains n’en dorment plus.


Au milieu de l’assemblée s’élève la voix de Chum Sirath, vice-président de l’association de victimes Ksem Ksan. « Nous appelons l’âme de nos frères et sœurs bien aimés qui sont morts à Tuol Sleng et Chœung Ek après avoir enduré des atrocités innommables. Revenez s’il vous plaît ! Et écoutez le verdict, dans l’espoir que vous, frères et sœurs bien aimés, vous receviez finalement la justice. » Les bonzes enchaînent les prières face à un parterre de familles concentré et ému.


Après la cérémonie bouddhique, les pronostics vont bon train sur la peine. Les juges ont-ils retenu des circonstances atténuantes parce que Duch a collaboré avec le tribunal et reconnu sa responsabilité ? Comment ont-ils interprété la dernière déclaration de l’accusé demandant sa libération parce qu’il n’était pas un haut responsable khmer rouge ? La rumeur court que Duch ne prendra que vingt ans. « Pour nous, le pire des scénarios, résume Theary Seng, c’est une condamnation qui lui permette de retrouver un jour de liberté dans sa vie. En dessous d’une peine de 30 ans, les réactions des parties civiles risquent d’être explosives. »


Pendant que les familles des victimes font corps, l’accusé se prépare lui aussi. Il reçoit la visite du pasteur américain Christopher LaPel, qui l’a baptisé en l’espace de quinze jours en janvier 1996.


La cérémonie en images



(Anne-Laure Porée)
(Anne-Laure Porée)



(Anne-Laure Porée)
(Anne-Laure Porée)



(Anne-Laure Porée)
(Anne-Laure Porée)



(Anne-Laure Porée)
(Anne-Laure Porée)



(Anne-Laure Porée)
(Anne-Laure Porée)



(Anne-Laure Porée)
(Anne-Laure Porée)



(Anne-Laure Porée)
(Anne-Laure Porée)


« A l’étranger on confond Khmers et Khmers rouges. Grâce au tribunal, j’espère que les étrangers feront désormais la différence entre les Khmers et les Khmers rouges »

Rencontre avec la partie civile Sunthary Phung, deux jours avant le verdict. Elle dresse un bilan de ce que le procès a apporté au Cambodge et à elle-même.
« En tant que Cambodgienne, je pense que :
–    le procès sert de modèle pour le système judiciaire au Cambodge, parce qu’il y a un vrai débat. C’est très important.
–    Le procès assure aussi le non retour des Khmers rouges. Avec ce jugement, c’est impossible maintenant qu’ils reprennent le pouvoir. C’est une bonne nouvelle pour les Cambodgiens et pour la paix.
–    Le tribunal montre aux dirigeants que malgré de longues années on peut toujours les juger.
–    Il montre bien ce qui s’est passé sous les Khmers rouges, que ce qu’on raconte à nos enfants et petits-enfants n’a rien d’une légende. Il y a eu des horreurs, la famine, des massacres, des morts. Le tribunal a montré l’ampleur de la catastrophe. Ce n’est pas pareil de lire des livres et d’assister au procès.
En tant que partie civile, j’ai souffert en 79 à cause de la mort de mon père, cette souffrance reste enfouie en moi. Le tribunal m’a fait souffrir mais j’ai accepté car il était important pour moi de savoir à quel point mon père avait souffert. Et puis ma présence aux audiences m’a permis de mieux connaître l’accusé devant la cour, devant les juges, et l’accusé à la pause. Quand j’ai entendu le 9 juillet qu’il avait rejeté son avocat international, je n’étais pas surprise du tout. Je l’ai observé. J’ai appris à le connaître pendant presque un an de déroulement du procès. J’ai toujours dit que Duch reste Khmer rouge de la tête aux pieds. Ce n’est pas François Roux qui a manipulé Duch, c’est plutôt Duch qui a manipulé François Roux. François Roux malheureusement ne connaissait pas assez les Khmers rouges.
Quand le tribunal va finir son travail, que les internationaux vont partir ailleurs, pour le Cambodge il restera un grand travail de mémoire à faire. Il ne faudra pas dire : voilà, c’est fini, le tribunal des Khmers rouges a fait son travail, l’affaire est bouclée. Il faudra faire revivre cette mémoire, ce travail. J’espère que les jeunes vont se rendre compte de ce qui s’est passé. Il ne faut pas leur montrer que le Cambodge des temples. C’est le côté positif mais il ne faut pas enterrer le côté négatif. On a perdu notre identité à cause des problèmes khmers rouges. A l’étranger on confond Khmers et Khmers rouges. Grâce à ce tribunal, j’espère que désormais les étrangers feront la différence entre les Khmers et les Khmers rouges. »

Duch révoque son avocat français


Dessin d'enfant réalisé sur le site de l'ancienne prison de Kraing Tha Chan. (Anne-Laure Porée)
Dessin d'enfant réalisé sur le site de l'ancienne prison de Kraing Tha Chan. (Anne-Laure Porée)



La demande de révocation date du 30 juin mais n’a été rendue publique que le 9 juillet. Le camouflet est rude pour François Roux qui défendait là le dernier dossier de sa carrière d’avocat. Le Français se refuse à tout commentaire. Seule certitude, il ne sera pas au verdict du 26 juillet. Son ex-collègue cambodgien Kar Savuth, d’abord silencieux, s’exprime sur le programme en khmer de Radio France internationale quelques jours plus tard et explique que son client veut un avocat chinois. « S’il n’est pas chinois, il ne sera pas d’accord’, déclare-t-il. « La Chine est un pays communiste et le régime de Pol Pot était communiste. » Duch chercherait donc un avocat expert en la matière. Il annonce sa couleur…


Une rupture consommée

Bien sûr personne n’a oublié la rupture de novembre 2009 quand Duch fait volte-face à vingt minutes de la fin des plaidoiries. Alors qu’il avait toujours adhéré à la ligne de défense dessinée par François Roux autour du plaidoyer de culpabilité, il demande sa libération à des magistrats médusés. Malgré ce désaveu, l’avocat français refusait de lâcher son client. Il s’en expliquait le lendemain en estimant que Duch était prisonnier d’enjeux qui le dépassent : « Je ne veux pas qu’il paye le prix de ce qui vient de se passer. La démission pourrait être une stratégie. Mais je suis tellement persuadé que ce qui lui a été suggéré va à l’encontre de ses intérêts que tant qu’il ne m’aura pas dit ‘je ne vous veux plus’, j’essayerai de lui éviter le pire. »


Pourquoi maintenant ?
L’accusé a finalement donné le coup de grâce à son conseil français. Mais pourquoi maintenant ? Un observateur du tribunal remarque que « sept mois après la fin des plaidoiries, c’est tard pour se rendre compte qu’on n’a plus confiance dans son avocat ».  Pour Chum Sirath, partie civile contre Duch, il n’y a qu’une seule explication possible : « Le Khmer rouge, il vous passe la main dans le dos, vous endort par des bonnes paroles, il vous manipule, il se sert de vous jusqu’à la fin et à ce moment-là vous demande la permission très gentiment de donner un coup de pioche sur la nuque en expliquant que c’est pour le bien de la nation et du parti. Duch reste Khmer rouge jusqu’au bout et je crois qu’il le fait pour l’histoire. Quand dans cent ans les jeunes Cambodgiens apprendront l’histoire de la période khmère rouge, Duch voudrait être considéré comme un Saint-Just ou comme un Robespierre. »
Au tribunal, le service des relations publiques minimise l’affaire en faisant référence au classique rejet d’un avocat par son client. Inutile d’y chercher un quelconque message politique.


Une révocation en forme de message politique ?

Des experts pourtant décryptent l’affaire autrement. Première interprétation : cette révocation, c’est-à-dire Duch qui congédie son avocat français, est la métaphore d’un gouvernement cambodgien prêt à lâcher la partie internationale si le tribunal inculpe d’autres personnes. Ne jugez pas au-delà des quatre anciens leaders déjà inculpés, voisins de cellule de Duch. Une position maintes fois affichée par le gouvernement cambodgien. Rappelez-vous les déclarations de Khieu Kanharith à l’adresse des internationaux. En substance : s’ils ne sont pas contents, ils n’ont qu’à partir… Pour Raoul Marc Jennar, « les Cambodgiens veulent régler ça entre eux avec le consentement passif des étrangers. Mais ceux qui s’emploient à transformer ces procès en farce juridique porteront devant l’histoire la responsabilité d’avoir ridiculisé les procès de Phnom Penh. »


Appel en préparation

Deuxième interprétation : cette révocation incarne le rejet par Duch de la stratégie morale et humaniste de François Roux afin de revenir sur le terrain politique du responsable mais pas coupable. Martine Jacquin, avocate des parties civiles, proteste devant cette ligne de défense : « Duch était un acteur très important car il a mis au point le système de la terreur, il a complètement adhéré au régime politique des Khmers rouges. Il était un acteur-clé, pas un petit pion chargé des exécutions. »
Si cette révocation n’a aucun effet sur la procédure (elle ne la ralentit pas), en revanche elle laisse entendre que Duch fera appel de sa condamnation.

« J’ai attendu trente ans pour une seule journée de déposition »


Vann Nath photographié au cours d'un atelier avec Sera et une dizaine de jeunes artistes cambodgiens au centre Bophana au début de l'année 2009. (Anne-Laure Porée)
Vann Nath photographié au cours d'un atelier avec Sera et une dizaine de jeunes artistes cambodgiens au centre Bophana au début de l'année 2009. (Anne-Laure Porée)



Le procès a-t-il réussi à démontrer le degré de responsabilité de Duch ?
Pas de manière approfondie. Quand Duch argumente qu’il a reçu des ordres fermes et indiscutables, c’est presque lui qui devient une victime parce qu’il a reçu des ordres. C’est contraire à ce que je sais de lui à l’époque. Le tribunal n’a pas réussi à démontrer avec exactitude l’étendue du pouvoir de Duch à la tête de S21. Duch dit par exemple qu’il n’avait pas la possibilité d’aider qui que ce soit mais en réalité il était un dirigeant extraordinaire, au sens propre du terme. Il était au sommet. Bien sûr qu’il a reçu des ordres mais le pouvoir qu’il avait en main pour décider des choses, il s’en est servi.


En quoi ce procès a-t-il été utile ?
La seule chose que j’ai vue depuis deux ans, c’est que le fonctionnement du tribunal est différent de ce qui se pratique dans le pays, des débats ont lieu. Mais pour moi ce n’est pas le plus important. Le plus important, c’est comment on solde les comptes avec l’accusé. Lors de ma déposition, j’ai pu mesurer la différence entre mes droits, ma liberté de parole et ceux de l’accusé. Dès qu’on essaye d’aller au-delà de la question posée, on vous arrête tout de suite. L’accusé, lui, choisit de répondre ou pas.


Que retenez-vous d’autre de votre témoignage au procès ?
Que j’ai attendu trente ans pour une seule journée de déposition.


Quelle image gardez-vous de Duch ?
Duch ne dit pas les choses clairement, il les contourne tout le temps. Et puis à la fin il demande sa libération. Comme il était un dirigeant hors du commun, il devrait accepter ses crimes. Pourquoi demande-t-il sa libération ? Lui n’a jamais appliqué de mesure de libération à aucun détenu de S21 quand il en était le directeur.


Duch est-il un manipulateur ?
Quand il y a des documents, des preuves, il reconnaît ses crimes. Il a l’habitude de dire ce qu’ont fait ses subordonnés et de les couvrir en tant que responsable. Mais en même temps, il y a des choses qu’il a faites et qu’il réfute, par exemple le règlement des interrogatoires, que j’ai vu moi-même dans la salle d’interrogatoire. Il dit que ce règlement n’a jamais existé. Il dit aussi qu’il n’est jamais allé dans une salle d’interrogatoire, alors comment sait-il qu’il n’y avait pas de règlement dans ces salles ?
Autre exemple, à propos des cordes. J’ai vu de mes propres yeux, la nuit, qu’elles servaient lors de séances de torture à suspendre des hommes attachés par les bras dans le dos. Duch a dit que ça n’existait pas, il a contesté. Alors c’est pour moi une très grande déception. Quelqu’un ‘d’extraordinaire’ reconnaîtrait avoir tué des milliers de personnes et ne demanderait pas à être libéré. Lâcheté, opportunisme… En khmer, on a un proverbe : « Quand la tête (du poisson) est cuite, tu manges la tête ; quand la queue est cuite, tu manges la queue. »

A lire : Dans l’enfer de Tuol Sleng, Vann Nath, édité par Calmann-Lévy.



Un homme en convalescence
A la fin du mois d’avril, Vann Nath a eu de gros problèmes de santé. Un appel urgent lancé par le réalisateur Rithy Panh a mobilisé suffisamment de donateurs pour permettre de financer ses soins médicaux. Aujourd’hui Vann Nath continue de récupérer.
Alors que les accusés Khieu Samphan, Ieng Sary, Nuon Chea, Ieng Thirith et Duch bénéficient gratuitement d’une assistance médicale, rien n’a été créé ou imaginé pour venir en aide à des témoins majeurs comme Vann Nath. Pas de fond de solidarité. Pas d’initiative en faveur des victimes. Juste des initiatives individuelles en marge du monde des puissants qui eux, faut-il le préciser ?, sont dispensés de frais médicaux…


A voir :

Le site du Cercle des amis de Vann Nath

Site web sur Vann Nath

« About my father », un pont entre les Cambodgiens et la justice



Sunthary Phung-Guth, entre l'ancien interrogateur Prak Khân (à gauche) et l'ancien chef de gardes Him Houy. Un face-à-face tendu. (DR)
Sunthary Phung-Guth, entre l'ancien interrogateur Prak Khân (à gauche) et l'ancien chef de gardes Him Houy. Un face-à-face tendu. (DR)




« La vérité. Je sais la vérité sur la mort de ma tante. J’ai vu de mes yeux la mort de mon grand-père et de ma grand-tante. Je connais le sort de mon oncle. De toute la lignée. Mais je ne sais rien sur la mort de mon père à Toul Sleng. » Le film « About my father » s’ouvre sur cette confidence de Sunthary Phung-Guth, face caméra. D’emblée il se présente comme un récit sur la quête personnelle et la demande de justice de cette femme qui cherche des réponses pour pouvoir faire le deuil. A travers ce portrait sensible, Guillaume-Suon Petit a cherché à illustrer le parcours long et douloureux des parties civiles qui sont pour la première fois partie prenante dans un tribunal à composante internationale.


Réaction vive aux images de propagande khmère rouge
Sunthary Phung-Guth attend des informations de Duch, ancien directeur khmer rouge de S21, mais aussi des anciens dirigeants comme Ieng Sary que ses parents connaissaient. Elle sera donc partie civile dans le procès numéro 2. En mémoire de son père, Phung Ton, éminent professeur de droit, recteur de l’Université de Phnom Penh, mort à S21 en juillet 1977 après six mois de détention.

Pour réactiver les souvenirs de la période khmère rouge, Guillaume-Suon Petit demande à Sunthary Phung-Guth de décrire l’expulsion de Phnom Penh, photographies d’époque en main. Elle raconte, dans la circulation d’une capitale aujourd’hui bruyante, comment sa famille a quitté la ville sous la surveillance des hommes en noir, comment elle a compris plus tard qu’ils étaient considérés comme des « ennemis ». Des archives de films de propagande khmère rouge tournés sur les grands chantiers de digue ou de construction accompagnés au son par des chants révolutionnaires rappellent la mise en esclavage de la population, à laquelle Sunthary Phung-Guth, alors jeune femme de 19 ans, dut se soumettre. Dans la salle d’audience, le public réagit vivement aux images de propagande, les pointe du doigt et les commentent. Un homme glisse : « ça, c’est la propagande khmère rouge, mais dans la réalité, c’était pas comme ça. »


Tout ramène au père
Fouiller son propre passé conduit Sunthary Phung-Guth à retourner dans la province de Kratié où elle a été envoyée par les Khmers rouges. Elle reconnaît un barrage et la digue de ses cauchemars. Une femme l’accompagne, une ancienne cadre khmère rouge de la région, qui lui révèle les consignes de l’Angkar à l’époque : ils pouvaient faire ce qu’ils voulaient des « 17 Avril », ceux qui venaient de la ville… La pilule est amère pour Sunthary Phung-Guth mais sa propre souffrance passe au second plan. Ce qui la mine n’est pas son vécu à elle mais la disparition de son père.
Dès lors le film se recentre sur Toul Sleng, la découverte de la photo du détenu numéro 17, Phung Ton, par hasard, et les traces qu’il reste de lui aujourd’hui dans les archives de S21. Après une échappée dans la maison familiale où eut lieu le dernier au revoir au père, direction le tribunal.


Le procès de Duch en archives
Les archives du procès numéro 1 présentent un extrait d’audience pendant laquelle Duch, ancien élève de Phung Ton, déclare aux juges qu’il ignorait la présence de son professeur à S21. La seule information qu’il déduit concernant le disparu, c’est que son corps a été enterré au sein du complexe S21, quelque part autour de l’actuel musée du génocide, s’il a bien été assassiné à Phnom Penh. Piètre consolation pour la famille.




Le public a réagi vivement aux images d'archives de la propagende khmère rouge, aux images d'archives montrant les charniers de Chœung Ek après la chute du régime mais aussi aux peintures de Vann Nath, rescapé de S21. (Anne-Laure Porée)
Le public a réagi vivement aux images d'archives de la propagande khmère rouge, aux images d'archives montrant les charniers de Chœung Ek après la chute du régime mais aussi et surtout aux peintures de Vann Nath, rescapé de S21. (Anne-Laure Porée)




Le choc des peintures de Vann Nath
La quête se poursuit. Sunthary Phung-Guth suit la piste indiquée par Duch lui-même dans une lettre qu’il lui a fait transmettre par son avocat Kar Savuth en plein procès, avant même qu’elle ait déposé devant la cour. Décidée à en savoir plus, elle explore cette piste malgré sa défiance à l’égard de l’accusé. Elle rencontre les anciens membres du personnel de S21 que Duch lui indique. Son face-à-face avec Prak Khân, ancien interrogateur, et Him Houy, ancien chef de gardes, constitue un moment fort du film pendant lequel la tension, palpable, ne baisse pas d’un cran. Prak Khân et Him Houy ne révèlent aucun détail sur Phung Ton, ils ne le reconnaissent pas sur les photos qui leur sont présentées. Mais ils racontent comment étaient traités les prisonniers, comment ils étaient torturés.

Leurs mots décrivent l’horreur, comme des couperets. Mais lorsque les peintures du rescapé de S21 Vann Nath illustrent en images les propos des anciens bourreaux, un malaise parcourt la salle comme en ce jour du 29 juin 2010 où il témoignait devant les juges. L’effet de ses tableaux sur le public est saisissant. Par ses représentations, Vann Nath bouleverse les villageois qui lâchent à haute voix leurs commentaires réprobateurs contre les auteurs des crimes. Les enfants arrachés à leur mère par les Khmers rouges, insupportable. Leur massacre, insoutenable. Un « tut tut tut tut tut » résonne. Les images d’archives montrant les fosses de Chœung Ek filmées en 1979 provoquent la même réaction épidermique.


Un documentaire pédagogique
A travers le cas particulier de Sunthary Phung-Guth, à travers son regard, le documentaire aborde nombre de questions essentielles : que peuvent reconstruire les familles sur la disparition de leurs proches ?, qu’est-ce que la mémoire ?, comment la réactiver ?, la justice est-elle utile ?, à quoi sert-elle ?, la réconciliation est-elle possible ?, les bourreaux de S21 avaient-ils le choix ?, Duch est-il sincère ?…

L’attention particulièrement soutenue que le public porte aux propos des anciens Khmers rouges, comme Duch ou Mam Nay (ancien chef d’un groupe d’interrogateurs), prouve à quel point la parole des bourreaux est fondamentale pour comprendre ce qui s’est passé. Cependant le documentaire prend soin de toujours contrer cette parole par un regard critique, celui d’une victime directe comme Vann Nath, ou celui de Sunthary Phung-Guth. Cette répartie sonne comme un avertissement au spectateur : il ne faut jamais se contenter du point de vue khmer rouge.


« L’histoire de cette femme, c’est mon histoire »
Hors de la salle d’audience, après la projection du film, j’engage la conversation avec un groupe de femmes de Svay Rieng. Je me demande dans quelle mesure elles adhèrent à la quête de Sunthary Phung-Guth, une femme de la ville, avec un haut niveau d’éducation, qui parle français… Yeay Meth, qui ne paraît pas ses plus de 60 ans, coupe court à mes a priori : « L’histoire de cette femme, c’est mon histoire. Moi aussi je cherche mes parents disparus. Ce matin, lorsque nous avons visité S21, j’ai cherché leur photo sur les panneaux de Toul Sleng. Je ne les ai pas trouvés. »

Dans la foulée, Yeay Meth et ses amies racontent ce qu’elles ont vécu sous les Khmers rouges. Elles miment des scènes auxquelles elles ont assisté, l’autorité hargneuse des soldats de l’Angkar, l’absence de pitié et les morts. Restées sous le choc des peintures de Vann Nath, elles en viennent à décrire leurs angoisses du quotidien. Elles évoquent en particulier les attouchements dont elles étaient l’objet. Cette effusion de souvenirs indique que le film atteint un de ses objectifs : libérer la parole sur le passé khmer rouge. Distribuant du bétel à ses amies, Yeay Meth devient intarissable. Autour d’elle, discrètement, des villageoises plus jeunes approchent leur chaise et tendent l’oreille au récit animé de leur aînée.


Filiation assumée avec Rithy Panh
« About my father » s’inscrit dans le sillon du film de Rithy Panh « S21 la machine de mort khmère rouge ». Beaucoup de protagonistes en commun, même lieu, même sujet, parfois mêmes méthodes. La filiation est revendiquée : « Sunthary Phung-Guth m’avait confié avoir entamé ses recherches et constitué un dossier sur son père après avoir vu ‘S21’, explique Rithy Panh. Je vois le film de Guillaume-Suon comme une prolongation, sur un autre plan, du travail entamé dans ‘S21’. Il a travaillé presque un an en parallèle du procès, il s’est plongé dans l’histoire de son pays et dans celle de Sunthary. Qu’un jeune cinéaste cambodgien porte ce projet avec une équipe cambodgienne de sa génération, cela signifie pour moi un chose essentielle : une transmission est en cours. »

Guillaume-Suon Petit assume lui aussi la filiation : « C’est mon premier documentaire. Je me suis nourri de l’expérience de Rithy Panh et de celle de son équipe. Sur un tel sujet, on se réfère, parfois sans le vouloir, à celui qui fait le mieux les choses. Par exemple, la séquence qui réunit Sunthary avec Prak Khân et Him Houy à S21 n’était pas celle prévue au départ. Mais quand je filmais ces protagonistes individuellement, chez eux, ça ne marchait pas. Quand ils sont ensemble à S21, face à Sunthary, cela n’a plus rien à voir. J’ai tenté mes propres expériences avant de revenir à cette technique, qui résulte d’années de travail de Rithy Panh. J’aurais été idiot de ne pas m’en inspirer. » Dans le dialogue instauré avec son aîné, Guillaume-Suon Petit s’est toujours senti totalement libre sur la forme et sur la façon de traiter le fond. « La présence de Rithy Panh s’est surtout manifestée sur les questions d’éthique et la vérification des informations », confie-t-il.


Sélectionné au Fipa
« About my father », réalisé avec le soutien de la fondation Soros, du Centre de ressources audiovisuelles Bophana et Bophana production est le premier film cambodgien sélectionné par le Fipa, le Festival international de programmes audiovisuels. Il sera en compétition à Biarritz, en France, dans la section « documentaires de création » laquelle se déroule du 26 au 31 janvier.



Pour info : Le Centre Bophana organise une projection spéciale le samedi 30 janvier à 18 h 30 qui sera précédée par le court-métrage « Testimonal therapy, a path towards justice and healing ». Coproduit avec Bophana Production et Transcultural Psychosocial Organisation (TPO), avec le soutien du Rehabilitation and Research Centre for Torture Victims (RCT), ce film de 14′ (à l’initiative de Judith Strasser de TPO) montre une approche novatrice pour la guérison des traumatismes : les survivants du régime khmer rouge reconstituent leurs souvenirs traumatiques et les convertissent en un témoignage qui est prononcé au cours d’une cérémonie bouddhiste. Cette pratique permet aux survivants de retrouver leur dignité et d’apaiser les esprits des morts.

Plus que deux semaines pour devenir partie civile contre les ex-dirigeants khmers rouges



Au musée Toul Sleng, les anciens bustes à l'effigie de Pol Pot ont été placés derrière des grilles parce qu'ils étaient dégradés par les visiteurs. A côté : les barres auxquelles étaient attachés les détenus, symbole de l'oppression khmère rouge. (Anne-Laure Porée)
Au musée Toul Sleng, les anciens bustes à l'effigie de Pol Pot ont été placés derrière des grilles parce qu'ils étaient dégradés par les visiteurs. A côté : les barres auxquelles étaient attachés les détenus, symbole de l'oppression khmère rouge. (Anne-Laure Porée)




Voilà deux ans et demi que le bureau des juges d’instruction planche sur le cas des ex-dirigeants khmers rouges sur la base d’un texte rédigé par les co-procureurs, le réquisitoire introductif, qui leur a été remis le 18 juillet 2007. Le contenu reste confidentiel puisqu’il comporte des éléments de preuve. Mais en substance, les co-procureurs accusent l’ancien bras droit de Pol Pot, Nuon Chea, l’ancien chef de l’Etat, Khieu Samphan, l’ancien ministre des Affaires étrangères, Ieng Sary, l’ancienne ministre des Affaires sociales, Ieng Thirith et l’ancien directeur de S21, Duch, d’avoir commis des crimes graves entre le 7 avril 1975 et le 6 janvier 1979.


Inculpations de génocide
Les charges qui pèsent contre eux ont été rendues publiques au fil de l’instruction. D’abord lors de leur placement en détention provisoire (pour quatre d’entre eux à l’automne 2007), il a été annoncé qu’ils étaient inculpés de crimes contre l’humanité (meurtre, extermination, emprisonnement, persécution et autres actes inhumains) et violations graves des Conventions de Genève de 1949. Plus récemment, en décembre 2009, Nuon Chea, Ieng Sary, Khieu Samphan et Ieng Thirith ont été inculpés de génocide commis à l’encontre des Vietnamiens et des Chams (qui sont des Cambodgiens musulmans pratiquant leur propre langue en plus du khmer). Duch, lui, n’est pas accusé de génocide.


Aucune certitude avant l’ordonnance de clôture
Est-ce que toutes ces charges seront retenues contre les anciens leaders khmers rouges ? Seront-ils tous poursuivis ? La question turlupine puisque jusqu’ici Duch reste dans le collimateur de la justice malgré 73 journées d’audience passées devant la Chambre de première instance et cinq journées de plaidoiries des parties. Le verdict concernant ses crimes et responsabilités à S21 conclura le procès numéro 1. Mais il faudra attendre l’ordonnance de clôture du dossier numéro 2 pour savoir s’il sera poursuivi de nouveau, sur des motifs différents du premier procès.
Cette ordonnance est l’étape-clé qui ouvre vers le procès des plus hauts responsables khmers rouges. Normalement… A moins que les co-procureurs n’objectent comme ils l’ont fait dans le cas de Duch, retardant le procès numéro 1 de six mois parce qu’ils voulaient que l’entreprise criminelle commune figure au rang des charges contre l’ex-chef de S21.


Requêtes et délais
Sachant qu’il leur est impossible d’être exhaustifs, les juges d’instruction estiment qu’ils ont, à ce jour, suffisamment d’éléments pour décider qu’un procès est nécessaire. D’où la fin des enquêtes. Mais il faut compter sur des équipes de défense tenaces pour multiplier les demandes de compléments d’enquête. Les avocats des parties civiles et les procureurs peuvent aussi soumettre leurs propres requêtes. Tous ont 30 jours pour se manifester. Après quoi les juges d’instruction acceptent ou refusent de procéder à ces enquêtes complémentaires, et justifient par écrit leur décision. Si les parties ne sont pas d’accord avec cette décision, elles peuvent faire appel auprès de la Chambre préliminaire, qui tranchera.


Un procès à l’horizon 2011 ?
Dans le cas où les juges d’instruction se lanceraient dans des enquêtes complémentaires, ils devraient de nouveau procéder à la même notification que le 14 janvier. Alors un délai de quinze jours permettrait encore aux différentes parties de contester ce complément d’enquête et seulement ce complément d’enquête. Dans le meilleur des cas, s’il n’y a pas d’obstacles, l’ordonnance de clôture pourrait être rendue en septembre. Au plus tôt, le procès numéro 2 débutera fin 2010.
Cependant le cas de Duch a réservé suffisamment de surprises pour que nombre d’observateurs ne croient pas à la tenue du procès numéro 2 avant début ou mi-2011.


Libérés avant leur procès ?
Les anciens dirigeants khmers rouges, âgés de 77 à 84 ans, tiendront-ils jusque-là ? La question est régulièrement posée en conférence de presse. Une fois encore, sur un ton rassurant, Reach Sambath, chef des relations publiques du tribunal, a expliqué jeudi 14 janvier que les détenus étaient en bonne santé et qu’ils bénéficiaient de contrôles médicaux réguliers. Hormis ces questions de santé, pour l’instant, celle de leur libération n’a pas encore été soulevée. Et pourtant… Le 19 septembre 2010, Nuon Chea atteindra la fin du délai légal de sa détention provisoire. Il devrait donc être libéré. Le 14 novembre 2010 sera la date butoir pour Ieng Sary et Ieng Thirith, puis le 19 novembre 2010 pour Khieu Samphan.


3 494 candidats partie civile
Chaque partie joue sa course contre la montre. Ceux qui ont désormais le timing le plus serré sont ceux qui veulent participer au procès en qualité de partie civile. Il leur reste deux semaines pour remplir le formulaire du tribunal et présenter les documents de base requis du type pièce d’identité. A la date du 31 décembre, 3 494 personnes ont demandé à se constituer partie civile dans le procès numéro 2. Dans le procès numéro 1, elles étaient 94. Certaines furent retoquées par la défense, et se sont retirées dans les dernières semaines du procès, faute de dossier complet ou cohérent. Sur ces 94 personnes, 55 se constituent partie civile aussi dans le cas numéro 2. A l’heure actuelle les plus grands nombres de parties civiles viennent des provinces de Kampot (ils sont 516), Kandal (338), Kompong Cham (387), Kompong Speu (306), Pursat (238) et Siem Reap (223).


Être plaignant sans être partie civile
Dans certaines provinces, le nombre de plaignants, c’est-à-dire des personnes qui ne se constituent pas partie civile mais s’estiment victimes du régime khmer rouge et livrent des informations au tribunal, dépasse de loin le nombre de constitutions de partie civile. Dans la province de Kompong Thom ils sont 614 plaignants à côté des 96 dossiers de partie civile. Dans la province de Kratié, ils sont aussi beaucoup plus nombreux : 397 plaignants pour 102 dossiers de partie civile. Dans la province de Takéo : 224 plaignants, qui ne seront donc pas partie au procès, contre 75 dossiers de partie civile. Sans surprise, c’est dans les anciens fiefs khmers rouges, Païlin et Oddar Meanchey, qu’il y a le moins de constitutions de parties civiles (13 à Païlin par exemple).


Focus de l’instruction
Pour faciliter la constitution de partie civile et livrer quelques éléments au public sur l’étendue de l’enquête, le bureau des juges d’instruction avait publié le 5 novembre 2009 :
–    une liste de coopératives et sites de construction sur lesquels ils enquêtaient en particulier (le barrage de Trapeang Thma à Banteay Meanchey, l’aéroport de Kompong Chhnang, le barrage du 1er janvier à Kompong Thom, le chantier de Srae Ambel à Kampot, les coopératives de Tram Kok à Takéo et S24);
–    une liste des centres de sécurité et sites d’exécution sur lesquels ils se concentraient (centre de sécurité de wat Kirirum à Battambang, différents sites à Kompong Chhnang; la prison de Kraing Ta Chan à Takéo, celle de Phnom Kraol dans le Mondolkiri, celle de O Kanseng dans le Rattanakiri ou encore le centre de sécurité de Siem Reap…)
–    enfin une liste d’actes dirigés contre l’ensemble de la population ou contre certains groupes (les déplacements de population le 17 avril et juste après; les déplacements de population dans certaines zones comme la zone Est en 1978; les conditions de vie, les traitements imposés aux bouddhistes, aux Vietnamiens, aux  Chams, dans certaines zones; les purges de la zone Nord et de la zone Est; les mariages forcés).

Le lien avec ces lieux et ces crimes sera déterminant pour la constitution de partie civile.



Pour info : L’Unité des victimes qui accueille toute personne souhaitant se porter partie civile se situe à Phnom Penh, au 6A rue 21, près du Monument de l’Indépendance. Tel : 012 84 28 61 ou 097 74 24 218 ou 023 214 291. Mail : victimsunit@eccc.gov.kh